Chronique livre : La Pêche à la Truite en Amérique

La Pêche à la Truite en Amérique
suivi de
Sucre de Pastèque
de Richard Brautigan

La Pêche à la Truite en Amérique fait partie des bidules dont on ne sait trop comment ils ont réussi à se faufiler jusqu’à l’imprimerie.

Succession de très courtes nouvelles, La Pêche nous entraîne dans un univers absolument indescriptible, absurde et surréaliste. Impossible de vous raconter une quelconque intrigue, on est dans la petite touche, le détail loufoque, l’absurde quotidien. Ici, on peut acheter des bouts de ruisseau en vrac dans une droguerie (les animaux sont en option), on s’éclaire à l’huile de truite mélangée au sucre de pastèque.

Poétique et doux, on finit par se dire que Brautigan était un vrai naïf. Etonnant, non ?

Chronique livre : La Morue de Brixton

 de Timour Serguei Bogousslavski

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C’est avec une légère pointe d’anxiété que j’aborde la chronique de ce pavé merveilleux. Je sais qu’elle sera lue. Premier roman autobiographique, publié il y a dix ans, d’un homme de 84 ans, La Morue de Brixton est à ranger dans la catégorie des livres qui peuvent changer une vie, ou du moins la perception qu’on a de la vie, et la façon d’aborder la sienne propre.

Dans un style d’un incroyable richesse, coloré, foisonnant, émaillé d’un argot aujourd’hui exotique, le livre s’approche doucement pour se finir au pas de course. Un fois achevé, une fois posé au pied du lit, on ne peut s’empêcher de le rattraper du bout des doigts, d’en relire les premières pages, pour quelque temps encore côtoyer ce fascinant personnage au passé sombre et à la plume lumineuse.

Privé de sa mère trop tôt, fils d’aristo déchu, amateur de beauté et d’art, il s’est crée une vie, libre des contraintes de la société, ne suivant que son cœur et son inextinguible soif d’aimer et d’être aimé. C’est parfois très noir, le drôle payant souvent cher le prix de sa liberté, baladé de geôles en cages, mais réchappant à tout. Il traverse la guerre, l’espadrille trouée mais la dégaine hautaine, le mépris pour tout ordre établi, tout travail régulièrement rémunéré, toutes religions. Il crache sur tout et tout le monde, exècre la misère.

Et pourtant, ému par le moindre geste de bonté, bouleversé par la beauté du monde et des êtres, c’est baigné de lumière qu’on achève ce roman qui tourneboule. Alors on rêve quelques instants d’être aimé d’un amour aussi profond et sensible, aussi tendre et absolu, et d’aimer, de la même manière.

Être paradoxal, hors-norme, contestable et libre, Timour Serguei Bogousslavski a écrit là un roman magistral, et a gagné le salut profond de la pauvre salariée, abrutie par le système que je suis. Il me paraît indispensable que les nombreux lecteurs de ces quelques lignes se procurent par tous les moyens légaux (ou autres), La Morue de Brixton. Dont acte ?

 

Chronique livre : Retour à Coal Run

 de Tawni O’Dell.

51X_yRl5Z8LVoici un bien joli bouquin, qui hélas s’oublie à peu près aussi vite qu’il a été lu. C’est dommage car à la lecture c’est vraiment agréable et le livre est assez intelligemment composé.

Le début est vraiment excellent, racontant l’apocalyptique explosion d’une mine. Sol qui s’effondre, familles qui accourent au milieu d’un monde qui s’écroule, pour ne plus trouver que cendres et mort. L’écriture est sensible, et en assez peu de pages, c’est tout un univers qui jaillit sous nos yeux, avec ses petites habitudes qui masquent mal la peur de l’accident.

Après cette brillante scène d’exposition, la suite de l’histoire n’est pas tout à fait du même niveau. Le héros, bien piteux est assez sympathique, baladant avec lui son penchant pour le scotch, ses genoux foutus, et un secret un peu trop gros pour lui. La galerie des personnages secondaires est assez marrante, du neveu de 6 ans, qui porte une cravate pour se sentir important, à la sœur qui n’est pas une fille facile, mais assez conciliante quand même. On place le tout dans une société en déliquescence, et le tour est joué. On ne s’ennuie pas une seconde, c’est plutôt bien écrit, mais un peu convenu, on sent la recette bien appliquée.

Un très bon roman de vacances. C’est pas si mal, même si pas tout à fait suffisant.

Chronique livre : La Ville et les Chiens

de Mario Vargas Llosa.

J’aimerais bien pouvoir vous dire que ce livre est un des meilleurs que j’ai lus depuis longtemps. Malheureusement, ou plutôt heureusement, ce n’est pas le cas puisque mon conseiller littéraire depuis quelques mois se révèle précieusement inestimable et irremplaçable. N’empêche, la Ville et les Chiens, est, je crois pouvoir le dire sans trop me mouiller, un des plus beaux livres que j’ai lu de ma courte (enfin plus tant que ça) vie.

Comme d’habitude avec mon conseiller, on n’est ni chez Oui-Oui, ni chez Martine à la plage, et le début du livre étant un peu complexe, il faut une bonne dose de concentration pour plonger dans cet univers touffu et pourtant tout simple et cohérent.

