Chronique film : Retribution

( 2007 ) de Kiyoshi Kurosawa

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Bien que film de commande, Retribution n’en est pas moins bien meilleur que Loft. Beaucoup plus cohérent (j’ai bien dit cohérent hein, pas réaliste), beaucoup plus resserré sur son thème, il mèle très efficacement intrigue policière et histoire de revenants vengeurs. Visuellement, c’est de toute beauté, on est happé dès la première scène (une femme à la robe rouge se fait noyer dans une flaque au milieu d’un désert bétonné et crépusculaire), pour ne plus être lâché. Décors sombres, ultra-urbains, en pleine décadence, dans une ville en éternelle (dé)construction. Un flic enquête sur une série de meurtres mystérieux, dont le modus operandi est identique : la noyade dans de l’eau salée. Hanté par le fantôme d’une femme à la robe rouge, qu’il prend d’abord pour la première victime, il tente de dénouer les fils complexes de cette histoire, dont il est le principal suspect.

Autant dans Loft, le fond du film se diluait jusqu’à disparaître sous des flots de « fais-moi peur », autant Retribution est tendu comme un arc autour de son sujet : l’indifférence, la désaffection, l’incapacité à réagir face aux choses. Dans cette fourmilière citadine, les personnages perdent leur essence primordiale d’humanité, pour devenir des robots, incapables d’agir spontanément, mais uniquement de réagir, une fois qu’il est trop tard, et quand la société le dicte. Ainsi, la série de meurtres entraîne l’enquête policière, qui n’aurait jamais eu lieu, si la société n’avait pas fermé les yeux sur un secret pourtant mal gardé. Pour toute rétribution, cette série de meurtres atroces, déclencheur de l’ouverture de la boîte de Pandore. Le message est clair, on est puni quand on a pêché. Lent, silencieux, tortueux, glacial et implacable,Retribution n’en est pas moins un vrai film d’horreur qui frigorifie l’échine de belle manière. Chapeau bas.

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Chronique film : Loft

(2007) de Kiyoshi Kurosawa

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Pour une provinciale pure souche(s), il y a quelque chose d’assez savoureux à se trouver en la capitale, et à aller voir un film diffusé dans une seule salle française, une seule fois par jour. Durant la projection de Loft, nous étions 4, dont une carte de presse qui n’a pas arrêté de gribouiller ses savantes idées sur des bouts de canards gratuits, un fan du cinéma nippon, que j’ai, au premier abord confondu avec un Pokémon, et un gars, qui visiblement s’attendait plus à voir l’adaptation cinématographique de Loft Story qu’un film de fantômes japonais.

Dans Loft, une jeune écrivain, pleine d’avenir, mais sans inspiration, part se ressourcer dans une bicoque croulante et grinçante au fin fond de la campagne. Je dis campagne, m’enfin, elle habite juste à côté d’un incinérateur. Pas beau, mais finalement pas inutile. Dans cet îlot de verdure, bouillasse et dioxine, il lui arrive pléthore de trucs méga flippants, qu’elle prend relativement bien, comme quoi, le zen, ça marche pas si mal.

La 1ère partie du film est de toute beauté. Tout d’abord grâce à son actrice, Miki Nakatani, vraiment jolie tout plein, sans être potiche. Elle remplit le début du film de sa présence, et transforme la langue japonaise en une rivière de miel. Ce début de film est donc très mystérieux, composé de micro-événements, et d’une mise en scène fantastique. Rythme lent, interrogations multiples, jeux de voiles, de miroirs, de fenêtres et de bruits, c’est une très belle partition. On ne comprend pas grand chose, mais c’est encore meilleur, l’inexpliqué est toujours ce qu’il y a d’angoissant. Réflexions sur la féminité, sur la vieillesse, sur le manque d’inspiration, sur l’amour, et le besoin de l’autre, les pistes sont nombreuses pour tenter de dénouer la bobine.

