Chronique film : Les derniers jours du monde

d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu.


S’échapper, par tous les moyens à la grisaille pénétrante. Clique.

Avec les Larrieu, rentrer dans une salle c’est s’exposer au risque de pénétrer des mondes parallèles, pas vraiment solides et stables. Les derniers jours du monde est vraiment un « machin » au bon sens du terme, un truc improbable et barré, mal foutu et attachant, un bric à brac génial. Mal construit, manquant de tenue, le film réussit néanmoins à emporter l’adhésion par l’attachement qu’il provoque, les questions qu’il suscitent, la curiosité qu’il titille. La fin du monde sert de décor à une ode à l’amour absolu. Quoi de plus romantique que cet amour malgré tout ? malgré le monde qui s’écroule, malgré les femmes qui cherchent la protection et la queue du mâle.

C’est un parcours du combattant auquel est confronté Robinson, le héros. Amalric est superbe, toujours sur le fil, incroyablement crédible dans le rôle totalement impossible d’un homme blackboulé par les événements et ses sentiments pour sa curieuse et volatile maîtresse (très intrigante Omahyra Mota, androgyne brindille). Les Larrieu se lancent dans un cinéma beaucoup plus ambitieux qu’ils n’en ont l’habitude (et le budget probablement), une espèce de road-movie, alternant scènes intimistes, et scènes de foules dont quelques unes sont très impressionnants (les fêtes de St Firmin à Pampelune). Robinson, malgré ses conquêtes, reste seul au monde au milieu de cette débâcle, avec son amour pour Laë. Et les dernières scènes permettent de boucler la boucle de l’histoire de la Terre : nus comme aux premiers jours du monde, Robinson et Laë courent dans un Paris désert, tels Adam et Eve au jardin d’Eden.

C’est une histoire romantique en diable, très profonde, sans que rien ne soit laissé au hasard. Les Larrieu ne se départissent cependant pas de leur fantaisie habituelle et le film est drôle et touchant. L’interprétation est au petit poil de tous les côtés, et la musique au millimètre (surprenant, risqué et fabuleux choix que Ton Style de Ferré pour illustrer la fin du monde !). Bref un formidable moment, malgré quelques micros longueurs, tout à fait pardonnables compte-tenu de l’audace de l’entreprise.

Chronique film : Non ma fille, tu n’iras pas danser

de Christophe Honoré.


Toute tentative d’évasion est inutile. Clique.

Magnifique, magnifique film que celui-ci. En dressant le portrait de la belle Léna, mère de deux enfants, ayant quitté son mari après une tromperie, Honoré se débarrasse de son côté Diesel parisien. Ses deux précédents films avaient en effet un côté élitiste bobo et mettaient pas mal de temps à décoller. En se délocalisant en Bretagne, sa région d’origine, Honoré réussit à faire démarrer son film dès les premières minutes (très belle scène à la gare, très forte, où Léna commence par perdre son fils, qui essaie de sauver une pie à moitié crevée). En retournant chez ses parents pour un week-end, avec son frère et sa soeur, Léna se retrouve dans un traquenard, son ex ayant été invité par sa mère. Famille, je vous hais.

Le film est constamment sur le fil : entre rire et larmes. C’est très drôle (ma voisine de salle s’est, à raison, marré tout le long), et en même temps totalement poignant (j’ai hurlé intérieurement les trois quart du film), bref, d’une infinie subtilité. On pense à l’Heure d’été bien sûr, à Un conte de Noël aussi, pour la description de la haute toxicité familiale banale, mais Honoré réussit un film moderne, solaire, risqué, prenant le parti de l’émotion plutôt que du jugement, un film en équilibre fragile, comme son héroïne, qui peut donner lieu à de multiples interprétations (désaccord totale entre ma voisine de fauteuil et moi d’ailleurs).

Non ma fille, tu n’iras pas danser, est un film sur la pression extérieure, sur la violence familiale et sociale faite à cette femme (aux femmes ?) sensible. Léna vit dans la culpabilité permanente, soigneusement entretenue (et causée fondamentalement sans doute), par l’ensemble de son entourage. Une femme sous influence donc, de ses parents d’abord, incapables de voir autre chose en elle qu’une inapte, incapables de lui faire confiance, jugeant à tour de bras ses actes, interventionnistes (ils invitent son ex, critiquent sa façon de tenir son appartement, et donc prenent les choses en main…). On imagine que cette présence pesante, cette pression permanente, n’est pas pour rien dans la fragilité de Léna, dont le potentiel ne peut pas s’exprimer, dont toutes tentatives d’évasion restent incomprises, jusqu’à l’évasion finale radicale. Cette fin est bouleversante, elle sonne comme une de fatalité, un cercle vicieux imbrisable quoi qu’on fasse, quoi qu’on tente, quel que soit l’amour et l’énergie dépensés. C’est d’une tristesse ineffable (Léna décide de partir, en abandonnant ses enfants. Son frère lui dit qu’ils ne comprendront pas, qu’ils lui en voudront. Elle répond que peu importe, puisque qu’ils lui en voudront de toutes façons).

