Chronique film : Twin Peaks (Saison 1)

 (1990) –  David Lynch et Mark Frost

Je dois vous dire que je suis un peu sur les dents, j’ai fini la première saison de Twin Peaks. Mais je ne sais pas quand sort la saison 2. C’est ballot, je vais peut-être devoir attendre 10 ans.

Que dire de cette série cultissime que je n’avais jamais pu voir ? Au premier abord, c’est un véritable supplice visuel. Les décorateurs et costumiers ont vraiment dû prendre leur pied, et gamberger pour produire les fringues et des décors comme ça. Frost déclare que Lynch et lui voulaient que la série soit intemporelle d’un point de vue pictural. Il faut avouer que là c’est un gros ratage, ça sent la fin des années 80 jusqu’au bout de la corde. De quoi vous dégoûtez à jamais des chalets de montagne et des blousons en cuir pour le restant de vos jours. Ringarde également, bien que finalement hypnotisante, la musique au synthé de Badalamenti. L’ensemble fait que la série semble avoir vraiment beaucoup vieilli, elle n’a pourtant que 17 ans.

Une fois ce choc bien (c’est relatif) digéré, on n’est totalement englouti dans cette histoire à multiples tiroirs qui s’ouvrent sans jamais se refermer. C’est noir et drôle, rempli jusqu’à la gueule d’idées incroyables, et pour le coup, plus du tout démodé. Je préfère ne vous raconter rien d’autre, juste vous hurler de courir chez le marchand de DVD le plus proche. Le coffret est beau, et pas très cher. Et si jamais quelqu’un a des infos sur la sortie de la saison 2, je suis preneuse…

Chronique film : Inland Empire

de David Lynch

Comment critiquer l’insaisissable ? Inland Empire (l’Empire de l’Intérieur) est un OFNI à l’état pur. Tourné en vidéo, saynète par saynète, sans scénario pré-établi, avec pour principal fil conducteur l’actrice Laura Dern, Inland Empire se révèle être un véritable puzzle obsessionnel, dont les pièces se superposent, sans vraiment réussir à s’emboîter.

Autant le dire tout de suite, Inland Empire ferait passer Mulholland Drive pour un film pour enfants. Après un début frappant, expérience visuelle et sonore, une histoire quasi linéaire s’installe quelques temps : Nikki, une actrice au mari jaloux, est engagée dans un film, avec un partenaire, dragueur à deux balles. Au fil du tournage, l’histoire du film dans le film, et l’histoire « réelle » se confondent pour Nikki. Puis, dérèglement temporel, et tout explose.

Les pistes se multiplient, les indices s’accumulent (de 9h45, aux lampes rouges, la chambre 47). Une femme regarde fascinée la télévision en pleurant. Un sitcom avec des humains-lapins s’impose à l’écran régulièrement. On fait des excursions dans le milieu de la mafia polonaise, puis retour sur l’histoire de Nikki, mais est-ce toujours elle ? dans ce pauvre pavillon de banlieue, avec ce mari fadasse qui veut partir dans un cirque ? Et cette femme avec son tournevis dans le flanc, qui affirme avoir quelqu’un à tuer (magnifique Julia Ormond, rare et précieuse) ?

Sans qu’on s’en aperçoive, le film brasse tous les thèmes du couple, adultère, trahison, jalousie, perte de l’enfant, angoisses, peur de l’absence. Sur la forme, on assiste à un immense zapping mental, dans lequel se côtoie documentaires, interviews, fictions, sitcoms, variétoches, tous faux, les acteurs sautent de l’un à l’autre sans barrière aucune. A la fin, la femme hypnotisée devant sa télé, l’éteint, et retrouve son enfant et son mari (le même acteur que le mari fadasse cité précédemment !), folle de joie.

Peut-être est-ce là, la clé, ou au moins une des clés de cet immense fourre-tout : l’aliénation que nous avons aux médias, cette bouillie protéiforme que nous ingurgitons, dans laquelle tout finit par se mélanger, mais qui est le miroir de nos angoisses profondes. Evidemment c’est déroutant au possible, et l’esprit essaie de capter les moindres signes de cohérence, sans jamais y parvenir vraiment. L’histoire échappe, et s’enfuit au loin, dès qu’on s’en approche. Les acteurs sont immenses, d’autant plus qu’ils travaillaient sans filet aucun.

Ce collage improbable, cet « Empire intérieur », est servi par une musique entêtante, angoissante, mais le choix de chansons ne se révèle pas forcément toujours judicieux car trop concret dans cet univers sensoriel (sauf dans le générique de fin : un homme qui utilise l’hallucinant Sinner Man de Nina Simone n’est de toute évidence pas un mauvais bougre).

Alors oui, c’est long (presque 3h), oui c’est difficile, mais il faut avouer qu’on ne s’ennuie pas une seconde, et que les méandres de cet esprit sont véritablement fascinants. Futur grand chef d’œuvre ou futur oublié du cinéma expérimental, je ne saurai le dire. Peut-être que dans 5 ans, ce film sera considéré comme limpide, comme Mulholland Drive aujourd’hui, après avoir complètement troublé les spectateurs à sa sortie. J’avoue, que quand même, pour l’instant, je m’octroie le droit de préférer au caméléon Laura Dern, la prude et perverse Naomi Watts et la glamour et fascinante Laura Harring.