Chronique livre : 1Q84 Livres 1, 2 & 3

de Haruki Murakami.

1Q84 est sans doute le livre le plus paradoxal de Murakami que j’ai lu.

Dès les premières pages, on comprend à quel point l’auteur est intelligent. Alternant les chapitres sur deux personnages, il réussit à créer un phénomène d’addiction chez le lecteur que je n’avais pas ressenti depuis la lecture des Chroniques de San Francisco il n’y a pas loin de quinze ans (oui bon chacun ses casseroles hein). Ce phénomène addictif, proche de celui qu’on peut ressentir pour sa série préférée, ne tient malheureusement pas sur les quelques 1500 pages du roman. En abordant le Livre 3, on commence à comprendre le truc, à bien voir les ficelles (genre intégré un chapitre dans lequel il ne se passe rien, pour chronologiquement rattraper l’histoire de l’autre personnage), et l’arrivée d’un troisième luron dans l’affaire n’a pas titillé plus que ça mon intérêt, il m’a plutôt agacé. L’intelligence de Murakami glisse alors doucement vers la roublardise.

Par ailleurs, je dois vous avouer, que j’avais assez précisément deviné où Murakami voulait se rendre (convoquer l’ensemble des forces de l’univers pour finalement ne parler que d’une histoire d’amour), du coup, au bout de 1000 pages, j’avais envie qu’il s’y rende… vite. Ce qui n’est pas le cas.

Alors pourquoi ce phénomène d’addiction dans les deux premiers tomes ? Le savoir faire du mec, évidemment, énorme, mais aussi un personnage, Fukaéri, qui renferme à lui seul l’intérêt du livre. Quand elle disparaît de l’histoire, rien, ne va plus, on s’ennuie ferme. Tengo est bien gentil, mais ce type de personnage commence vraiment à devenir un stéréotype murakamien, Aomamé est assez agréablement mystérieuse, mais le coup du traumatisme psychologique et de l’immaculé conception, au secours. Reste Fukaéri, dont la maladresse avec les mots donne à la fois envie de lui donner des baffes, et de l’encourager avec chaleur, dont les réponses laconiques agacent et fascinent. Quand elle disparaît, le livre se met à suivre un petit chemin mou et balisé.

Pas un moment désagréable, mais j’en attends un peu plus du maître.

Ed. Belfond
Trad. Hélène Morita 

Chronique livre : Ma dernière création est un piège à taupes – Mikhaïl Kalachnikov, sa vie, son oeuvre

d’Oliver Rohe

Voilà un bouquin terriblement futé et affûté, malin comme ça n’est pas permis, et véritablement passionnant. Ceux qui me connaissent un peu seront probablement étonnés de me voir lire un tel livre: je tremble devant la moindre tapette, considère le couteau à pain comme une arme de destruction massive, et pleure pendant trois semaines, lorsqu’à bout de nerfs, je me vois contrainte de tuer une souris à coup de granulés empoisonnés. Un livre sur l’inventeur de l’AK-47, c’était donc un peu beaucoup de violence armée pour la lectrice que je suis. Mais la manière de procéder d’Oliver Rohe vaut son pesant de munitions.

L’auteur a choisi trois points de vue pour raconter le périple de cette arme : la biographie de son inventeur, l’histoire de l’arme elle-même ou plutôt l’évolution de l’arme dans l’Histoire et enfin, la description d’images emblématiques de l’usage de cette arme et de sa portée symbolique. De ce croisement, cet entremêlement entre le biographique, l’historique et la représentation d’un phénomène, naît une réelle profondeur, une vision en 3D du sujet. La vie de Kalachnikov révèle un ingénieur quasi-autodidacte, dont la folie monomaniaque créatrice et perfectionniste, est finalement à la (dé)mesure de l’histoire de l’arme qu’il a inventée. Cette folie créatrice, de l’arme idéale, a “porté ses fruits”, puisque l’utilisation massive et durable de l’AK-47, encore aujourd’hui est à la hauteur de l’intransigeance et de l’efficacité de son créateur. Mais tout l’intérêt de l’étude de l’histoire du fusil, c’est cette inversion symbolique de son utilisation, révélateur de l’évolution de la société. Tout d’abord arme purement communiste, puis “récupérée” par les groupuscules révolutionnaires de tous types, l’AK-47 est aujourd’hui un véritable symbole capitaliste, une marque de fabrique, dont les ventes et le trafic rapportent des sommes phénoménales. Glaçant.

