Chronique livre : Le ravissement de Britney Spears

de Jean Rolin.

Pas de bol pour notre narrateur : agent dans les services secrets français, il est envoyé à Los Angeles, seul, pour démanteler un soi-disant complot islamiste visant Britney Spears. Une fois sa mission (mais en était-elle vraiment une ?) ratée, notre héros est envoyé, punition ultime, relever les plaques d’immatriculation au Tadjikistan. Le roman se balade entre ces deux lieux géographiques, et raconte les errances de l’agent secret dans un Los Angeles complètement désincarné, et une zone militarisée dans laquelle le sport préféré est la traque des espèces de mammifères en voie de disparition.

Jean Rolin se compose (enfin a priori pas tant que ça) un personnage bancal, contestable, distancié et pour tout dire assez drôle. Il traîne sa carcasse dans des errances vaines, traque Britney, et mais finalement préfère Lindsay. Ses phrases, tortueuses, ultra et sur-composées, lui donne un style précieux en même temps que dérisoire. Quoi de mieux pour raconter la vacuité de ce monde qu’il doit protéger ? Le livre montre une certaine fascination de midinette pour les starlettes : finalement, ces filles sont traquées par des hordes de paparazzi et de fans qui n’attendent qu’une chose, le faux pas, la chute, de préférence, la plus humiliante possible. Elles sont touchantes justement parce qu’elles font des conneries, parce qu’elle ne sont pas parfaites. Et c’est ce côté du livre qui est le plus intéressant justement, cette description de cette ville morte-vivante dans laquelle les seuls foyers de vraie vie sont finalement ces stars qui entraînent malgré elles et avec elles, le public dans tous leurs déplacements.

Bon à part ça, il faut avouer qu’à force de baguenauder, de raconter ses errances, Jean Rolin tourne un peu à vide. Assez difficile de s’intéresser systématiquement à ces descriptions minutieuses de Los Angeles quand on ne connaît pas du tout Los Angeles. On pourrait lire, tout en surfant sur Google Maps, m’enfin, ça n’est pas très pratique. Du coup, on a parfois l’impression d’être dans Vingt mille lieues sous les mers, lorsque Jules Verne décrit sur quarante pages un banc de poissons, ou dans Notre-Dame de Paris, quand Victor Hugo raconte tuile par tuile, la vue depuis la cathédrale.

Reste un roman souvent drôle, original, intelligent, et très finement écrit. Not too bad.

PS : je viens de tomber sur des critiques de ce livre rédigées par des fans de Britney. Assez hilarant.

Chronique livre : Limonov

D’Emmanuel Carrère.

Limonov. Personnellement, je dois avouer que je n’avais jamais entendu parler de cet homme. Je n’avais jamais non plus lu de livre d’Emmanuel Carrère. Voilà donc ces lacunes comblées. Le livre d’Emmanuel Carrère retrace la vie d’Edouard Limonov donc, né en 1943 dans une URSS où on n’hésitait pas à vous envoyer au goulag pour un rien. Provincial, né dans une famille lambda de petits fonctionnaires, Limonov dès son enfance veut autre chose. Il veut briller, avoir le monde à ses pieds. Mais pas facile à cette époque et dans ce pays de se sortir de la masse. Et puis il ne sait pas trop comment. Pas grave, il va tout tester. Il sera poète underground, tailleur, gouvernante, écrivain, soldat, politicien… Il commencera par aller de manière clandestine à Moscou en quittant sa province ukrainienne, puis émigrera aux Etats-Unis du temps où les départs étaient définitifs. Il passera par la France, puis retournera à Moscou, puis dans l’Altaï, en passant par la case prison et camp de travail.

