Chronique livre : Les tribulations d’un lapin en Laponie

de Tuomas Kyrö.

Curieux livre que ces tribulations qui valent mieux que leur titre français. Hommage au Lièvre de Vatanen d’Arto Pasilina (que je n’ai pas lu), le roman de Tuomas Kyrö, sans être un grand livre, n’en est pas moins intéressant. Notre héros, Vatanescu, est un roumain fauché, un peu candide, qui veut offrir des chaussures à crampons à son fils. Mais en Roumanie il n’en est pas vraiment question. Vatanescu choisit alors de se mettre sous la coupe de Iégor Kugar et de faire le mendiant pour lui et son réseau de trafiquants d’êtres humains dans les rues d’Helsinki. Mais la situation ne lui convient pas, et suite à un coup d’éclat (qui plongera d’ailleurs Iégor Kugar dans un insondable trou noir personnel et professionnel), Vatanescu s’enfuit, et vogue de rencontres en péripéties toutes plus incongrues les unes que les autres. En parallèle, et sans qu’il s’en rende compte le moins du monde sa côte de popularité, boostée par le net, grimpe en flèche et il devient une véritable star finlandaise.

Le roman est tout d’abord assez rigolo. Notre héros, gentiment naïf, survit à toutes les situations grâce à son idée fixe, acheter des chaussures de foot à son fils. Ce leitmotiv lui sert à toujours avancer dans son aventure rocambolesque. Choisir un roumain comme héros est pour le moins sympathique et d’actualité de la part de l’auteur. C’est même assez culotté. Le renversement de situation final (que je ne vous raconte pas), mais en évidence toute la subjectivité du regard : celui qu’on ne considérait que comme un mendiant tout en bas de l’échelle sociale, voire qu’on ne considérait pas du tout, devient en symbole de réussite sociale et humaine.

L’auteur porte par ailleurs un regard tout à fait aiguisé sur la société moderne, et sur les personnes qui la compose. Kyrö, avec un rythme tout à fait soutenu, décrit un monde et des gens uniquement par le biais de leur réussite sociale et professionnelle, ou des biens matériels qu’ils possèdent. Cette société apparaît finalement vide de sens, et même notre gentil Vatanescu n’a qu’une envie, c’est de rentrer dans le système. Et même la scène finale, pourtant mignonne et tendre comme tout, se révèle assez triste, puisque même si elle traite de sentiments et d’amour, il y est encore question de possession et de l’équation bonheur=avoir.

Un roman donc plus profond qu’il n’y paraît sous ses aspects loufoques et son titre pas très engageant.

Ed. Denoël et d’ailleurs
Traduit du finnois (je souligne parce que ce n’est quand même pas courant courant) par Anne Colin du Terrail

Chronique livre : Sur la route du papier – Petit précis de mondialisation III

d’Erik Orsenna.

Après une réussite (Voyage aux pays du coton), et un hors-sujet (L’Avenir de l’eau), Erik Orsenna choisit l’option du ratage complet avec cette route du papier dont on ressort clairement dubitatif. Que retient-on de ce périple mondial ? Franchement pas grand chose, à part probablement une grosse dépense de kérosène, et un bilan carbone exécrable.

Erik Orsenna transforme son périple en guide de voyage, distillant bonnes adresses (numéros de téléphone inclus) avec générosité. Alors certes, durant son voyage, il a rencontré moult producteurs de papiers, bûcherons et origamistes, découvrant ce monde complexe avec son enthousiasme sans faille, et son émerveillement constant. Oubliant complètement son esprit critique dans un placard bien vérouillé, Erik Orsenna nous raconte sur plus de 300 pages à quel point l’homme, son esprit d’entreprise et son ingéniosité sont formidables. Sûrement grâce à cette longue liste de bonnes adresses.

Un vrai Petit Futé. Une reconversion à envisager ?

Ed. Stock

Chronique livre : Sale temps pour les braves

de Don Carpenter.