Au collège militaire de Lima, Leoncio Prado, on suit l’itinéraire de 4 cadets, d’origines sociales différentes dans un pays en déliquescence. Alberto, dit le Poète, écrit des nouvelles érotiques pour ses camarades afin de se payer des clopes, Ricardo, « l’Esclave », souffre-douleur de toute la section, le Jaguar, adolescent prédateur, trouble et violent, et en pointillés, le Boa qui a pris sous son aile, pour le meilleur et surtout pour le pire, la Malencouille, une chienne qui traîne dans le dortoir. Evidemment, autour de ces personnages en gravitent bien d’autres, élèves, corps enseignant, famille, filles…

Le début est déroutant et cru, mélange des voix de tous, dans un flot continu de pensées. Passé, présent, imaginaire, tout se fond de manière assez surréaliste afin de mettre en place l’histoire. C’est complexe et très beau aussi. Puis le récit se fait plus construit du moment où rentre dans l’histoire, la discrète Teresa, dont est amoureux L’Esclave… puis Alberto. Car au milieu de cette univers de violence, de méchancetés, de noirceur, de dissimulation, c’est finalement l’amour qui conduit les gars à faire leur plus grosses conneries.

Mus par le désir d’être aimés, ces ados, finalement pas si loin de l’enfance, ont grandi trop vite, sans amour, quelque soit leur origine sociale. Et c’est le besoin de reconnaissance, d’affection, d’un peu d’attention et de chaleur dans le regard qui les poussent à agir. Le livre constitue en ça un témoignage extraordinaire sur l’adolescence, et le passage à l’âge adulte, sur l’incroyable besoin d’être, de se sentir exister. C’est d’un romantisme noir assez ravageur.

Quand on comprend, à la toute fin que les encarts sur l’histoire de Teresa et d’un gamin qui tourne mal, ne sont pas une œuvre romanesque du Poète, mais la véritable histoire du Jaguar, on pleure. Une fille, même pas très belle, trois gars du même Collège militaire, une seule histoire. Teresa, symbole de la femme, insaisissable, et qui finalement mène le monde par sa seule existence. C’est grand.

Chronique livre : Moby Dick

de Herman Melville

C’est sur les conseils du précieux et pointu d’un avisé ami que je me suis lancée dans la téméraire aventure qu’est la lecture de Moby Dick. On ne présente plus ce roman de quelques 732 pages (préface Gionesque comprise).

Ishmaël, seul survivant de l’équipage du Péquod, navire baleinier, raconte l’histoire qui a conduit au naufrage. Achab, le capitaine du vaisseau, s’étant fait grignoter la jambe par un cachalot blanc, monstrueux et légendaire surnommé Moby Dick, et l’ayant assez mal vécu, décide d’abattre la baleine coûte que coûte. Il entraîne dans cette chasse folle et éperdue tout ses hommes.

Bon. L’histoire tient en 3 lignes, le livre en 732, vous vous doutez bien qu’il y a dilution. Admirablement bien écrit, Melville, par souci d’exhaustivité, dresse un tableau complet de la chasse à la baleine. Description du navire, des baleinières, de chaque métier sur le bateau, liste complète du stock de boustifaille (ils ne se marraient pas trop des papilles les marins, faut avouer), du code baleinier (là, on atteint un sommet puisque le code baleinier ne possédant que 2 articles, et le chapitre 50 pages de jurisprudence baleinière), de l’anatomie de la baleine, du traitement qu’on lui inflige… bref, pour peu qu’on ait un tant soit peu de mémoire, on devient très savant, et on se sent tout prêt à aller massacrer de la baleine.

Il faut bien avouer, qu’en tant que nana, écologiste, biologiste, pacifiste du XXIème siècle, tout ça est assez insupportable, d’abord car il y a des énormités scientifiques (oui, je sais, c’est pas la même époque, blabla blabla, n’empêche, ça me tord les tripes quand je lis que la raréfaction des baleines n’est qu’une vue de l’esprit, c’est juste qu’elles se planquent parce qu’elles n’aiment pas être dérangées), et puis c’est long… très long… très très long.

Bon, en même temps, en dehors des descriptions, sur les quelques dizaines de pages qui restent, on est dans le génie pur, un art de la formule qui cloue au fauteuil pendant de longues minutes, et qui fait griffonner sur n’importe quel bout de papier quelques mots à retenir. C’est un réflexion profonde sur la place de l’Homme dans la nature, et Dieu. Achab, en se lançant dans cette folie, se prend pour Dieu, voulant mettre à ses pieds les forces de la nature. L’incroyable prétention qui l’anime le pousse à la destruction. Le livre est également bourré de réflexions profondes, et cette fois-ci très modernes, sur les questions de tolérance, liberté de culte etc… C’est dans les dialogues, et les passages très théâtraux de la fin, que le roman acquiert une véritable dynamique. Les monologues d’Achab sont extraordinaires d’amplitude, de lucidité et de folie, une force malveillante le pousse au cataclysme, incarnée physiquement par une de ses sombres recrues. Bref, un chef-d’œuvre au souffle intermittent. Comme la baleine.