Chronique livre : Encres de Chine


de Qiu Xiaolong

Deuxième livre de Qiu X. qui me tombe entre les mains. Ses bouquins sont à classer dans la catégorie « polars chinois ». Pour vous expliquer un peu l’ambiance, on est beaucoup plus près d’un Maigret que d’un 24h Chrono. Un Maigret petit et fluet, fumeur de cigarettes au lieu de pipes, mais aimant tout autant la bouffe. Le commissaire est poète, et la notion d’urgence est très relative pour lui.

Il faut bien avouer que ses priorités vont surtout à l’appart que son chef lui a promis et lui passe sous le nez (vous allez me dire, à Shanghaï, le logement, c’est quand même un méga problème quand on a pas de pépettes), à la traduction-complémentdesalaire qu’un riche promoteur douteux lui commande, à la « petite secrétaire » sexy qu’on lui prête, aux bols de nouilles et à la poésie. Et oui, car le commissaire est poète… tout est prétexte à se remémorer un petit quatrain bancal (effet de trad ? j’en doute ), et opaque, ou même carrément ridicule (ben oui, j’avoue, je suis hermétique, mais c’est ça qui fait le charme aussi).

Bon dans tout ça, vous allez me dire « et l’enquête ? ». Ben à vrai dire, on s’en fiche un peu. Les bouquins de Qiu X. sont surtout des prétextes à décrire une atmosphère assez peu commune, sur un contexte historique, politique et économique très particulier et très fort (c’est quand même pôs la franche rigolade la Chine, y’a pôs à dire). Si « Mort d’une héroïne rouge » m’avait vraiment scotché, je me suis laissée porter gentiment par ces « Encres de Chine » (quel titre nullissime tout de même), en territoire déjà connu, mais bien agréable.

Chronique livre : Voyage aux pays du coton

Voyage aux pays du coton
Petit précis de mondialisation
d’Erik Orsenna

de l’Académie française (rien que ça)
Fayard

Voila un moment que Voyage aux pays du coton me nargue dans cette vitrine. Illustré du bel idéogramme signifiant « coton » (association des trois idéogrammes : arbre, soleil/blanc et tissu), j’ai longtemps résisté à cause du sous-titre, craignant un ouvrage rébarbatif, bien-pensant et didactique. J’avais tort. Erik Orsenna s’est pris de passion pour l’histoire du coton, cette plante aux fruits pelucheux à laquelle nous sommes tous redevables, et il est parti sur ses traces du Mali à la France, en passant par le Brésil, les Etats-Unis, la Chine, l’Egypte, et l’Ouzbékistan.

Ce livre est donc le récit d’un voyage thématique, avec ses découvertes, anecdotes, rencontres. De ses rencontres avec des petits paysans maliens, brésiliens, ouzbeks, rencontres avec des ouvriers chinois, on ressort l’œil un peu humide : des millions, des milliards de vie, dépendantes d’une matière première sur laquelle ils n’ont finalement aucun contrôle, dans notre société de « trop », c’est la demande qui décide, et non pas l’offre. De l’autre côté, de son œil pourtant fort averti, il raconte de façon faussement naïve ses entrevues avec les puissants de ce monde (en gros les négociants et politiques américains, passages d’autant plus effrayants que racontés de manière assez brute, je le soupçonne de ne même pas en rajouter).

Ton enlevé, écriture délicieuse et poétique, le livre s’avale comme une confiserie, sans écœurement aucun. C’est aigre-doux, entre espoir et désespoir. J’ai lu quelques critiques plutôt déçues par ce livre « sans fond », une « succession d’anecdotes »… alors oui certes, Voyages aux pays du coton n’est pas un livre qui apporte sur un plateau une pensée prédigérée, c’est un livre en creux, qui donne à penser, un miroir partial et partiel de l’économie mondiale dans toute sa diversité et sa cruauté, qui distille sous un récit de voyage faussement bon enfant une peinture grinçante et complexe de notre société.

Le seul reproche que je peux lui faire, en bonne écologiste de métier c’est de ne pas insister suffisamment sur les désastreuses conséquences de la monoculture du coton. Il le fait, bien entendu (il lui était impossible de passer à côté de l’assèchement de la mer d’Aral, coincée entre Kazakhstan et Ouzbékistan, dû à l’irrigation des champs de coton, ainsi que la disparition rapide de la forêt amazonienne au Brésil pour laisser la place aux immenses cultures de coton notamment), mais de manière ponctuelle. Enfin, je mégote, l’ouvrage est court, impossible de développer tous les thèmes abordés.