L’écriture d’Oliver Rohe sobre, efficace, directe, n’est pourtant jamais asséchée. Et la construction alternée du récit en apporte tout le sel et la profondeur. Belle découverte.

Ed. Inculte fiction

Chronique livre : Tangente vers l’Est

de Maylis de Kerangal

Pas grand chose à dire sur ce court roman, ou plutôt longue nouvelle, résultant du voyage organisé, en transsibérien, d’un certain nombre d’écrivains français. Autant j’avais été séduite par l’Alcool et la nostalgie de Mathias Enard, écrit dans des circonstances similaires, autant Tangente vers l’Est sent vraiment la production littéraire à tout prix, la concrétisation imposée d’une expérience collective, bref, les devoirs de vacances.

Ni l’histoire, plutôt banale, ni le style de l’auteur ne parviennent à convaincre. Le lyrisme, et la puissance de l’écriture de Maylis de Kerangal apparaissent plutôt déplacés dans cette petite histoire intime entre deux êtres. On sourit plus souvent qu’on est émus par la too-much-touch de l’auteur, fabuleusement exploitée dans Naissance d’un pont, assez inutile ici.

Pas grave, mais on sent quand même la fourberie éditoriale après le succès mérité de Maylis de Kerangal en 2010 avec son magnifique pont littéraire. Et ça, c’est plutôt désagréable.

Ed. Verticales

Chronique livre : The Reversal (Titre français : Volte-Face)

de Michael Connelly.

Quand on a la cervelle vidée, épuisée, éreintée, rien de mieux qu’un petit Michael Connelly pour se mettre sur off sans abandonner la lecture.

Michael Haller, avocat de la défense particulièrement roublard, se voit proposer le poste de procureur intérimaire dans une affaire vieille de vingt-quatre ans. Jason Jessup avait alors été condamné pour l’enlèvement et le meurtre d’une fillette. Des analyses ADN réalisées en 2010 jettent le doute sur la culpabilité de Jessup. Haller, aidé de son demi-frère Harry Bosch à l’enquête, est engagé pour conduire le nouveau procés visant à faire retourner Jessup en prison.

Petite déception pour The Reversal, après deux romans nettement plus intéressants sur le fond, L’épouvantail et Les neuf dragons. Dans The Reversal, Connelly cesse de s’interroger sur la notion de héros, de manipulation, pour revenir à un mélange plus classique entre roman procedural et policier.

Outre cette pointe de déception, force est de constater que Michael Connelly n’a rien perdu de son art de l’intrigue. Le roman est composé de courts chapitres alternant les points de vue de Haller et Bosch. Ca va vite, les rebondissements sont nombreux, et il est très difficile de fermer le livre. Le dénouement est à la fois attendu et satisfaisant (le méchant est vraiment méchant et il sera puni), mais curieusement amer. L’abri isolé que Jessup avait construit n’était ainsi pas destiné à séquestrer une nouvelle victime comme Bosch l’imaginait, mais bien à lui servir de refuge, de cocon, comme l’était sa cellule en prison. A la fois bourreau et victime, Jason Jessup, réussit également à s’immiscer dans la plus grande faille de la carapace de Bosch, son amour pour sa fille.

De l’art connellien pur jus et testostérone, avec la pointe d’humanité qu’il faut pour nous accrocher.

Ed. Orion