Chronique livre : La fin des temps

d’Haruki Murakami


Ca n’a rien à voir, mais c’est bizarre. Clique.

Une autre petite merveille que cette Fin des temps dans l’œuvre foisonnante de Murakami. Certes La fin des temps a été écrit antérieurement à Kafka sur le rivage ou les chroniques de l’oiseau à ressort, mais c’est en quelque sorte le précurseur de cette veine là. Enfin c’est ce qu’il me semble étant donné que je n’ai pas lu l’entière bibliographie du maître. La fin des temps est donc un roman dans lequel il faut accepter de perdre ses repères.

Deux histoires se déroulent en parallèle, pour finalement se rejoindre au final (hahaha le pléonasme tellement énorme que je le laisse), dans deux « mondes » différents : le monde réel et un monde inventé. Oui mais voilà, le monde réel est peuplé de bestioles bizarres, d’un savant qui écoute le bruit des crânes et d’un ascenseur énigmatique, tandis que le monde créé est certes étrange, les ombres perdues y côtoient des licornes, mais curieusement beaucoup plus planplan et ordonné. On ne sait où donner de la tête entre toutes ces bizarreries, et le calme et la sérénité du héros, comme d’habitude, forment un contrepoint parfait à l’agitation ambiante.

Malheureusement, le roman manque un peu de rythme et a tendance à être trop explicatif. On n’avait évidemment pas besoin de cette histoire de commutation de circuits de la conscience ou je ne sais trop quoi. Ce n’est pas la cohérence qu’on cherche ici, bien évidemment, mais l’évasion. Mine de rien on peut voir dans le final un constat un peu désolant, puisque le héros fait le choix (ou pas d’ailleurs) du monde clos et sans surprise au détriment du bordel extérieur.

La traduction est impeccable, malgré des dialogues toujours un peu « plats », non naturels, qui ne coulent pas en bouche : Murakami ou la traduction, je crois que tant que je ne deviendrai pas une spécialiste du japonais, je ne pourrai pas trancher l’origine du problème. Par conséquent, je crains bien de ne jamais pouvoir trancher… On peut aussi regretter un nombre de fautes d’impression suffisamment conséquent pour que je m’en aperçoive. Rare d’en trouver autant, je me demande bien ce qu’a foutu le relecteur.

En tous cas, un bien beau roman, qui a introduit parfaitement des vacances bien méritées (j’espère) (et déjà finies depuis longtemps).

Chronique livre : La lionne blanche

d’Henning Mankell.


OUARRRRRRRR. Clique si t’as peur de rien.

Bon ok, dans le polar bien ficelé, il n’y a pas que Connelly. Bien obligée de constater que la Lionne Blanche est un excellent polar, et un excellent bouquin tout court.

En Suède, visiblement, il ne se passe pas grand chose. Quand une honorable mère de famille disparaît, dans une petite ville du Sud de la Suède, Wallander sent bien qu’il n’y a rien de normal là-dessous et son flair ne le trompe pas. Mais avant de la retrouver morte dans un puits, il découvre un bout de doigt enterré dans une propriété abandonnée. Le doigt est noir, ce qui apparemment est assez exotique en Scandinavie.

Mankell a un sens de la construction tout à fait remarquable, mêlant un récit sud-africain et plusieurs récits suédois très intelligemment. On fait des aller-retours géographiques et temporels permanents, et c’est brillant, le livre devient ample enmêlant ainsi petite et grande histoires. La partie sud-africaine est vraiment passionnante parce qu’on apprend finalement beaucoup sur le pays l’air de rien. Mankell traite également très bien ses personnages, ils ont une vraie consistance, pas seulement les personnages de premier plan (Wallander flic banal, qui pète les plombs dans cette enquête trop grande pour lui, l’énigmatique tueur Sud-africain qui bouleverse le fonctionnement de pensée occidental, l’immonde formateur Russe), mais également les personnages plus secondaires et que j’imagine récurrents (son père qui peint toujours la même chose, ou sa fille visiblement assez marginale).

