Chronique film : Essential Killing

de Jerzy Skolimowski.

Zéro concession. Ce sont les mots qui viennent en tête à la fin de la séance. Essential Killing est un peu le Gerry de Gus Van Sant, mais délocalisé dans les canyons d’Afghanistan (?) et les forêts d’Europe de l’Est (?). Scotchant, perturbant, le film ne se laisse pas facilement apprivoiser, et on se demande souvent où Jerzy Skolimovski veut en venir, alors même qu’on est complètement happé par le film.

Dans les montagnes d’Afghanistan (ou pas ?), Mohammed, traqué, tue trois américains. Il est capturé et envoyé dans un centre de rétention aux méthodes d’interrogatoire barbares. Lors d’un transfert par avion, puis camion, un accident se produit et Mohammed s’échappe. Le film est l’histoire de cette fuite à travers une forêt enneigée. Une fuite ponctuée de meurtres, de blessures, de traques, de longues marches à travers les arbres, et surtout de solitude. Le film, très court, est passionnant. Ce qui capte l’attention d’abord ce sont les centaines de questions que l’on se pose. Qui sont ces gens, que font-ils là ? Qui est Mohammed ? Pourquoi a t’il tiré sur ces trois hommes ? Est-il un terroriste ? Que signifie ces rêves qu’il fait ? Le réalisateur réussit à n’en dire ni trop peu (auquel cas on aurait passé son temps à s’interroger sur le personnage pendant le film), ni pas assez (les questions du départ sont vite balayées au regard de ce qui se déroule sous nos yeux). On n’aura évidemment aucune réponse, ce n’est pas ça qui intéresse Jerzy Skolimowski, mais plutôt les moyens et les ressources que cet homme trouve pour survivre.

Mohammed va à peu près tout subir (courir pieds nus dans la neige, marcher sur un piège à loups, être écrasé par un arbre, bouffer un poisson entier cru…), mais le spectateur est constamment à l’abri de l’identification car les méthodes employées par Mohammed pour survivre sont plutôt radicales : il tue (revolver, couteau ou même tronçonneuse…), vole, étouffe une femme en la tétant (oui forcément dit comme ça…). Et c’est ça qui fait grincer les dents : on ne peut pas s’identifier à lui, et pourtant on aimerait. On aimerait qu’il soit une victime d’un système, un innocent traqué par la puissance capitaliste. Mais ce n’est pas le cas. On s’aperçoit alors du besoin irrépressible du spectateur de s’identifier à un personnage, et du malaise qui monte en lui lorsqu’il ne le peut pas. On passe le film sur la pointe des fesses, pas franchement à l’aise, mais tout de même happé par cette caméra rapide, rythmée, qui ne laisse jamais en repos. Il ne se passe pas grand chose (un homme fuit à travers la forêt), mais on n’arrive pas à décrocher, on est aimanté et révulsé tout a fois. Notre besoin d’identifier les gentils et les méchants est totalement inassouvi, et forcément on s’interroge. N’est-on capable que de se projeter dans des films binaires, basés sur la dualité bien et mal, dans tout ce que ces notions ont de subjectif ? Comment se fait-il qu’on soit aussi mal à l’aise face à ce spectacle sans parti pris moral ? Ce n’est certes pas la violence (on a vu bien pire ailleurs), mais alors quoi ?

Jerzy Skolimowski réussit donc à transformer les questions qu’on se pose sur l’histoire en questions que l’on se pose sur nous. Qu’est-ce donc, si ce n’est la définition même de l’Art ?

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