Pour finir quelques morceaux choisis :

Au Brésil, Orsenna s’étonne de l’effectif (incroyablement faible) d’ouvriers dans les filatures, le patron rétorque :
« –Je sais, c’est encore un peu trop pour résister aux chinois. Quel est donc le secret de ces chinois, l’arme qui les rend si forts ?
Depuis longtemps j’ai réfléchi à cette question. Je vous livre ma réponse : les Chinois ont inventé l’ouvrier idéal. C’est-à-dire l’ouvrier qui coûte encore moins cher que l’absence d’ouvrier« .

Orsenna rencontre un manitou américain de la recherche génétique :
« –Je sais que vos lobbies antigénétiques sont parvenus à faire interdire la recherche. Interdire la recherche ! Comment acceptez-vous cet obscurantisme ? De plus en plus, (…), nous avons l’impression que l’Europe refuse son époque. Et se suicide. L’Europe, berceau de la science moderne !
Ce n’est pas le genre de propos qu’il est agréable d’emporter avec soi. Je ne recommande à personne une soirée dans un motel de Knoxville (Tennessee) en la seule compagnie d’une telle vérité. »

Dans les immenses plaines américaines :
« Qu’est-ce qu’un plat pays ? La sagesse locale donne la meilleure des réponses : ne t’inquiètes pas pour ton chien. Aucune chance de le perdre. Il peut s’enfuir où il veut, courir trois jours et trois nuits, jamais tu ne le perdras de vue. »

A Datang (Chine), capitale mondiale de la chaussette :
« Quatre hectares et neuf milliards de chaussettes (…). Des chaussettes jusqu’au vertige. Jusqu’à douter que l’humanité ait assez de pieds pour enfiler autant de chaussettes. »

Chronique livre : Le Maître a de plus en plus d’humour

de Mo Yan

Après 120 pages d’une énorme pavasse écrite petit et mal traduite, j’ai attrapé un petit livre rouge, offert par une gracieuse amie sinophile pour mon anniversaire (qui se reconnaîtra car je sais qu’elle hante silencieusement les pages de ce blog). Je ne vanterai jamais assez les mérites des livres courts, comme des films courts d’ailleurs, j’aime la concision, et la modestie de savoir s’arrêter quand il n’est plus nécessaire de broder.
Le Maître a de Plus en Plus d’Humour (LMADPEPDH en abrégé), est un petit bouquin chinois, très court et écrit très gros, pile poil ce qui me fallait. J’ai toujours une crainte en abordant une traduction chinois-français, parce que fréquemment, on se demande si le traducteur n’est pas Ouzbek. Là non, c’est joliment traduit, sans maladresse, tout en douceur, ça passe facilement et sans beurre.
LMADPEPDH est l’histoire d’un ouvrier modèle, qui se retrouve au chômage, 1 mois avant sa retraite. Ca a l’air de rien, mais en Chine, ça veut dire beaucoup. En gros : il est vraiment dans la merde. Mais il trouve une idée géniale et lubrique qui le sort de la merde… à moins que…
Plutôt que de longs discours, je vais faire ce que je ne fais jamais : faire des citations. (C’est de la flemme pure et simple, je sais).

« A force de vouloir garder la face, (…), jamais le chat mort ne grimpera aux arbres »

« En écoutant la multitude de sons différents émis par les hommes et les femmes dans la petite chambre, ses oreilles lui permirent d’accumuler une foule de connaissances sur la séxualité masculine et féminine, (…) comme si d’une fenêtre ouverte, il avait pu voir d’immenses paysages »

« C’était un amour classique, très triste, comme les concombres plongés dans le pot de saumure »

« La lumière falote (…) éclairait la peau boutonneuse de la volaille, transmettant la chair de poule à sa vieille peau, qui se mit à ressembler à celle du poulet »

Drôle, noir et lumineux !

Chronique livre : Divers polars

Vous allez croire que je ne lis que ça, mais tant pis, je prends le risque ! Je n’ai pas envie de vous faire de très longues critiques de mes dernières lectures, mais juste un petit message pour vous parler en vitesse de mes quatre derniers coups de coeur en polar. Quatre polars, quatre styles totalement différents.

Tout d’abord, Droit de Traque d’Hubert Corbin (Livre de Poche). Un jeune délinquant noir se retrouve perdu au milieu de beaufs blancs et chasseurs de l’Ouest américain. Un crime est commis, il est un bouc émissaire idéal. Il réussit à s’échapper, et la traque commence. C’est trash, cruel, et haletant. Ca sent la sueur, la poussière et les instincts primitifs. Âmes sensibles s’abstenir !

