Chronique film : I’m still here – The lost year of Joaquin Phoenix

de Casey Affleck.

Après le tournage de Two Lovers, Joaquin Phoenix en a assez de faire l’acteur et veut enfin devenir lui même en se lançant dans le milieu très fermé du Hip Hop. Imbu de sa personne, grossier, infect, artiste maudit, shooté jusqu’à la gueule et piètre rappeur, Joaquin Phoenix apparaît comme une sorte d’anti-thèse romantique, l’ultime rebut du star-system hollywoodien.

I’m still here est présenté comme un documentaire sur la plaquette du cinéma, et le tour de force du film réside justement dans le fait que le spectateur ne réussit pas à démêler le vrai (s’il y en a) du faux (s’il y en a). Avec ce personnage absolument énorme, abominable et burlesque à la fois, et tous les personnages qui gravitent autour de lui, Casey Affleck, dont c’est la très très culottée première réalisation, réussit à semer le trouble. On suit J.P. (le nom de “rappeur” de Joaquin Phoenix !) dans son enfance, puis son quotidien post-réorientation, ses rapports avec son entourage, ses nouvelles aspirations musicales, ses désastreuses tentatives scéniques. On jubile. Sans doute nos instincts voyeurs les plus primaires et enfouis se repaissent-il du spectacle de cette chute libre.

Son apparente sincérité ne réussit cependant pas à faire oublier à quel point le personnage est antipathique. On est estomaqué par l’incroyable prestation de Joaquin Phoenix, qui, en acceptant d’être le héros de la mise en scène de sa propre déchéance, dans laquelle il apparaît systématiquement à son désavantage, se révèle sans doute l’acteur le plus cinglé de sa génération en jouant à la roulette russe avec sa carrière. Casey Affleck réussit à réaliser un vrai film de cinéma, derrière la forme éclatée du documentaire. Certaines scènes sont formidables de drôlerie, par exemple lorsque J.P. fait écouter sa maquette à P. Diddy en croyant que celui-ci va produire son album. Le visage du producteur se défait à mesure qu’il écoute la médiocre musique de l’acteur, et, très poliment lui explique qu’il y a encore du boulot. Ou encore lorsque J.P. doit assurer la promotion de son dernier film dans un talk-show et qu’il subit les moqueries de l’animateur et des spectateurs. Le visage de son agent se décompose à mesure que le show avance, en voyant son poulain en train de saboter et sa carrière et la promotion de son film.

Symbole du produit de la digestion d’un star-système pourri (le film est d’ailleurs passablement scato), Joaquin Phoenix finit par retourner aux sources, chez son père, dans la belle nature du Panama et replonge jusqu’à disparaître dans la rivière dans laquelle il nageait enfant. La scène, poétique, ressemble aux Last days de Gus Van Sant, mais l’artiste, bien que tout autant maudit que Cobain, n’a plus rien de l’icône romantique des années 90. Bouffon pathétique et vulgaire, J. P. traîne (faussement) sa carcasse et sa médiocrité sous la caméra sans concession de son beau-frère, Casey Affleck, dont on ne sait pas trop si ce premier essai sera le coup de génie initial ou le coup d’arrêt d’une carrière toute neuve de réalisateur.

Chronique film : Chico et Rita

de Fernando Trueba et Javier Mariscal.

Le film débute à La Havane en 1948. Chico, pianiste de talent et désargenté, toujours suivi à la trace par son manager, rencontre la voluptueuse Rita, qui chante dans des bars pour gagner sa vie. Entre eux, c’est je t’aime moi non plus, et leurs itinéraires n’en finissent pas de se croiser sans jamais vraiment réussir à se mêler. Le star système les prend en main. Rita devient une star hollywoodienne, tandis que Chico mène une carrière plutôt réussie de pianiste. Jusqu’au jour où.

Raconter une histoire d’amour en dessin animé, une vraie, difficile, drôle, sensuelle, voilà qui est plutôt culotté. Le trait de crayon pour représenter les visages est assez simpliste, et rentrer dans le film n’est pas forcément très évident. Malgré la belle sensualité des protagonistes, on a un peu de mal au départ à adhérer au jeu de la séduction entre nos deux héros et aux scènes chantées. Mais la gène est seulement passagère, et petit à petit on pénètre dans cette histoire du chat et de la souris avec délices. Le dessin devient progressivement une force, et donne au film un caractère poétique. Les personnages deviennent des symboles des gens simples confrontés à l’injustice, pions dans les mains de gens âpres au gain et d’un système qui, pour un seul faux pas, est capable de les broyer.

On peut également admirer la manière extraordinaire de dessiner les villes, de la Havane, à Paris en passant par New York ou Las Vegas. De belles atmosphères s’en dégagent, des ambiances différentes quand on change de lieu, et ce voyage dans le passé, sans être nostalgique de mondes perdus, est très agréable. La “caméra” navigue avec fluidité et sensualité dans ces décors, et tout le talent des réalisateurs se déploie dans les scènes musicales, excellentes et magnifiées par la musique dynamisante de Bebo Valdés (dont la vie a librement inspiré l’histoire du film).