Malheureusement, vers son milieu, le film subit un revirement assez étonnant, pour sombrer dans le bavard et l’explicatif. Exit donc le mystère, on a droit à la totale, flash-back maladroit (et surtout maladroitement positionné dans le déroulement du film), embrassade sur fond de violons, second degré à fond (enfin j’espère…), le film perd toute sa poésie et une grande partie de l’intérêt qu’il avait réussi à susciter jusque là. Les longs dialogues sont vraiment mauvais et assez mal joués, ils sonnent creux. Ce changement brutal est très étonnant, et si je n’avais lu récemment que K. Kurosawa considérait Loft comme son film le plus personnel, j’aurai été tentée de parler d’un mauvais « producteur’s cut » (en franglais dans le texte). Reste l’image de fin, assez rigolote, mais loin d’être à la hauteur de la première partie.

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Chronique film : Boarding Gate

d’Olivier Assayas

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Au risque de paraître brutale, il faut bien avouer que Boarding Gate est un gros ratage. Le film lorgne sans l’assumer jusqu’au bout vers la série B, et nombre de scènes arrache in extremis des rires moqueurs. « Il va pas oser quand même ? » Ben si, il ose, mais pas assez. Malgré ses intentions, le film se prend très au sérieux, la pilule ne passe pas, et l’ennui gagne au bout de la … allez, je vais être gentille,… 10ème minute. Pleine d’échos catastrophiques sur la projection cannoise, j’étais toute prête à m’ériger en défenseuse du génie incompris, de l’artiste maudit. Mais là, non, je peux pas, y’a quand même des limites à la mauvaise foi.

Bon, on passe sans se retourner sur deux énormes erreurs de scriptes (des petits soucis de fermetures éclair et de sac à main), sur la myopie du chef op’ (à sa place, je m’inquiéterais), sur la musique vangelissienne à mort (il faut pendre l’inventeur du synthé, ça devient plus gérable là), sur l’histoire (ah y’avait une histoire ? oui oui, c’est un peu nikita sous ecsta). Je ne doute pas que tout ça soit fait exprès, le problème c’est que ça ne fonctionne jamais. Le film est bancal dans sa construction, avec une alternance de longs dialogues navrants, mal écrits, mal joués, et de scènes d’actions, un chouille meilleures, mais jamais captivantes, car souvent filmées dans un noir quasi complet.

Mais le gros problème, l’énorme erreur de ce film, c’est sa distribution. On passe rapidement sur Michael Madsen et Kelly Lin, qui, sans être géniaux, semblent avoir compris qu’ils étaient dans une série Z. On s’arrête une seconde sur Carl Loong Ng, qui a visiblement abusé de toxine botulique avant le tournage, et dont la mono-expressivité (l’oeil sombre et le sourcil froncé), font vite oublier qu’il est beau gosse, mais juste un peu casse-pompe. Et que dire d’Asia Argento… Sans jamais me faire hurler au génie, elle m’avait jusqu’à présent laisser un souvenir d’une neutralité parfaite. Son personnage dans Boarding Gate, est un témoignage vivant que le chaînon manquant existe bel et bien. Cheveu savamment gras mouillé (ah j’oubliais dans les erreurs de script le déplacement de la raie sur le côté), frusques effrangées, talons hauts trop grands, oeil sombre, moue boudeuse, chattemite pas nette, elle est surtout affligé visiblement d’un problème de mâchoire qui l’empêche d’ouvrir la bouche. Essayer de parler la bouche fermée en bougeant seulement la lèvre inférieure, vous verrez, c’est pas de la tarte, ça produit une espèce de cheucheuillement curieux. Les mots ainsi concaténés, sont peu distincts, et frôlent souvent le borborygme. Heureusement, ses partenaires semblent la comprendre. Une question d’habitude sans doute. Alors Asia Argento, pas dirigée ou mal dirigée, je ne sais, mais dès qu’elle apparaît à l’écran, on a envie de hurler « Rendez-nous Maggie Cheung ! ».

Pour finir sur une petite note positive, la caméra d’Assayas est joliment mobile et fluide, il filme notamment très bien les pieds qui montent ou descendent les escaliers…

 

Chronique film : La fille coupée en deux

de Claude Chabrol

C’est avec beaucoup de bonheur que je suis allée voir le dernier film de Claude Chabrol, c’est avec ravissement que j’en suis sortie. Dans le terrain toujours bien balisé du monde de la haute bourgeoisie, dont Chabrol aime disséquer les moeurs, souffle un vent de fraîcheur, incarné par la décidément délicieuse Ludivine Sagnier.