Soul Circus, de George P. Pelecanos (Points) est une histoire très sombre dans le milieu des dealers des quartiers noirs de Washington. C’est un peu rugueux, pas forcément très facile d’accés. Mais passées les 30 premières pages, on se retrouve happé par ces multiples histoires, bousculé aussi, 95% des personnages sont noirs, et on n’a pas l’habitude, ça fait du bien !

Lincoln Lawyer (La Défense Lincoln) de Michael Connelly (Seuil)…Ahhhh Michael Connelly, un des rares auteurs dont j’ai lu tous les livres, dont j’attends avec impatience les nouveaux opus, bref, dont je suis accro ! Avec cette histoire, Connelly surprend et change de cap. A la place de ses héros récurrents habituels, on rencontre ici Mickey Haller, avocat frimeur, et à la moralité légère, qui se trouve pris dans une tourmente dont il se serait bien passé. C’est brillant, jouissif, bien écrit (en V.O. en tous cas). Bref, du grand Connelly. Si vous ne connaissez pas cet auteur, n’hésitez surtout pas à vous plonger dans son univers, de préférence dans l’ordre chronologique.

Last but not Least, Shutter Island de Dennis Lehane (Rivages/Noir). Alors là, j’en suis encore sans voix. Ca démarre comme un polar classique, qui lorgne vers l’ambiance d’un film d’horreur. Dans les années 50, deux marshals doivent enquêter dans une île-prison-hôpital-psychiatrique, sur la disparition mystérieuse d’une pensionnaire de l’établissement. Je n’en dirai pas plus, juste que le dénouement est un des plus incroyables et inattendus que j’ai jamais lus. D’habitude, j’ai pas mal d’intuition, mais là je me suis fait avoir comme une bleue ! Et pourtant, en y repensant… mais chuuuuut, je préfère que vous le lisiez !

A noter également que Michael Connelly et Dennis Lehane, ont tous les deux vu un de leurs ouvrages (Créance de Sang, et Mystic River) portés à l’écran… par Clint Eastwood ! Si ce n’est pas un gage de qualité ça !

Chronique livre : L’historienne et Drakula

L’historienne et Drakula Tome 1&2 (au total plus de 1000 pages)
Elizabeth Kostova

 

Pourquoi j’l’ai acheté
Les sirènes de la publicité ont encore marché avec moi (Cf. Transparences)… bien en évidence sur la gondole d’un relai H., The Historian (en VO) m’a tapé dans l’oeil, avec son joli bandeau rouge qui disait « coup de coeur du relai » et « déjà plus de 2 millions d’exemplaires vendus ». Ajouter à ça ma prédilection pour les monstres aux canines pointues, datant du superbe, magnifique, sensuel « Bram Stoker’s Dracula » de Coppola (1992), qui, à l’époque m’avait furieusement donné envie de me faire mordre par Gary Oldman (oui je sais je n’avais que 14 ans, et alors?). Pour continuer dans la veine biographique, j’ai dû lire Dracula de Stoker, trois ou quatre fois, en vf et vo, Les Chroniques des vampires d’Anne Rice, plein de films de vampires divers et variés, je suis allée en Roumanie (pas exprès hein), ai visité le « Château de Dracula » (bien loin des clichés), ai rédigé des exposés sur Vlad Tepes l’empaleur (origine du mythe de Dracula), bref, sans me vanter, j’en connais un p’tit rayon !

C’que ça raconte au tout début
Une jeune fille, orpheline (vraiment?) de mère, vit avec son père, historien érudit à Amsterdam. Au cours d’un des nombreux voyages de son père, elle trouve sur une étagère un étrange livre ancien, totalement vierge, à l’exception des pages centrales représentant un dragon effrayant. Au retour de son père, elle réussit à l’interroger sur cette découverte. D’abord réticent, son père entame un récit fleuve en lui expliquant l’origine de ce volume et les conséquences désastreuses qui en ont découlées.