Amateurs de westerns, passez votre chemin, Sale temps pour les braves n’a rien d’un livre de cowboys, contrairement à ce que son titre pourrait suggérer. Certes, Sale temps pour les braves commence viril. Des jeunes de 14 ans, déjà des petites frappes, pas méchantes mais sur la mauvaise pente, se saoulent et jouent au billard. Parmi eux, Jack, abandonné à sa naissance, et Billy, un prodige au billard. Jack, Billy, Don Carpenter suit l’un et l’autre de ces deux personnages au début de son roman, pour finalement se concentrer sur Jack, brièvement rejoint par Billy. Le roman sur terminera sur un autre personnage, l’antithèse parfaite de nos deux personnages précédents. Entre les deux, Jack passe par la case maison de correction, prison, mariage. De chaînes en chaînes.

Pas particulièrement séduite par l’écriture, j’ai eu plutôt du mal à rentrer dans le roman. Un peu sèche, parfois décousue surtout lorsque Don Carpenter décrit des événements, l’écriture devient cependant plus intéressante dès que les personnages sont perdus avec eux-mêmes, dans leurs pensées. Et c’est ça qui est vraiment beau dans le livre. Parce que Sale temps pour les braves est véritablement un roman d’apprentissage. Jack, d’expérience douloureuse en expérience douloureuse apprend progressivement à vivre, à réfléchir, à ressentir et à aimer. Son compagnon d’apprentissage, son ange gardien, c’est Billy, Billy son compagnon de cellule, et puis, certaines barrières viriles tombées à cause d’un manque trop grand, et d’une attirance mutuelle, compagnons de lit. On pense à Brokeback Mountain bien sûr, pour cet amour entre hommes, sans rien de racoleur, qui tient juste du fait et de l’évidence, et qui permet à Jack d’accéder au statut d’homo sapiens sapiens.

Les pages les plus belles sont celles où Jack réfléchit, sur lui, l’amour, la liberté. Une liberté qu’il a mis du temps à conquérir, et qui pourtant reste toute relative. Cette philosophie de rien, moquée par sa femme (personnage incroyable que Sally), est pourtant particulièrement bouleversante, par sa simplicité et son innocence. Jamais au-dessus de ses personnages, Don Carpenter, malgré un style un peu heurté, a écrit un roman vraiment attachant, profondément humain, et finalement assez beau.

Ed. Cambourakis
Trad. Céline Leroy 

Chronique livre : Anaïs ou les Gravières

de Lionel-Edouard Martin.

Notre narrateur est journaliste, correspondant local pour une presse poitevine, dans une ville sans nom et sans histoire. Sans histoire ou presque. Une nuit, dans un accident, Nathalie, son amoureuse est morte, ils étaient deux dans la voiture. Depuis, le journaliste survit, sans réussir à trouver le sommeil, la veille pleine des mots qu’il a dû écrire ce jour-là pour la une de son journal. Puis une jeune fille, Anaïs, meurt assassinée sur le pas de l’appartement qu’elle partage avec sa mère. A priori, rien à voir, mais Anaïs et Nathalie avaient le même âge. La mort d’Anaïs reste un mystère. Le journaliste tente de remplir les vides de cette histoire, de s’emplir des mots des autres, jusqu’à les abandonner pour choisir la voie de l’imaginaire. Sans doute ce qui lui manquait pour réussir à exorciser son mal, à cohabiter avec ses fantômes.

L’originalité de ce roman tient avant tout dans son écriture, d’une grande liberté. Entre oralité et poésie, sa précision frôle parfois l’abstraction, laissant au lecteur des images puissamment évocatrices en tête. L’intrigue policière n’est bien sûr qu’un prétexte, prétexte à nous présenter une galerie de personnages pittoresques, et à découvrir les réflexions de son héros. Ces réflexions sont essentiellement tournées autour de la notion de vide. Des gravières qu’on creuse pour en extirper le sable dont on fait les tours, dans lesquels des appartements-coquille-vide servent de refuge aux humains, eux-mêmes remplis du vide de la disparition. Comment combler ces vides ? et faut-il les combler ? Et avec quoi ? Autant d’interrogations qui planent sur cette histoire, ces histoires plutôt,  pleines d’un mystère qu’il faut finir par accepter.