Victime ou irresponsable Léna ? en fait, c’est la question à ne pas poser. C’est le piège dans lequel il ne faut pas tomber : le jugement, l’analyse du comportement de Léna. Bien que de pratiquement tous les plans, le film est finalement plus le portrait de l’entourage de Léna, que de Léna elle-même. On reste dans le subjectif, dans la façon dont les proches de Léna la perçoivent (y compris son « pas encore amant », qui se permet de décortiquer ses faits et gestes), plutôt que dans le vrai portrait. Du coup, toute tentative de jugement vis à vis de Léna tombe à plat, puisqu’on a qu’une vision partielle et subjective de cette femme. On peut lui reprocher d’être hystérique (mais entre traquenard et mauvaises surprises, n’a t’elle pas des raisons ?), de ne pas tenir parole vis à vis de son fils (elle ne va pas le chercher à l’école, mais pourquoi ? on l’ignore), d’être illogique, irrationnelle… on peut aussi dire que c’est une femme qui essaie de se trouver, dont la tromperie du mari (excellent Jean-Marc Barre, tellement raisonnable et puant de responsabilité face à sa folle d’ex-femme) a été le déclencheur d’une tentative de reconstruction, ou plutôt de construction, que personne n’accepte, une tentative de fuite du schéma traditionnel (travail, famille…) que tout le monde juge négativement. On sent le poids discret mais bien présent de la tradition dans cette famille, de la religion aussi. L’incursion dans la Bretagne du conte et du biniou au coeur du film est à la fois complètement décalée et complètement éclairante sur le film. Cet aparté raconte l’histoire de Katell, une belle jeune femme qui aime s’amuser : ses partenaires de danse meurent les uns après les autres, épuisés par la belle, qui finit par succomber au charme du diable, et d’en mourir de la même façon que sont morts ses partenaires.

Katell, Léna, des femmes qui paient cher leur envie de liberté, dans un monde où la tradition, la morale, la religion sont autant de facteurs d’anéantissement de la personnalité sous couvert de paix sociale et d’une recherche de bonheur à moindre coût (ou coup ?). Magnifique.

Chronique film : Un prophète

de Jacques Audiard.


Ok, c’est un peu facile, mais j’avais pas d’idée. Clique au lieu de râler.

Un prophète est un gros film français, le plus gros que j’ai vu depuis longtemps. La preuve, au générique de fin sont crédités pas moins de 6 serruriers. Ah, ça en bouche un coin ça, 6 serruriers pour un seul film. Un prophète sous ses airs de film sérieux et concerné est donc bien une superproduction, qui sort l’artillerie lourde pour séduire le spectateur et le critique bouche bée d’admiration. Et ça marche visiblement, puisque la critique est unanime, Grand Prix au festival de Cannes et tutti machin. Et il faut être honnête, le film est totalement irréprochable.

C’est une espèce de Scarface à la française, et dans l’univers carcéral, la réussite (sans décadence) magistrale d’un petit mec de rien, qui grimpe les échelons de la société en faisant profil bas. La mise en scène d’Audiard est très classieuse : tour à tour nerveuse et sèche, ou distanciée, il utilise à merveille ses décors depuis le fourgon de police des premiers plans (à travers les grilles on aperçoit des immeubles, et leurs petits fenêtres alignées, comme des cellules, belle mise en abyme) jusqu’à la prison, univers à la fois clos, mais en constante interaction avec l’extérieur. Dans ce décor s’ébattent des acteurs formidables, depuis Arestrup sur-jouant son rôle de parrain corse jusqu’à la caricature, symbole d’un monde bling bling révolu, à Tahar Rahim, gueule d’ange indéchiffrable, prenant de l’épaisseur au fur et à mesure du film, sans oublier tous les seconds rôles, parfaits. Côté son c’est moins brillant, on a connu Desplat nettement plus inspiré, sa musique est ici quelque peu mélasse. La prise de son est en dessous de tout, c’est simple, j’ai compris à peu près un mot sur quatre, et je soupirais de bonheur quand les personnages parlaient étranger, au moins, je pouvais me raccrocher aux sous-titres.

Malgré toutes ces qualités et ce défaut handicapant, je n’ai jamais réussi à rentrer dans le film. Sur les deux heures quarante, j’ai bien l’impression qu’il y a une bonne heure de trop. On ne peut pourtant pas reprocher à Audiard un côté moralisateur ici, contrairement à son précédent film. Le film évite le manichéisme, faisant du savoir et de la connaissance le carburant d’une réussite criminelle, et de son personnage de petite frappe un grand bandit, sans qu’aucun jugement moral ne fasse de l’ombre à cette ascension. Non, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pu rentrer dans ce film. Trop mâle, trop viril, sans doute, pas un sujet qui me touche particulièrement, et une mise en scène au final trop attendue pour m’avoir vraiment emportée.

