Chronique livre : Autobiographie des objets

de François Bon.

Le temps des objets a fini.

Première fois dans l’univers de François Bon, et stupéfaction après quelques pages de ne pas le trouver là où je l’aurais imaginé. On est toujours trop prompt à enfermer dans des cases les auteurs qu’on n’a pas lus.

Parlons du titre tout d’abord. Ce titre intrigant Autobigraphie des objets. Que va-t’on lire ? L’autobiographie de François Bon via les objets de sa vie ? En ce cas, tel un tableau, le titre aurait pu être “Autobiographie aux objets”. Non le titre révèle un point de vue plus complexe dans lequel les objets se trouvent eux-mêmes en position de dresser leur biographie, parce qu’il est temps de le faire. Mais évidemment les mots émanent de François Bon. Aussi dresse-t-il à travers l’évocation de divers et hétéroclites objets qui ont peuplé sa vie “avant l’écrit”, à la fois sa propre biographie, éclatée, fragmentaire, et la biographie des objets qui recoupent la sienne.

La démarche m’a tout d’abord paru nimbée d’une nostalgie toute modianesque, cotonneuse et ouatée. L’écriture, très sage au début ne fait pas grand chose pour dissiper le malentendu, et le catalogue, sans être désagréable, fait tout de même gentiment bailler.

Mais voilà, à un moment, passe un petit frisson, puis les frissons se multiplient, et Autobiographie des objets, progressivement, acquiert profondeur et émotion. A mesure que se rapproche l’objet ultime et fondateur (que je vous laisse découvrir), que se révèlent les intentions de François Bon, le lecteur se voit lui aussi acculé à ausculter sa relation avec ses propres objets, les rapports entretenus avec eux, l’évolution de ces rapports, et surtout la place qu’occupe aujourd’hui les objets dans sa vie, et dans la société en général. On se retrouve face à ses propres fantômes, tout en aboutissant à une réflexion sur les métamorphoses de la société et c’est assez bouleversant.

A la fois ample, profond et introspectif, Autobiographie des objets se goûte lentement, mais finit par s’imposer avec force à la tête et au coeur. Touchée pour de vrai.

Ed. Editions du Seuil

Chronique livre : Bois Sauvage

de Jesmyn Ward.

Gros coup de coeur pour ce roman Deep South, d’une jeune auteure américaine encore inconnue en France. Mais gageons que cet état de fait se dissipera très vite : Bois Sauvage a de quoi réconcilier amateurs d’histoires et exigeants littéraires.

Admirablement traduit par Jean-Luc Piningre, Bois Sauvage situe son histoire dans un coin paumé et déshérité du Mississippi. Pendant les dix jours qui précèdent l’arrivée de l’ouragan Katrina, le lecteur est invité à suivre Esch, jeune adolescente de quinze ans, sa nombreuse et compliquée fratrie, son père monomaniaque, et la chienne de combat de la famille, China. La famille n’a pas d’argent, et se débrouille un peu à la va comme je te pousse. Dans dix jours, l’ouragan Katrina va tout dévaster, mais à part le père, tout le monde s’en fout : un des frères est obnubilé par sa chienne qui vient d’accoucher, un autre par un stage de basket qui lui permettrait de sortir de la merde, et Esch n’a que Manny dans la tête, et puis de plus en plus dans le ventre aussi.

Loin de tomber dans un quelconque misérabilisme (et c’est là un véritable tour de force), Jesmyn Ward réussit à donner vie à cette famille bancale, dans laquelle chaque membre est enfermé dans ses obsessions. Certes le contexte social est particulièrement gratiné, mais ce qui intéresse l’auteure, ce sont vraiment ses personnages, et la mythologie qu’elle arrive à créer autour d’eux. Comme Esch qui lit Médée pour l’école, et se demande si son Manny ne serait pas un peu Jason sur les bords, Jesmyn Ward construit un édifice autour de ses personnages sous la figure tutélaire de la mère, et de ses déclinaisons. Médée bien sûr, qui tue ses enfants par amour pour un ingrat, la mère de Esch et de ses frères, morte en couche, mais dont la présence continue à imprégner la vie de la famille, China, la belle dangereuse, y compris pour ses chiots, puis Esch, celle dont l’avenir est peut-être le moins sombre de la tribu, mais dont la maternité remet tout en cause, et enfin Katrina, l’ouragan dévastateur qui fera reset.

Ne pas prendre ses personnages pour des cas sociaux, mais pour des êtres humains vivant dans un contexte social difficile, c’est une des grandes qualités de ce livre particulièrement maîtrisé et bien construit. Il faut également reconnaître à Jesmyn Ward une écriture tout à fait convaincante. Elle se glisse dans la bouche de Esch grâce à une langue parlée, rude et parfois étrangement poétique. Il y a quelque chose de très puissant dans cette écriture, qui sent la terre et la sueur, une façon d’aborder la vie comme un tout, reliée aux éléments, sensible à ce qui l’entoure.

Bois Sauvage est un livre plein de grâce, profondément émouvant et à l’intelligence dévastatrice. Une très belle découverte.

Trad. Jean-Luc Piningre
Ed. Belfond 

Chronique livre : Autour de moi

de Manuel Candré.

Une bonne surprise que ce court roman biographique, juxtaposition de souvenirs éclatés, d’une enfance bousculée. Manuel, orphelin de mère très tôt est élevé par ses grands-parents paternels, son père, alcoolique, étant fort peu apte à s’occuper de son fils.