L’homme passe donc sa vie à la recherche d’autre chose de plus grand, de plus haut. Mais tout le paradoxe de Limonov, c’est que finalement, il méprise toute forme de gloire lorsqu’elle n’est pas la sienne, et respecte plus les petits, les mendiants, les voleurs, que les grands de ce monde. Cette énergie incroyable, ajoutée à une aspiration permanente à l’action font de Limonov quelqu’un de peu recommandable, expert en conneries, dont certaines vraiment moches. Tout ça transforme le héros potentiel qu’il pourrait être en un type très discutable. Au fur et à mesure que se déroulent ses recherches, Emmanuel Carrère doute souvent, notamment de l’intérêt de raconter l’histoire de ce personnage, et ses hésitations reflètent bien toute la difficulté de cerner Limonov, à la fois trivial, détestable et fascinant.

Mais ce qui semble intéresser essentiellement Emmanuel Carrère, c’est, au travers du portrait de Limonov, raconter l’Histoire de l’ex-URSS depuis 1943 jusqu’à nos jours. Et c’est absolument passionnant. L’avantage quand on a une mémoire de moineau lorsqu’elle s’agit d’histoire, c’est que quand on replonge dedans, c’est à chaque fois une redécouverte. Là, c’est un vrai bonheur. Carrère a une plume très libre, simple, directe, mais en même temps d’une grande précision. Et Limonov se dévore littéralement tant la façon dont il raconte l’Histoire est fabuleuse. Ca va vite, c’est rythmé, c’est clair, circonstancié, les protagonistes dont nous parle Emmanuel Carrère ne sont pas que des figures historiques de papier glacé, mais des hommes et des femmes qui jouent leur rôle comme ils veulent, ou la plupart du temps, comme ils peuvent.

A la fois personnel, et ample, Limonov mêle les tourments de l’intime et de l’Histoire. Le regard d’Emmanuel Carrère, qui ne s’érige pourtant jamais en juge, est acéré, pointu. L’auteur oscille entre tendresse, fascination et répulsion pour son héros, et réussit à embarquer le lecteur avec lui avec une grande maestria. Ca ne se lit pas, ça se déguste, c’est romanesque et humain à souhait et ça fait beaucoup beaucoup de bien. Un peu peur aussi.

Chronique livre : Le coprophile

de Thomas Hairmont.

Mais qu’allais-je faire dans cette galère merdeuse nom de Zeus ! Une semaine après avoir fini ce roman ma perplexité demeure. Plutôt séduite par la critique des Inrocks (décidement, lecteur, il ne faut jamais lire de critiques… enfin euh presque), et voulant sans doute me confronter à une de mes aversions assez profondes, je me suis lancée dans la lecture de ce Coprophile.

Notre héros est un doctorant en mathématiques. Lassé de sa vie New Yorkaise et aspirant à un univers plus propice aux grandes découvertes, il change d’université. Le voilà dans une fac ultra-top moderne et aseptisée Californienne, dans une ville où entreprises, centres de recherche et d’enseignements se côtoient. D’abord séduit par les lieux, il déchante ensuite très vite, et comme tout bon thésard qui se respecte fait une bonne grosse dépression. Au lieu de la noyer dans les petites pilules du bonheur, il se découvre une fascination pour la merde. Après l’étape de stockage dans son réfrigérateur, puis de tartinage du corps et enfin de l’ingestion, il rencontre une autre étudiante qui le convertit définitivement à la coprophilie, et l’introduit dans le milieu coprophile, aux rituels pour le moins salissants. Bon voilà.

Et à part cette thématique racoleuse qui y’a t’il derrière ce livre ? Je serais tentée de dire pas grand chose. Le livre tourne trop au grand guignol pour vraiment choquer le bourgeois, et finalement, la critique de notre société coincée et proprette fait long feu. Certes Thomas Hairmont écrit plutôt bien, même si étrangement ampoulé de la part d’un auteur aussi jeune. La construction du roman m’a également paru assez maladroite, et ce grand crescendo vers la débauche totale dans le caca plutôt mou du genou. Je suis complètement passée à côté donc, encore plus plombée par l’ennui que mon dégoût des matières fécales.