Contrairement aux Cahiers, les passages les plus intéressants du films sont pour moi les décrochages de la réalité, la présence du « fantôme » de l’homme qu’a tué le héros, ce rêve de biches intrigant. Ces scènes ont de la présence, du corps, et poussent le film dans une direction qu’il n’ose pas prendre franchement. Frustrée aussi de ce que le film aurait pu être et qu’il refuse d’être vraiment. Un film qu’il serait de mauvais goût de ne pas aimer donc, mais qui m’a laissé sur le bord de la route une grande partie de son cours.

Chronique film : Partir

de Catherine Corsini.


Si tu veux toi aussi ton bol d’embruns, clique.

Ah lala je ne sais pas ce qui m’a pris d’aller voir ce film. Partir, ce n’est quand même pas grand chose, même si on sent qu’il y a de la bonne intention derrière. Une femme de médecin tombe amoureuse de son maçon. Une passion folle et destructrice.

Bon, on peut pas lui en vouloir, le maçon, c’est Sergi Lopez, comme toujours irrésistible, et qui réussit à envoyer ses phéromones au delà de l’écran. Que dire à part ça ? On comprend parfaitement ce qui a plu à Corsini dans cette histoire finalement simple : une folle passion qui arrive au retour d’âge chez une femme en quête de reconstruction, l’inéluctabilité du destin personnifié par un mari pas net…malheureusement elle ne réussit pas à faire décoller son film de la bluette pour ménagère de moins de 50 ans, et les ricanements dans la salle dans des moments qui se voulaient probablement sérieux, ne plaident pas en la faveur d’une belle tragédie classique comme le visait sans doute Corsini.

C’est dommage car il y avait probablement matière, et Corsini réussit de manière très ponctuelle à emporter l’adhésion (jolie scène bilingue catalan/anglais notamment). On se retrouve par moment emportés par le couple Lopez/Scott Thomas. Mais ces élans sont de courtes durées et on baille facilement d’ennui, malgré la qualité de certains cadrages, et une photographie vraiment belle. Côté acteurs, à part l’impeccable Lopez (j’en fais trop peut-être là ?), on sent parfois Scott Thomas en roue libre, alternant belles scènes, et moments bâclés. Mais la palme revient à Yvan Attal qui est, comment dire,… hum… très en dessous, franchement marrant quand il veut faire peur, avec les sourcils froncés pour bien montrer qu’il n’est pas gentil. Très drôle le gars.

Bref un film mal maîtrisé, malgré du potentiel. Blop.

Chronique film : Adieu Gary

de Nassim Amaouche.


Pour être éblouis tout à fait, clic.

Charmant petit film que cet Adieu Gary, dont je ne savais absolument rien avant de rentrer dans la salle. Dans une belle cité ouvrière ensoleillée (d’Ardèche si je ne m’abuse), Samir revient au pays après un séjour en prison. Dans cette ville désormais sans usage (l’usine qui employait tout le monde est en train d’être démontée), le film oscille entre le récit du retour de Samir et la chronique villageoise.

Pas grand chose à reprocher à ce film. Amaouche a un vrai œil de metteur en scène, et démontre une belle maîtrise formelle. On est loin de la chronique naturaliste, le film étant très esthétique, avec une mise en valeur constante de ses personnages. Il aime ses protagonistes, et surtout les acteurs qui les interprètent, et Amaouche fait tout pour les mettre en valeur. Le film laisse par conséquent et rétrospectivement une impression lumineuse, chaleureuse et colorée, encore accentuée par l’utilisation très fine du son et des bruitages, qui donne un petit côté enchanté à cette histoire pourtant pas si drôle. La direction d’acteur mérite d’être soulignée, ils sont tous vraiment très bien. Amaouche sait parfaitement ce qu’il veut et réussit à l’obtenir, toujours à l’avantage de ses comédiens.

Là où le film pêche, c’est plutôt par son scénario, beaucoup moins fin que la mise en scène : dialogues pas toujours légers, situations caricaturales, symbolisme un peu appuyé. Rien de gravissime, d’autant qu’une très jolie scène de cow-boy (oui oui), laisse présager un certain talent à faire émerger des situations intéressantes. Mais ce handicap plombe quelque peu l’intérêt du film, qui paraît pour le coup trop gentillet et bien-pensant, sans que rien ne vienne vraiment gratter le poil. Un très joli coup d’essai cependant pour ce jeune metteur en scène fort prometteur.