Chronique livre : L’Origine – Simple indication

de Thomas Bernhard.

Et à quoi va aboutir une enfance dijonnaise ?
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Bien que sans doute assez anecdotique dans l’oeuvre de Bernhard, la publication posthume de Mes prix littéraires a cependant la grande qualité de donner envie de découvrir plus profondément l’oeuvre de l’écrivain, et notamment ses écrits autobiographiques. En effet à la lecture de cette compilation de textes épars, on ne cesse de s’interroger sur l’origine des pensées et comportements de cet homme. En gros, comment a t’il pu en arriver là, à ce point de dégoût et de désespoir, cette incapacité à se réjouir de choses dont le commun des mortels se rengorgerait avec délectation ? Quelques éléments de réponses sont apportés par L’origine – Simple indication, qui vient, comme par un fait exprès répondre à certaines de mes interrogations.

Bernhard naît d’une mère vite célibataire, mais son enfance (visiblement heureuse) est essentiellement marquée par ses grands-parents maternels, intellectuels et anarchistes. L’éducation qu’ils lui prodiguent, bien que riche en affection et en culture, ne font pas vraiment de lui un excellent candidat pour les études secondaires qui l’attendent. En effet, dans l’Autriche des années 30 et 40, le système éducatif est aux mains des nazis. Et c’est donc à Salzbourg, dans un pensionnat et un collège nazi (puis catholique après la fin de la guerre) que Bernhard passe les années les plus perturbantes de sa vie.

L’Origine est du pur Bernhard. Il y creuse en profondeur ses thèmes, à coup de phrases lancinantes, circulaires. Telle une toile d’araignée, ses mots s’enroulent dans les méandres du cerveau du lecteur pour y injecter une part du poison qui lui a été administré par ses objets de dégout. Et des objets de dégout il n’en manque pas. Bernhard s’en prend avec méthode et virulence à la ville de Salzbourg. Trop belle, et trop montagnarde, l’écrivain explique qu’elle est le ferment même du mal, et que d’une telle ville ne peut germer rien de bon. Le sport comme opium du peuple, les gouvernements dont la survie passe par l’abrutissement des masses, les parents en goules destructeurs d’enfance, le nazisme et le catholicisme bien sûr, sont les sujets de prédilection de L’origine, et l’immense talent de Bernhard permet avec sa langue admirable de pénétrer les arcanes de sa pensée contestataire. Les critiques sont extrêmement virulentes, provocatrices, mais sincères, et Bernhard apparaît comme un survivant de toute cette violence physique et morale infligée pendant des années.

L’Origine est un livre dur, honnête, déserté par l’humour grinçant habituel de l’auteur, et qui dévoile, par le côté intime les conséquences de l’Histoire sur l’Homme en train de se construire. Ravageur.

Chronique livre : Mes prix littéraires

de Thomas Bernhard.

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Si toi aussi tu accroches tes prix aux murs, clique.
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Joyeuse petite entracte entre les deux tomes de Guerre et Paix. Enfin si tant est qu’un texte de Bernhard puisse être joyeux. Disons qu’il est méchamment distrayant, méchamment dans le sens premier du terme. Ecrit probablement 8 ou 9 ans avant sa mort en 1989, Mes Prix littéraires racontent en quelques épisodes des anecdotes relatives à certaines des récompenses reçues par Bernhard, regroupées essentiellement dans son début de carrière.

Volontairement provocateur, agaçant, parfois de mauvaise foi, parfois d’une lucidité percutante, l’écrivain s’ingénie à surtout ne trouver aucun mérite à ces prix, à l’exception de l’argent qu’il en tire, et dont il a le plus grand besoin. Se moquant quasiment de tout et de tous, y compris de lui même, Bernhard déploie toute l’étendue de sa provocation et de son désespoir face à la vie. Car dans les discours qu’il prononce lors de la remise des prix, discours écrits à la va vite si on peut croire ce qu’il nous dit, on distingue, au delà de la provocation forcenée (« Nous sommes autrichiens, nous sommes apathiques; nous sommes la vie en tant que désintérêt généralisé pour la vie, nous sommes, dans le processus de la nature, la mégalomanie pour toute perspective d’avenir. » dit-il lors de la remise du prix d’Etat autrichien…), une blessure colossale, la blessure d’un homme qui a vu et v

écu trop de choses pour pouvoir rester neutre face à l’absurdité, l’hypocrisie et à la cruauté du monde, et qui est incapable de faire semblant. Le livre prend une tournure assez personnelle et émouvante, contrastant avec les propos et l’attitude de Bernhard. Le livre fait également une belle introduction au style de Bernhard, obsessionnel, circulaire, incisif, sans pour autant être aussi sombre et exigeant que dans Béton par exemple.

Sans doute pas les plus grands textes de Bernhard, mais une sortie posthume pas putassière et pas inutile, une belle brique de plus dans l’oeuvre d’un des plus grands auteurs de littérature germanique.

Chronique livre : Béton

de Thomas Bernhard.


Clique, fumier.

Il aimerait bien s’y mettre, à écrire son essai sur Mendelssohn-Bartholdy. Mais il n’y arrive pas. Et ça fait des années que ça dure, des dizaines d’années même. Cette fois-ci c’est parce que sa sœur vient de partir qu’il ne peut pas s’y mettre. Avant, c’est parce qu’elle était là. Encore avant c’est parce qu’elle n’était pas là. Et puis il était fatigué, et puis ça sent le renfermé, et puis il fait beau, et puis il fait moche et puis… Et puis il sèche quoi. La page blanche.

Béton, ce sont les états d’âme nombreux d’un auteur inapte à écrire, sa vision du monde, et surtout de sa sœur chérie et haïe. Parler, digresser pour éviter de s’y mettre vraiment à cet essai. Et c’est mordant. Comme Chevillard avec ces petites sentences autofictives sur sa condition d’écrivain, Bernhard dresse sans tendresse le portrait d’un auteur raté qui passe sa vie merdique à se chercher des excuses merdiques pour expliquer son incapacité merdique à écrire quoi que ce soit.

Évidemment, ce n’est pas la fête, mais c’est férocement drôle, tellement ce gars aigri et caricatural, qui n’aime personne sauf sa bonne, a un art consommé pour noyer le poisson (là il y a un jeu de mot merdique, histoire de rester dans le thème). En rupture totale, le final y apparaît au premier abord incongru (changement instantané de lieu, saut dans le temps, flash-back, alors que tout le début est quasiment statique, composé des ruminations du narrateur), mais se révèle signifiant et poignant. A lire d’urgence évidemment. Pour tous ceux qui ont mauvais esprit surtout.