Comme à son habitude Chabrol joue allègrement avec les noms de famille de ses personnages, son ange blond, hitchocko-allenien s’appelle Gabrielle Deneige, et sur les ondes locales de la télévision lyonnaise, présente les prévisions météorologiques. Elle incarne cette nouvelle élite française, l’élite télévisuelle, qui écrase les anciennes idoles bourgeoises et intellectuelles. Mais Gabrielle Deneige est finalement loin du cliché de l’écervelée à l’ambition dévorante. Attirée par un écrivain intellectuel et pervers, Charles Saint-Denis (interprété par François Berléand, implacable), c’est en toute innocence, ou plutôt sincérité, qu’elle se livre à ses pratiques sexuelles particulières. Ayant rempli le cahier des charges, comme de bien entendu, la bête abandonne la belle. Gabrielle, désespérée, accepte alors de se marier avec un fils à papa fou d’amour et fou tout court. Magimel est assez magistral, dans un rôle incroyablement savonnette. Personnage profondément ridicule, Paul Gaudens (ah Chabrol, tu as le génie des noms) est pourtant fort inquiétant, car sur le fil de la raison en permanence. Un fois Gabrielle mariée à la famille Gaudens, l’homme perverti au nom de Saint, sera tué par l’homme de haute lignée au nom d’accessoire divin. Mais chez Chabrol, comme dans la vie, il n’y a pas de justice, et l’archange blond et déchu, livré en pâture à la vindicte populaire et médiatique, expiera pour les crimes des autres, pour mieux renaître, sous le feu de projecteurs plus modestes, mais plus sincères d’un spectacle de cirque.

Il y a un plaisir évident, une jouissance absolue de raconter une histoire, à montrer très peu pour dire beaucoup. Le film est d’une finesse totale dans ses détails (finesse n’est finalement pas le terme le plus adapté…), que ce soient dans les dialogues, les noms des personnages, leurs comportements même infimes, les décors. Ici, un obélisque miniature trône devant une photo d’une postérieure nudité, là un petit frôlement de doigt suggère qu’entre l’éditrice (Mathilda May, vivante et ma foi troublante) et l’écrivain, les rapports vont au-delà de l’amicalement correct. C’est d’une perversité chaste exquise, grinçante et réjouissante. Le générique arborant environ quatre noms et demi, l’ensemble possède un certain côté placo-plâtre propre à Chabrol. Il a pourtant apporté plus de soin que dans sa médiocre Ivresse du pouvoir, au cadre, et réussi à composer quelques plans assez jolis, tout en jeux de miroirs.

Comme Woody Allen, la jeunesse féminine et blonde lui redonne un souffle créatif évident, et la dernière plan en est un hommage criant. En cette moitié d’année 2007, et heure de moitié de bilan, il devient de plus en plus évident, que c’est dans les plus vieilles gamelles qu’on fait la meilleure soupe, qu’il y a plus de cinéma chez les Chabrol et Téchiné, que chez beaucoup de petits jeunes. Pas forcément très rassurant pour la suite…

Chronique film : Ratatouille

de Brad Bird

Aucun doute, Ratatouille est une réussite. Réussite sur le plan technique d’abord, le travail sur les textures, les matières, notamment la nourriture, est assez extraordinaire, sans tomber dans la tentation de l’hyperréalisme (les humains restent assez dessins animés pour être plaisants).

Basé sur une idée bien sympathique (un rat n’a qu’une envie, devenir un grand cuistot), le film se déroule sans temps mort. Bien que plongeant à fond des le cliché sur les frenchies, en marinière et béret, Ratatouille n’en est pas moins un grand hymne à la cuisine, au goût, et au bien-manger. En provenance du pays de la mal-bouffe, c’est assez savoureux.

La VF n’est cependant pas extraordinaire, malgré la présence au générique de guest-stars, notamment Camille, qui est bien meilleure lorsqu’elle pousse la chansonnette de fin du film. En espérant que ça donne envie à quelques mioches de manger autre choses que du hamburger et des frites…

Ah et une bonne surprise avant le film, un court-métrage Pixar, avec un extra-terrestre maladroit, vraiment sympa.