Pas une grand découverte au final, même si l’intention était courageuse. Et vous savez quoi ? Visiblement l’auteur a lui-même étudié les mathématiques aux Etats-Unis…gloups.

Chronique livre : Ce qu’aimer veut dire

de Mathieu Lindon.

Je n’ai jamais rien lu de Michel Foucault, j’ignorais qui était Jérôme Lindon, et l’histoire des Editions de Minuit. C’est donc avec une inculture crasse, mais non poussée par motifs inavouables et charognards que j’ai abordé ce livre. Et finalement tant mieux. J’étais donc dénuée de tous préjugés, ou attentes salaces lorsque Ce qu’aimer veut dire m’est tombé entre les mains. Et c’est une magnifique histoire, d’une immense douceur, d’une grande générosité.

Mathieu Lindon revient sur un épisode qu’il juge déterminant dans sa vie : l’amitié qu’il entretint durant 6 années avec Michel Foucault, jusqu’à sa mort. Mathieu Lindon était alors un tout jeune homme, juste sorti d’une adolescence solitaire et difficile, dans une famille qui, par sa nature même, ne pouvait qu’être écrasante. Son grand-père était un magistrat célèbre, mais surtout son père, Jérôme Lindon, était le directeur charismatique des Editions de minuit. Sa forte personnalité, et ses meilleurs amis, Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras, constituaient un bouillon intellectuel fertile pour le jeune Mathieu mais également un monde clos, purement littéraire, qui à la fois était tout pour lui, mais dont il avait cependant besoin de s’émanciper. Son amitié pour Michel Foucault, qu’il ne devait pas à son père, mais à lui-même, a constitué l’acte fondateur de la construction de sa personnalité, le philosophe lui ayant appris “ce qu’aimer veut dire”. Mais pas aimer au sens physique du terme. Non, mais aimer au sens d’un amour simple, quelque part universel, généreux, désintéressé, sans sous-entendu. La générosité de Michel Foucault, cette espèce de bonté naturelle, sans calcul, a permis à Mathieu Lindon de se construire, en tant qu’être humain, hors de l’influence familiale.

Le livre tourne notamment beaucoup de l’appartement Rue Vaugirard, que Michel Foucault prétait à Mathieu Lindon lors de ses absences. Le fait que tout le livre tourne essentiellement autour des absences de Foucault est un tour de force pudique, puisque malgré ces absences, on ressent tout ce que Foucault a apporté à Lindon, à quel point cette générosité s’exprime notamment par le prêt de cet appartement, qui permet à Lindon de se découvrir par la construction d’un cocon amical et intellectuel. Malgré sa grande luminosité et douceur, l’histoire n’est cependant en rien idéalisée. Le monde que Michel Foucault fait découvrir à Lindon n’est pas le monde de Oui-Oui, on y trouve moult drogue, sexe, comportements qui ouvrent des possibles aux personnages mais qui conduisent également et malheureusement à la fin prématurée du philosophe. Foucault se refuse cependant d’introduire le jeune homme dans certains de ses cercles, le trouvant trop jeune pour de telles pratiques.

La plume de Mathieu Lindon navigue d’un souvenir à l’autre, ravivé parfois par un simple mot, ou un simple objet, une casquette, un lapin par exemple. Ce voyage temporel éclaté, est servi par un style très particulier, à la fois d’une grande oralité, presque enfantine, et pourtant également précieuse, raffinée. Ce qu’aimer veut dire n’est donc pas un portrait de Michel Foucault ou Jérôme Lindon, ni même un hommage, mais un livre sur la façon dont les êtres peuvent impacter nos vies, même bien après leur mort, la manière dont ils peuvent laisser une marque absolument indélébile sur les êtres qu’ils ont cotoyés et aimer. C’est juste bouleversant et magnifique, et on se plaît à espérer aussi d’un jour rencontrer quelqu’un qui nous montre ce qu’aimer veut dire.

