Chronique livre : Consumés

de David Cronenberg.

IMG_20160318_211234Parfois, on est sentimental. On se rappelle de grands souvenirs de cinéma, déjà anciens et on a envie de retrouver une sensation, un frisson, une stimulation. Alors on fait les fous, on achète un livre, écrit par un ex demi-dieu du cinéma et. Rien. Ou presque. Ou un mélange étrange de perplexité, de consternation. D’hilarité même.

Parce que tout de même, Consumés est un assez gros ratage et démontre de belle manière qu’écrire des livres, c’est un métier. Le livre commence comme une espèce de scénario qui pasticherait Cronenberg (le réalisateur) en explicitant tout ce qui normalement, dans son cinéma, passe par l’image. Alors évidemment, ça n’est pas léger léger, même assez lourdement signifiant. Le tout est par ailleurs servi par un style d’une platitude extrême. On ne sait qui conspuer, l’auteur ou la traduction et puis on se dit que non, impossible que la traduction soit en cause, et on a alors une pensée de sympathie pour la traductrice qui a dû se coltiner ces dialogues accablants pendant des centaines de pages. La construction en parallèle pourrait être intéressante et insuffler une certaine dynamique au roman, mais elle est clouée au sol à peu près au milieu, par le monologue d’un personnage racontant une histoire fleuve de manière excessivement littéraire et artificielle. Mon dieu, quel ennui. La fin du roman en revanche apporte sa petite pincée de mystère et de folie, mais bien tard, et sans non plus grand génie.

Cronenberg n’arrive que très rarement à faire naître la curiosité du lecteur au cours de cette histoire biscornue. Certes, on retrouve tous les motifs relatifs aux particularités et motifs récurrents de son cinéma, technologies, sexes, mystères et bizarreries en tous genres. On pourrait donc en tirer toutes les analyses qu’on peut faire de son cinéma. Mais c’est presque trop, une vraie accumulation, on frôle l’auto-pastiche. A quoi bon ?

Alors, comme on est sentimental, on n’arrive pas à lui en vouloir et on ne regrette rien. Mais tout de même, bof bof bof.

Ed. Gallimard
Trad. Clélia Laventure

Chronique film : Cosmopolis

de David Cronenberg.

Une semaine a passé depuis la séance et le seul souvenir vivace de Cosmopolis dans mon esprit, c’est l’ennui profond, la désolation devant ce navet bavard et content de lui. Coincée entre un fan club de “Rob” et un couple amateur de Rothko, la séance fût longue.

Adapté (c’est un bien grand mot) du livre de Don DeLillo, Cosmopolis raconte un jour dans la vie d’un très jeune ponte de la finance. Coincé dans sa limousine une journée durant, il voit sa vie s’effondrer en même temps que ses calamiteux placements. Après la longue chute financière du golden-boy, le film se termine par une douloureuse scène de 20 minutes durant laquelle sa vie est en jeu. On tremble. Ou pas.

Le film est bavard, sans doute encore plus qu’A dangerous method. On passe donc son temps à essayer de suivre des dialogues volontairement vides de sens. Le film dénonce la vacuité de capitalisme extrême et ses dérives, soit. Et pour cela il filme la chute d’un des symboles de ce système (à la fois le personnage et l’acteur qui l’interprète), enfermé dans sa cage doré, inconscient de ce qui se joue à l’extérieur. L’idée n’est pas forcément mauvaise. Mais tout comme son héros, David Cronenberg reste coincé dans l’espace de cette limousine. Le film sent le renfermé, la provocation déjà périmée, l’esthétique frelatée. On se demande bien ce qui se passe dans la tête du maître depuis déjà deux films, à nous servir une mise en scène paresseuse autour de dialogues sans fin. Un gros ratage.

Chronique film : A dangerous method

de David Cronenberg

Je vous avoue un relatif ennui et une assez grande perplexité au sortir de la salle. Un tel sujet (l’amitié puis l’inimitié entre Freud et Jung, la relation de ce dernier avec une de ses patientes), servi par Michael Fassbender (qui n’a d’ailleurs toujours pas répondu à mes demandes en mariage répétées) et Viggo Mortensen (qu’on a connu plus sexy que sous la barbe freudienne) dans les mains du grand Cronenberg, voilà un projet qui avait de quoi faire battre le cœur de tout cinéphile.