On pense au nouveau roman, bien sûr, dans cette juxtaposition de temporalités, ce puzzle géographique et temporel que le lecteur reconstitue progressivement, sans vraiment toujours réussir à faire coller les bouts. La construction est en ça très intéressante, et interroge le lecteur en permanence, faisant de lui une pièce à part entière du puzzle.

Le seul détail un peu gênant de ce beau roman, c’est cette utilisation intensive d’un vocabulaire au registre élevé. L’auteur aime passionnément les mots, les références et aime passionnément jouer avec. Cela se sent, mais cela se sent un peu trop. Je n’ai rien contre apprendre de nouveaux mots, hein, soyons clairs. Mais à trop orner son texte, à trop le bourrer de références, le lecteur se sent parfois mis à l’écart. Entre Pergolese et James Blunt, en passant par Arletty, ça fait le grand écart. Le récit mériterait d’être plus centré, centré sur ses personnages et leurs sensations, sur ces lieux magnifiquement décrits, sur la puissance poétique et cinématographique de ce style si particulier. Un bel auteur donc, dont la bibliographie déjà fournie donne envie de partir à la pêche aux trésors.

Ed. Les Editions du Sonneur

PS : il y a, dans Anaïs ou les Gravières une scène de suicide qui ne « manque pas de panache », comme diraient nos deux zigotos  du Grand Soir

Chronique livre : Richard Yates

de Tao Lin.

Glaçante histoire d’amour entre deux geeks pas très bien dans leur peau, Richard Yates bouscule. “Dakota Fanning” a seize ans et converse de mail en chat, de chat en texto, de texto en coup de fil, de coup de fil en lettre, etc… avec “Haley Joel Osment”, jeune poète de vingt-deux ans. Ils finissent par se rencontrer, puis “se mettre ensemble”…

Tao Lin nous raconte cette banale histoire d’amour, en rapportant discussions internet, descriptions factuelles des actes des protagonistes. Sujet, verbe, complément, la prose de Tao Lin est totalement dépouillée de tout adjectif, adverbe. Ce dépouillement, cette simplicité, cette platitude, créés une distance totale avec cette histoire, tout comme ces personnages sous pseudo semblent incapables de vivre vraiment les choses sans l’intermédiaire des nombreux moyens de communications qu’ils utilisent.

L’indifférence et le vide qui s’en dégagent sont tout simplement terrifiants. Le lecteur est happé dans une spirale de mots, peu à peu asséchés de tout sens, des mots virtuels, sans substance, et pourtant qui réussissent à faire souffrir. Le langage et sa surabondance, utilisés à distance, à tort et à travers et deviennent les despotes absolus de la vie de Dakota Fanning. Haley Joel Osment attend tout d’elle, décortique ses moindres faits et gestes, sa manière d’être. Le clavier et la virtualité de leurs échangent libèrent sa parole, il lui dit tout ce qui ne lui a pas plu, lui reproche ce qu’elle n’a pas fait, les mensonges qu’elle lui a dit. Le “jeu” qu’il déploie, tout en chantage affectif est douloureux, douloureux pour Dakota Fanning, qui essaie de se plier aux exigences du maître, mais n’y arrive pas toujours, douloureux pour le lecteur qui voit s’enfoncer Dakota Fanning dans son amour pour ce tyrannique poète. Il ne reste au final, que la paradoxale solitude de ces deux êtres, pourtant en permanence en train de communiquer.

Il y a bien sûr du Beckett là-dedans, un Beckett de l’ère 2.0. Mais contrairement à ce qu’annonce la quatrième de couverture, rien d’hilarant dans ce roman, qu’on termine avec la sensation glacée d’avoir atteint le bout d’une impasse, sans possibilité de retour. Je répète, terrifiant.

Ed. Au diable Vauvert
Trad. Jean-Baptiste Flamin

PS : Le titre Richard Yates est, je suppose, un hommage à ce très très grand auteur américain, dont je vous conseille vivement la lecture. Ses personnages aussi ont bien du mal à trouver comment vivre.