PS : en finissant mes petits textes, je farfouille en général sur le net pour voir ce que les autres en ont pensé. Je tombe par hasard sur cette critique du livre de Mathieu Lindon. Etonnant non ?

Chronique livre : Le Règlement

d’Heather Lewis.

Mes espoirs peuvent me rendre encore plus aveugle à ce qui évident que mes doutes. J’ai décidé que ça fait de moi une optimiste.
Heather Lewis

C’est la première fois que

je commence une critique avant d’avoir achevé un livre. Mais Le Règlement est un livre particulier. C’est un livre dans lequel on ne se sent pas bien, et qu’on lit le coeur au bord des lèvres, dont j’ai honteusement envie de me débarrasser le plus vite possible, avant qu’il m’engloutisse toute entière dans ses océans de noirceur.

Dans Le Règlement, la narratrice, Lee, nous raconte quelques mois de l’année de ses quinze ans. “On pourrait dire que tout à commencer quand ils m’ont virée de l’école” nous dit-elle d’emblée. Mais on pourrait dire aussi que tout à débuter beaucoup plus tôt, quand son père a commencé à abuser d’elle alors qu’elle n’était qu’une toute petite enfant. Lee, brillante cavalière, a donc quinze ans au début du roman, et nous raconte avec ses mots, dans un style heurté, ingrat, difficile, comment, après avoir été virée du lycée, elle a réintégré son ancienne équipe d’équitation “old school” pour la saison des concours hippiques. Mais la raison principale pour laquelle elle a rejoint les concours, c’est Tory, une autre cavalière émérite dont elle est amoureuse, et qui appartient à une autre équipe au parfum de soufre. Lee se laisse tenter par une proposition de Carl et Linda, les propriétaires de l’équipe de Tory. Elle intègre cette équipe et découvre peu à peu, sans toujours bien comprendre les enjeux qui se cachent derrière les actes des protagonistes, un monde totalement différent de celui dans lequel elle a vécu jusque là. Sexe, drogue, mais pas vraiment rock’n’roll, l’univers dans lequel Lee plonge tête baissée ressemble à une chute aux enfers à vitesse grand V. La recherche de sensations fortes et/ou anesthésiantes par le sexe (violent, cracra, frustrant, moche), par les courses de chevaux, puis par la drogue, conduisent Lee et Tory toujours plus loin dans la dépendance et la sujétion à Carl et Linda.

Pour la première fois j’ai compris qu’ils pouvaient me faire des choses dont je ne me remettrais jamais.” Ce n’est qu’à la toute fin que Lee commence à comprendre les enjeux de l’histoire, et le fait que ce qu’elle va vivre, sera sans doute pire et encore plus destructeur que ce qu’elle a déjà vécu pendant son enfance. Je ne crois pas être une petite nature en matière littéraire, mais je vous avoue que je suis assez chamboulée par ce roman, mais pas forcément de manière positive. Je crois qu’en fait, je suis dégoûtée par toute cette histoire, dégoûtée de l’impuissance du lecteur vis à vis des conneries que fait l’héroïne, la spirale dans laquelle elle se plonge volontairement, sans pouvoir rien y faire. On la voit se noyer dans cette histoire, ces enjeux trop grands pour elle, manipulée par des adultes qui ignorent son âge, et n’ont aucun état d’âme à l’entraîner dans sa propre chute. Sa soumission, signe d’un manque affectif profond, vis à vis de cette bande d’immondes personnages, donne envie de vomir d’impuissance, et de tout casser. On est entraîné avec elle, mais sans ressentir aucune sympathie, et c’est terriblement frustrant et déstabilisant.

Trop noir, trop torturé, sans lumière nulle part, ce livre ne m’a apporté aucun réel plaisir, il m’a fait l’effet d’un vortex. Je l’ai lu mal à l’aise, au bord du gouffre, obligée de laisser tourner la radio ou la télé en même temps pour ne pas me laisser aspirer. Brrrrrrr. Une expérience garantie sans addiction.