Le vrai sujet du livre
L’origine du personnage de Dracula est un tyran Valaque du XVème siècle nommé Vlad Tepes (fils de Vlad Dracul ou Dragul, signifiant « Dragon »). Vlad Tepes était extrêmement redouté de son vivant, non seulement par ses ennemis en titre, les Ottomans, mais également par son propre peuple. C’était un stratège hors pair d’une cruauté sans nom, qui ne détestait pas boire le sang de ses victimes après les combats afin d’effrayer ses ennemis, et utiliser des moyens de tortures pires les uns que les autres. Son outil de prédilection était le pieu, sur lequel il aimait empaler ses victimes dans différentes positions, c’était plus marrant. Ce passe-temps lui valut le surnom de « Vlad l’Empaleur ». Sa réputation et la crainte qu’il inspirait étaient telles, que de nombreux documents le concernant ont été imprimés au cours de son règne, chose rarissime à cette époque (le quinzième pour rappel). Vlad Tepes est devenu une légende de son vivant, entrant dans le folklore populaire par la même occasion, dans toute l’Europe de l’Est, et jusqu’à la Turquie. Pas étonnant donc qu’il ait été récupéré par la littérature et Bram Stoker pour en faire un mort vivant assoiffé de sang, sous le surnom de Dracula.

La construction du bouquin
Malgré son début « classique », The Historian est avant tout un roman épistolaire, comme le Bram Stoker (de nombreuses références discrètes y sont d’ailleurs éparpillées). Sur une trame de fond, Elizabeth Kostova mèle avec habilité différentes correspondances, entre un professeur d’histoire et son élève, entre un père et sa fille… imbriquant non seulement les histoires, mais surtout les époques : début du XXème, guerre froide, et bien sûr XVème. Cette construction est complexe mais bien menée, même si en essayant de recoller les morceaux a posteriori, on s’y perd un peu. Le véritable fil de l’histoire est bien sûr la recherche historique concernant Vlad Tepes, et là c’est à peu près un sans faute. Les informations historiques sont non seulement pertinentes et exactes pour la plupart (Cf. interview de Kostova), mais elles sont bien distillées, sans aucune esbroufe, sans syndrome internet (Cf. Transparences), mais avec un vrai travail d’historienne qu’Elizabeth Kostova est (elle a mis 10 ans à réaliser cet opus).

Pourquoi ça se dévore
The Historian est un roman étrange. J’ai lu qu’il avait beaucoup été comparé au Da vinci Code, mouais, je n’ai pas lu cet opus, mais on m’a raconté que non seulement il y avait des inepties ésotériques, mais qu’en plus il était fort mal écrit. Ici, les informations historiques sont exactes, mais en plus, ce bouquin est loin d’être mal écrit. Les 1000 pages sont d’une réelle fluidité, même traduites. Ce qui est étonnant, c’est que l’écriture de ce livre est complétement vieillote, d’une autre siècle. Ca n’est pas pour me déplaire, ça distille un charme suranné, mais l’emploi intensif du passé simple en déroutera peut-être plus d’un ! Elizabeth Kostova a un vrai talent, en effet, les personnages sont fréquemment effrayés par ce qui les entoure (ils crisent à la moindre goutte de sang), nous pas vraiment, et pourtant, on a vraiment envie de continuer, allez savoir… cette histoire est suffisamment forte pour être passionnante sans litres d’hémoglobine.

Les deux p’tits trucs (mais minuscules) qui m’ont déçu
Je vous l’ai dit, c’est un roman érudit mais sans en faire trop, sauf à un tout petit moment, un chouia longuet. Mais bon 10 pages un peu bof sur 1000 pages, ça n’est pas excessif. Enfin, on peut regretter une certaine platitude des personnages. Les gentils sont gentils, et les méchants très très méchants. Pas (ou vraiment très peu) d’attirance des gentils vers le côté obscure de la force, pas de sensualité perverse, pas de glissement subtil. Les héros-historiens sont déjà effrayés par leur propre témérité à étudier le mythique Vlad, alors pensez donc !

En conclusion (ouf, vous êtes au bout du tunnel)
The Historian est-il un roman à lire ? Sans aucun doute, car malgré son apparente légèreté, on en ressort un peu plus savant qu’on ne l’était au départ, on meurt d’envie de partir sur les traces des protagonistes, visiter les monastères bulgares, Budapest, Istanbul, les Pyrénées Orientales (et oui ! moi c’est déjà fait nananère, même si elle n’a pas gardé les noms des lieux français contrairement à ceux des autres pays… pourquoi? mystère). L’avantage de ce livre c’est qu’en plus d’être une bonne oeuvre littéraire, il peut faire un excellent bouquin de plage car il se lit avec facilité, mais sans être crétin, ce qui est un plus. Ne vous attendez pas cependant que ce livre bouleverse votre vie, il reste un divertissement avant tout. Les droits en sont déjà vendus et une adaptation cinématographique ne saurait tarder !