Quand le film se termine, on est très ému par cette histoire simple et pourtant extraordinaire, d’un amour contrarié par les petites histoires et par la grande. Un film d’animation hors de la bouillie pré-mâchée habituelle, bien bien.

Chronique film : Pater

d’Alain Cavalier.

Première grosse surprise pour Pater, la salle était pleine. Certes pas une grande salle, et le dimanche était pluvieux, mais tout de même, la satisfaction de voir que Cavalier peut remplir les salles. Deuxième grosse surprise, Pater est le film le plus drôle que j’ai vu depuis un moment.

Le film ne ressemble à rien de connu. Alain Cavalier choisit de filmer les rapports entre le président de la République (qu’il interprète lui-même avec talent) et un chef d’entreprise (Vincent Lindon, parfait également) dont il fait son premier ministre. Mais au lieu de filmer son histoire de manière classique, il préfère mêler au récit des scènes “réelles” de la préparation du film. On navigue ainsi entre le domicile d’Alain Cavalier et celui de Vincent Lindon dont l’impressionnant dressing permettra à Alain Cavalier de trouver la cravate idéale pour interpéter le Président, entre une dégustation de conserves de truffes et une visite électorale chez un boulanger. Un étrange jeu se met alors en place dans lequel réalité et fiction se mêlent jusqu’à parfois être difficilement identifiables pour le spectateur et pour les acteurs eux-mêmes. Vincent Lindon avoue d’ailleurs se prendre parfois au jeu, et se demander ce qu’il va bien pouvoir proposer pour régler les problèmes des banlieues!

On rit beaucoup pendant le film, une multitude de petits détails, de trouvailles visuelles ou verbales donnent à Pater une extraordinaire drôlerie. On voit ainsi le premier ministre tremper sa main dans un bac à glaçons après avoir serré des milliers de paluches pour sa campagne, ou sa voiture victime d’une attaque dans un garage et criblée de pioches enfoncées dans son capot, comme une sculpture d’art moderne, ou encore découvrir une photo compromettante d’un de ses adversaires en politique. C’est par l’économie de moyens, par son côté artisanal, sans bidouille que ce cinéma du peu réussit ce tour de force de donner le sourire au spectateur tout le long de la projection.

D’ailleurs, quel meilleur moyen pour parler des jeux de pouvoir et de leur ambiguïté, que de réaliser une comédie dans laquelle les acteurs jouent des politiciens, et où les politiciens deviennent les acteurs de leur propre jeu ? Le procédé est lumineux, intelligent, taquin, et Cavalier et Lindon prennent un plaisir communicatif à en devenir les instruments. La politique apparaît comme un simple protocole, vidé de sens, et si le clash entre le président et le premier ministre prend pour prétexte un différend politique, le processus de rupture apparaît comme codifié, presque écrit d’avance.

Parallèlement à ce démantèlement des jeux de pouvoir, Pater possède un côté très personnel et touchant, dans la façon dont Cavalier aborde l’intime, par ces repas gourmands, ces micros détails du quotidien, ces confessions ou coups de gueule qui déboulent comme ça au milieu de nulle part. Il lui suffit de filmer son chat, ou se regarder dans un miroir pour faire naître l’émotion. En se regardant dans le miroir justement, il se réconcilie de manière posthume avec son père, dont il détestait l’autorité, mais auquel il avoue ressembler aujourd’hui. Et Cavalier, lui qui a été élevé par des pères de l’église, à son tour devient père (le pater du titre?), père spirituel bien sûr, à la fois en tant que lui-même de Lindon l’acteur, et en tant que président de Lindon le premier ministre. Il y a une très belle scène justement durant laquelle il filme son acteur en train de téléphoner dans le jardin depuis une fenêtre de l’appartement, et où il (Cavalier et/ou le Président ?) confie qu’il lui plaît, qu’il est solide et que “on l’aimera”.

Dans ce jeu de manipulation du spectateur on discerne une sincérité, de la tendresse et de l’émotion, et c’est très beau. La meilleure comédie de l’année, mais pas que. Classe.

Chronique film : My Little Princess

d’Eva Ionesco.

my-little-princessVioletta a dix ans, et vit chez sa grand-mère roumaine. La mère, figure excentrique apparaît dans leur petite vie bien tranquille. Photographe, elle choisit comme modèle sa petite fille qu’elle fait poser pour des photos de plus en plus suggestives, et érotiques. Violetta, d’abord ravie finit par se rebeller contre cette mère sans scrupule.