Evitant tout misérabilisme, l’auteur nous livre ses souvenirs. Cette enfance, il n’arrive visiblement pas à s’en extraire, incapable de passer à autre chose (même son psy le lui dit). On comprend facilement pourquoi en lisant ces quelques pages. Si le livre n’a pas grand chose d’intéressant, ni d’ambitieux, ni de particulièrement nouveau dans sa forme, c’est plutôt par son écriture qu’il réussit à toucher. Manuel Candré raconte cette enfance dominée par la mort, d’une écriture intense, parfois furieuse, souvent étrangement poétique et évocatrice.

Ces souvenirs sont le révélateur de motifs obsessionnels, la mort (celle qu’on subit, celle qu’on donne), la peur de la folie (celle qu’on subit, celle qu’on sent poindre en soi). Le tout est particulièrement tenu pour un premier roman, et le regard lucide, sans concession, très sombre, laisse pourtant percer quelques éclairs d’humour désabusé. Reste à espérer que Manuel Candré ait réussi par l’écriture de ce livre à se débarrasser de son enfance. Et on espère qu’il aura, au delà de cet épisode de sa vie, autre chose à nous proposer, histoire qu’on tâte à nouveau de son écriture.

Ed. Joëlle Losfeld

Chronique livre : Les affreux

de Chloé Schmitt.

Premier livre d’une toute jeune femme, Les affreux surprend plutôt agréablement par l’originalité de son sujet : un homme cloué dans un fauteuil par un AVC commente le monde dans lequel il vit. Poids mort à la charge de sa famille, il est baladé de maison en appartement et décortique les réactions de ses proches, que sa présence immobile bouscule.

Au crédit de Chloé Schmitt, on peut porter une approche intéressante de la langue, une langue très parlée, heurtée, émaillée de quelques surprenantes phrases définitives, et d’un sens du rythme, malheureusement trop ponctuel.

Cependant, au-delà de l’audace du sujet, et de quelques beaux morceaux stylistiquement parlant, le roman est très inégal. Certains passages, très faibles, bourrés de facilités d’écriture (insupportable multiplication des points d’interrogation par exemple), révèlent la jeunesse « littéraire » de l’auteure. Heureusement, on sent une progression au fil de la lecture, et on se dit que Chloé Schmitt pourra sans doute se bonifier avec la pratique. Autre point dérangeant, et sans doute lié à sa jeunesse, cette « vision volontairement noire et cracra du monde, mais émaillée de petits éclairs de lumière tellement émouvants quand même. »

Se mettre dans la peau d’un homme d’une quarantaine d’années cloué dans un fauteuil, c’est un sacré challenge pour une jeune femme, et l’univers qu’elle essaie de créer a quelque chose d’assez factice dans sa laideur, une laideur un peu forcée, trop composée pour être sincère. Sur ce point, j’ai beaucoup pensé au raté On ne boit pas les rats-kangourous d’Estelle Nollet : deux premiers romans, même éditeur (Albin Michel), deux jeunes auteures, une même tentative de créer un livre très sombre, au style parlé, probablement même références littéraires… Mais là où Estelle Nollet essayait de nous apprendre un peu c’est quoi la vie à la fin de son roman, et c’était particulièrement gavant, Chloé Schmitt réussit au final à presque emporter l’adhésion grâce à son dernier chapitre. L’auteure n’a aucune leçon à nous asséner, et c’est très bien comme ça.

Malgré tout, Les affreux apparaît plus comme un simple exercice de style « Vous raconterez en 200 pages la vie d’une homme qui a perdu l’usage de son corps et de sa parole », que comme un véritable premier roman. Nul doute que ce livre, accompagné d’un bon plan com’ autour de la jeunesse de son auteure, sera très apprécié. Pour moi, c’est la moyenne, mais avec de très sincères encouragements, et une curiosité certaine pour la suite de l’aventure.

Ed. Albin Michel

Chronique livre : La grande bleue

de Nathalie Démoulin.

Difficile d’écrire sur ce livre tant il est paradoxal. En brossant le portrait d’une jeune femme dans les années 70, Nathalie Démoulin fait montre d’une belle ambition, sensibilité et culture. Il y a en effet l’envie de bâtir un livre ample, en mêlant la petite histoire intime de son héroïne, et les bouleversements historiques des années 70. En sous-texte, il y a évidemment toute un réflexion sur la condition de la femme, la notion de liberté, d’émancipation. L’écriture de Nathalie Démoulin, classique, est plutôt belle.

Malheureusement, il est bien difficile d’être aussi ample et ambitieux en seulement deux cents pages. Nathalie Démoulin utilise donc un procédé littéraire consistant, après une exposition des motifs de chaque chapitre, à invoquer l’Histoire, et à anticiper les histoires de ses personnages grâce à la formule “on + futur simple” : “On verra alors, … on sera alors,…”. Évidemment, au lieu d’apporter de l’ampleur, le procédé enferme son récit dans une forme systématique et sclérosante. Le livre en acquiert une grande lourdeur, que ne compense pas l’intérêt du sujet. Cette forme roide tient également à distance toute émotion, alors même que cette histoire porte en elle une certaine charge émotionnelle.

Comme son héroïne, mariée trop jeune, qui a l’impression de ne pas vivre sa vie, le lecteur est tenu à distance du roman, et a bien l’impression qu’on ne veut pas de lui dans ce récit. C’est bien dommage, tous les ingrédients de base étaient bons.

Collection La brune
Ed. du Rouergue