Le tout a une vraie profondeur derrière l’aspect polar, une certaine sincérité, une écriture par moment assez léchée, en tout cas assez au dessus du tout venant du roman noir. Bref, une belle entrée en matière qui donne envie de lire la série des Wallander. Et dans l’ordre de préférence.

Chronique livre : A genoux

de Michael Connelly.

Je ne m’étais pas jetée sur la première sortie d’ A genoux, pas franchement très emballée par son précédent, Echo Park. Mais bon, je n’ai pas résisté à la sortie en poche. Le livre étonne par sa faible épaisseur. On a connu Connelly plus bavard. Mais c’est plutôt pas mal, le livre gagne sérieusement en efficacité. Le choix d’une action à la fois rapide en écriture et rapide en temps (le livre se déroule en moins de 24h) donne dupeps à l’intrigue.

A part ça, pas grand chose de neuf sous le soleil avec ce roman : Harry Bosch est un flic aux méthodes toujours aussi discutables et tout comme dans Echo Park quelques indices disséminés dans le bouquin gâchent un peu le twist final. La manière dont Connelly en rajoute une couche sur les gros sabots de son héros est assez jouissive, on le voit se débattre au milieu d’une enquête un peu trop grande pour lui comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Le dernier chapitre (cadeau bonus de l’édition en poche ?!?) offre une ouverture intéressante et finalement assez inquiétante pour l’avenir d’Harry.

On doit également reconnaître au roman une grande qualité : jamais Connelly n’aura été aussi ancré dans son époque. A Genoux est clairement un roman post-11 Septembre. Bosch est confronté à un monde qui est en pleine mutation suite au traumatisme : création d’unités spéciales, intrusion de la suspicion de terrorisme dans une enquête… c’est un monde nouveau, qu’il ne maîtrise plus et dans lequel il essaie malgré tout d’imposer des méthodes de pensées et de faire « old-fashioned ».

Bon allez, ok, c’est pas mal, ça se dévore. Mais ce n’est pas du grand Connelly.

Chronique livre : Chroniques de l’oiseau à ressort

d’Haruki Murakami.

L’histoire commence lors de la disparition du chat de Toru et Kumiko. Non, en fait, c’est sûrement au moment de l’avortement de Kumiko que l’histoire a réellement débuté. En réfléchissant un peu plus loin, c’est peut-être bien lorsque la ruelle derrière chez eux a été bouchée que les choses ont vraiment déraillé, ou peut-être bien quand le puits des voisins s’est asséché. Mais non finalement, les racines du trouble sont sans doute plus profondément ancrées dans l’histoire japonaise, dans les terres mandchoues.

Dans Chroniques de l’oiseau à ressort, c’est comme ça, on n’est jamais sûr de rien. Le héros, Toru, bonne pâte d’une affligeante et incroyable passivité (ou ouverture d’esprit, c’est selon), se voit embarqué dans une spirale d’événements assez incompréhensibles, en apparence disjoints. On le suit dans sa quête (récupérer sa femme), perplexe sur sa méthode, mais reconnaissant qu’elle est plutôt efficace. Beaucoup plus cohérent et moins poseur que Kafka sur le rivage, Chroniques de l’oiseau à ressort est une pure merveille, qui m’a emmené très loin de mes bases et certitudes, dans une espèce de monde parallèle, pourvu de sa logique propre, de ses codes, de sa vérité. Car c’est bien de vérité qu’il s’agit ici. Dans notre monde sûr de ses fondamentaux, Murakami s’ingénie à saper nos croyances matérialistes et rationnelles. « La vérité n’est pas forcément dans la réalité, et la réalité n’est peut-être pas la seule vérité« .

Il s’agit également de libre-arbitre , les personnages sont ici lancés dans un histoire qui les dépasse, et trouver des marges de manoeuvre et de contrôle des événements est très difficile. C’est absolument fascinant, ça se lit comme on mange une tartine de beurre salé, et quand on arrive à la fin, on a la véritable impression que les mystères sont résolus. Fort heureusement, en y réfléchissant bien, ce n’est pas du tout le cas. Tant mieux, de quoi cogiter et rêver encore un bon petit moment.

