de Richard Yates.
Pas facile de parler de ce magnifique livre, tant il m’a retourné comme un blini. Décidément, Richard Yates entre de grande manière dans mon panthéon, après sa sublime Fenêtre panoramique et ses Onze histoires de solitude. Je crois qu’Easter Parade franchit encore un cap tant dans l’économie d’effets, l’efficacité émotionnelle, que dans la description d’une humanité à la dérive engoncée dans ses mécanismes et ses schémas destructeurs.
Deux sœurs, la belle Sarah et l’intelligente Emily, vivent ballottées par leur mère hystérique en banlieue New-Yorkaise. Divorcée de leur père, vivant dans le fantasme et sur les apparences, la mère, Pookie, est insupportable et projette sur ses filles ses espoirs perdus. Elles sont toutes les deux jolies et futées mais vont prendre des trajectoires opposées. Sarah va se marier jeune à un beau parti très relatif, et pondre trois gosses dans la foulée. Derrière la façade du mariage parfait, elle mourra d’une cirrhose et des coups de son mari à 47 ans. Emily, femme indépendante, intègre la fac, puis des compagnies publicitaires, multiplie les conquêtes, et les liens sociaux. Elle finira seule, moitié folle de chagrin, hantée par une famille qu’elle a pourtant tout fait pour tenir à distance.
“Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie,…
La première phrase du roman annonce déjà la tonalité. On est bien ici dans la tragédie, on sait que l’histoire finira mal, reste à savoir comment. Le pourquoi n’est même pas une question, c’est inéluctable. Une sorte de spirale du malheur, sans échappatoire. Les sœurs Grimes ne sont pas pourtant des “cas”, ce sont des jeunes filles puis des femmes plutôt gâtées par le vie, elles ont des qualités physiques et intellectuelles (elles écrivent bien toutes les deux notamment). Mais elles sont tout simplement écrasées par la vie, sans pouvoir y faire grand chose. Elles essaient, longtemps, ne se laissent pas abattre, mais finissent tout de même par capituler. Le moment où Emily, la croqueuse d’homme, regarde le reflet d’une vieille femme dans la glace et met un long moment à comprendre que cette vieille femme à l’apparence aigrie et qui “vieillit mal”, c’est elle, est absolument bouleversante. Yates parle du temps qui passe et qui abîme tout, inexorablement, en seulement quelques mots, et c’est poignant.
Dans les années 60, Richard Yates était considéré comme un auteur has-been. Son écriture d’apparence classique, loin des tentatives et audaces de ses contemporains de la beat generation, apparaît aujourd’hui comme incroyablement moderne et complètement intemporelle : attention focalisée sur des personnages de femmes (quels magnifiques personnages féminins !), art de l’ellipse, on est dans la très grande littérature, sans fioriture, sans chichis, sans complaisance. C’est d’une tristesse et d’un fatalisme absolus, cru sans jamais être vulgaire, on n’en ressort pas forcément le sourire béat aux lèvres, mais c’est d’une telle justesse, sobriété, d’une telle beauté ravageuse, qu’on ne peut que s’incliner respectueusement. Un très grand livre pour un très grand auteur.
tu peux remettre un « s » à participants ;((merci
je repasse demain mati lire ta chronique, je file au club photo.
Gentil.
Gérard : ça c’est gentil, merci beaucoup ! Et bon club photo.
et dire que j’osais pas te le conseiller …
(oui, je suis celle qui conseille et offre toujours des bouquins pourris …)
Bouquins pourris.
Diatoniste : mais je me suis excusée platement, en me remémorant tous les beaux livres que tu m’avais conseillés… En plus, j’adore Richard Yates, le conseil n’était pas très risqué !