Difficile de dire du mal de ce film, l’histoire est vraie et c’est celle de la réalisatrice. Beaucoup de sincérité s’en dégage, de fragilité. On assiste au parcours de Violetta, à cette enfance volée, avec de la tristesse et de la révolte. La photographie, très soignée (c’est la moindre des choses ceci-dit) réussit à nous plonger dans cet univers border-line, avec notamment des clairs-obscurs vraiment beaux et troublants.

Mais malheureusement, ce trouble, qui devrait durer tout le long n’est que très ponctuel. Le film, qui raconte pourtant une histoire extrêmement dure et perturbante, peine à sortir de sa bulle. Tout reste globalement assez sage et lêché. Et c’est Eva Ionesco elle-même qui nous donne la clé pour comprendre cet état de fait « écrire sur une matière intime, très proche, ne donne pas beaucoup de liberté« , dit-elle, et de continuer « dans les histoires intimes il y a toujours des sentiments impérieux qui prennent le pas sur l’imagination« *. Et c’est exactement ce à quoi on assiste ici. Eva Ionesco nous raconte plus son histoire qu’elle ne réalise un film de cinéma.

Il y avait pourtant beaucoup de matière pour faire un grand film : une réflexion sur l’ambiguité de l’objet photographique (comme “voleur” de moments intimes ponctuels, gravés dans le marbre pour l’éternité), sur ce rapport vampirique entre cette mère et sa fille, sur les paradoxes de Violetta consentante puis révoltée, sur l’enfance marginale comme facteur initiale d’une vie hors-norme, l’importance du regard des autres … Toutes ces thématiques sont évoquées dans ce film, mais il reste cependant en surface des choses. Heureusement quelques scènes réussissent à briser la coquille du souvenir et parviennent à toucher du doigt ce que le film aurait pu être. Durant une séance de pose, Hannah la monstrueuse maman demande à sa fille d’écarter un peu plus les cuisses pour découvrir son sexe. C’est le moment où, ce qui n’était pour Violetta qu’un jeu lui permettant de se rapprocher de sa mère, bascule dans la violence faite à l’enfant. Ce virage est parfaitement rendu dans cette scène, avec simplicité, par un seul regard de Violetta. On peut également saluer un magnifique pétage de plomb de l’enfant, lors d’une sollicitation quelconque de sa mère.

Violetta, enfant-femme, victime partiellement consentante des fantasmes de sa mère reste le personnage le plus intéressant du film. Hannah, interprétée par une Isabelle Huppert beaucoup beaucoup trop âgée pour le rôle (ça se voit bien autour des oreilles…), manque singulièrement d’ambiguïté, elle est filmée de manière monolithique, comme un monstre. Pas de tendresse dans la manière de filmer cette femme, juste un réquisitoire (certes convaincant) à charge. Mais un film n’est pas un procès, et on peine à adhérer totalement à cet exutoire filmé, malgré quelques scènes intéressantes, et une sincérité qui ne peut être remise en question.

*rèf. Allociné

Chronique film : Une Séparation

de Asghar Farhadi.

Oh quand même c’était triste, très triste.” C’est ce que j’ai entendu de toutes parts en sortant de la salle. Oui Mesdames dijonnaises, Une Séparation est un film triste, comme la vie. Il aurait été très étonnant qu’il en fût autrement.

En Iran, un couple veut divorcer, enfin, surtout Madame. Face au juge, elle argumente, s’énerve. Cette démarche, qui se révèlera être une tentative désespérée pour essayer d’obtenir une parole ou un geste d’affection de son mari, constitue une très belle entrée en matière. Tout est déjà dans cette scène, le malaise d’un couple, dans un contexte social iranien difficile. La jeune femme quitte le domicile conjugal pour retourner chez ses parents, laissant sa fille adolescente et son beau-père, malade d’Alzheimer. Son mari se voit contraint d’engager une femme pour s’occuper de son père lorsqu’il est au travail. Et ça se passe mal. Un vrai calvaire commence, qui signera bel et bien la fin de ce couple déjà fragilisé.

La grande réussite d’Asghar Farhadi c’est de mêler cette histoire intime et le contexte socio-religieux iranien de manière très intelligente et subtile. La crise que vit ce couple (il est accusé d’avoir provoqué la fausse couche de la garde-malade) est démultipliée par les tabous de cette société ultra-religieuse. Cette crise sert à la fois de révélateur et de symbole au drame intime que vit cette famille. Asghar Faradhi, suit ses acteurs (tous excellents), avec une caméra nerveuse, au plus près de leurs émotions. Tous les “points de vue” sont exposés, pas de bon ni de méchant, pas de vérité gravée dans le marbre mais des gens qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils sont et ce qu’ils ont, leur éducation, leur Dieu, leurs moyens. C’est beau, âpre et triste comme c’est pas permis. J’avoue honteusement avoir trouvé ça parfois un peu longuet, notamment la “saga” judiciaire qui prend beaucoup de place, et rend par conséquent la construction un peu bancale. Mais la dernière scène, miroir de la première, constitue un magnifique et déchirant final.