Chronique livre : Le Livre d’un homme seul

de Gao Xingjian.

Chers lecteurs, happy few, là, et regardez-moi dans les yeux quand je parle, je vous ordonne de courir séance tenante chez votre libraire préféré pour vous procurez Le Livre d’un homme seul. Ce bouquin est ce que j’ai lu de plus bouleversant depuis un bail (depuis La possibilité d’une île en fait), il arrive à un moment où j’en avais besoin, et je ne suis pas trop sûre de réussir à trouver les mots.

Hong-Kong, un peu avant la rétrocession, un écrivain chinois, réfugié politique en France, une juive allemande plantureuse font l’amour. Ils se connaissent un peu, un tout petit peu, d’avant, quand il était encore en Chine. Progressivement, à l’exploration des corps, succède l’exploration du passé de cet homme. Elle pose des questions, essaie de remuer le passé de l’écrivain, de faire se réveiller des souvenirs qu’il s’est toujours efforcé d’enfouir. Il renâcle, distille les informations par petites touches disparates. Ils se séparent au bout de quelques jours. Il voudrait continuer comme avant, mais il ne peut pas, obligé de coucher sur papier ce passé bouleversé. Il ne peut pas dire « je », mais alternera le « il » pour relater les événements, le « tu » pour conter ses réflexions et parler de lui au présent. Cette distinction lui permet d’examiner son passé avec distance, de faire de lui un autre, un quasi étranger dont il est plus simple de raconter l’histoire.

Deux portraits se détachent : celui d’un pays, la Chine, devenu fou, aux mains de Mao, du Parti, des révolutions, des contre-révolutions, des rebelles, des cadres du parti, des cadres anti-parti, et celui d’un homme, muselé, condamné à marcher au pas, à porter un « masque », à abandonner sa liberté pour survivre, victime, mais aussi acteur de l’Histoire. Et c’est bouleversant, la façon dont cet homme apprend à ployer, à dissimuler en permanence ce qu’il est, un esprit libre. C’est aussi sans doute la raison de ce « il » employé pour raconter son histoire, ce n’était pas son vrai moi qui se mouvait dans ce monde bousculé, mais un menteur, un dissimulateur forcé. Il est sauvé par ses talents de dissimulateur, beaucoup de chance, son amour de la vie et son amour des femmes.

Les femmes, il n’y a d’ailleurs que ça qui ne change pas vraiment dans sa vie actuelle, sa vraie vie. Amoureux des femmes, et surtout du corps des femmes et du sexe, ses rapports avec elles sont troubles, cruels, mais aussi assez beaux. A part les femmes, son « exil » en France a été un changement total, une libération, il a enfin pu écrire, et surtout conserver ses écrits, sans crainte d’être dénoncé. Ses réflexions sur l’écriture, sa nécessité, besoin vital, refuge essentiel, espace d’une liberté infinie sont des passages fondamentaux, mêlant l’intellectuel et une pulsion initiale de vie, qui, finalement, tente d’approcher un petit quelque chose de l’humanité. Immense manifeste pour la liberté d’expression, et donc la liberté d’être, sans contrainte, je vous conjure de vous plonger dans le Livre d’un homme seul. Pour vous convaincre, un tout petit extrait.

« Tu n’écris pas dans le but de faire de la littérature pure, mais tu n’es pas non plus un combattant, tu n’utilises pas ta plume comme une arme pour réclamer justice – de toute façon, tu ne sais pas où est la justice – (…). Si tu écris, ce n’est que pour dire que cette vie a existé, plus infecte qu’un bourbier, plus réelle qu’un enfer imaginé, plus effrayante que le jugement dernier, et qu’elle risque de revenir un jour ou l’autre une fois que son souvenir ce sera estompé. »

Merci Monsieur Xingjian.