On comprend ce qui a pu faire vibrer le cinéaste des corps torturés dans cette histoire trop amidonnée, le bouillonnement des corps assujettis à l’intellect et à un indestructible carcan de bonne moralité. Le problème du film, c’est que malgré tout le talent pictural du maître, le film ne réussit pas lui non plus à briser sa croûte d’amidon. On assiste à une très belle mise en image de cette histoire, et outre le début assez effrayant qui fait du spectateur gêné le témoin de la destruction physique de Sabina Spielrein, une présentation jubilatoire d’Otto Gross, et un usage fréquent des plans qui placent les spectateurs dans la position omnipotente de ceux qui voient, alors même que les personnages restent à l’arrière, en retrait de la réalité, on ne comprend pas réellement les intentions du réalisateur.

Que veut-il nous dire, dans quelle direction veut-il aller, qu’est ce que sa mise en image nous apporte par rapport aux très verbeux mais pas mauvais dialogues ? Pas grand chose, et c’est là, je crois, le problème. Embarrassé de tous ces mots, Cronenberg n’a pas réussi à trouver sa place, sa plus-value dans cette histoire, y compris dans un certain nombre de scènes non verbales, comme les scènes de masochisme entre Jung et sa maîtresse, filmées à distance, froidement, sans chair et sans vie.

Alors peut-être me direz-vous que c’était ça son projet, de réaliser un film purement intellectuel et formel, afin de montrer la difficulté pour l’homme de vivre, cadenassé qu’il est par son intellect, l’ordre social et la normalité qu’il définit, se privant ainsi de sa chair et de ses instincts. Mais la normalité n’est au final qu’une question de point de vue (la patiente devient dans un renversement des rôles la thérapeute). Soit. N’empêche, on s’y ennuie tout de même gentiment, à cette Dangerous method, pas désagréable mais qui aujourd’hui ne sent plus vraiment le soufre.

Chronique film : Les Promesses de l’ombre

de David Cronenberg.

Je n’ai pas grand chose à reprocher à ce film. Je l’ai trouvé pas mal, ce qui pour un Cronenberg frôle l’insulte suprême. Je vous avoue que je m’y suis même un peu ennuyée. A Londres, Anna, une sage-femme (Naomi Watts, un chouille fadounette), tente de retrouver la famille d’un bébé, dont la mère, Tatiana, une gamine russe de 14 ans, est morte en couche. Le seul indice qu’elle possède est le journal intime de Tatiana. Écrit en russe, et bien que d’origine russe elle-même, Anna est incapable de le déchiffrer et le fait traduire par le propriétaire du restaurant russe du coin, qui s’avère être un gros méchant mafieux, responsable du malheur de Tatiana.

Côté scénario, on ne compte pas les incohérences, et Cronenberg a sorti la cavalerie en ce qui concerne les grosses ficelles bien prévisibles, ça frôle limite le téléfilm. On pourrait passer par dessus si le reste était exceptionnel, et ce n’est pas tout à fait le cas. J’ai décidemment beaucoup de mal avec Vincent Cassel (il faut dire que j’ai vu le Pacte des Loups…), et Viggo Mortensen, non seulement porte assez mal le brushing gomina, mais n’arrive pas à retrouver l’ambiguité de A history of violence. Les rapports entre les deux hommes, (amitié, haine, attirance ?), constituent cependant une des parties les plus intéressantes du film.

Quelques scènes sublimes émaillent la pellicule, notamment les scènes dénudées, qui rappellent à quel point Cronenberg a une approche unique du corps. Ça reste assez « sage » cependant, loin des tortures de Crash, des métamorphoses de La Mouche ou de Chromosome 3, des instruments gynéco de Faux-semblants, ou de la console vidéo « placentaire » d’Existenz. C’est néanmoins très réussi : un corps dont les tatouages racontent une vie, une ukrainienne nue, allongée après s’être fait baisée de manière peu élégante, qui fredonne le regard dans le vide, ou la scène du sauna, impressionnante chorégraphie orgasmique. La photographie du film est assez belle, dans ses clairs-obscurs surtout, et magnifie des scènes « tableaux ».

Là où le film pêche abyssalement, c’est dans son manque total de fond. A history of violence était une réflexion profonde sur notre rapport à la violence, la façon dont elle a infiltré nos vies, dont elle est banalisée et même tournée en ridicule jusqu’à perdre de sa réalité, Les promesses de l’ombre ne fait que raconter une histoire, franchement pas terrible, d’une assez belle manière. Pas mal, mais pas suffisant.