Chronique livre : L’innocent

de Christophe Donner.

linnocentCinquième et dernier roman lu dans le cadre du Prix du roman Fnac 2016, et pour être honnête une pointe de déception. Il n’y aura pas eu cette fois-ci de grand coup de cœur, comme le magnifique Bois Sauvage de Jesmyn Ward, ou encore le fascinant Autour de moi de Manuel Candré, lus dans des circonstances analogues en 2012.

Mais revenons au roman, largement autobiographique si j’ai bien compris, de Christophe Donner. En toute honnêteté, on sent tout de suite qu’on a un peu affaire à un patron. Christophe Donner maîtrise complètement son sujet, l’écriture. Il utilise pour cela des bribes de son apprentissage sexuel post-soixante-huitard. Petites saynètes, fragments de souvenirs, la masturbation intensive en fil conducteur, l’écrivain navigue de conquêtes en échecs masculins ou féminins, d’histoire en éclats, dans une galaxie de personnages dont il est bien difficile de se dépêtrer. Ca n’a pas grande importance, le plus intéressant étant l’écriture, et la manière dont Christophe Donner jongle avec la narration, du il au je, en passant par le nous et le on, au gré des souvenirs plus ou moins mouvants et de la manière dont l’auteur habite sa propre histoire.

Tout ça est très bien fait, aucun doute là-dessus. Mais, à part l’intérêt pour le portrait d’une époque de libération sexuelle assez débridée, et quelques pointes d’humour et d’ironie dans la description de ses personnages, j’avoue n’avoir pas vraiment réussi à m’impliquer là-dedans. Rien de spécial à lui reprocher, juste que vraiment, ce n’est pas mon truc, je n’avais pas grand chose à faire dans cette histoire.

Ed. Grasset

Chronique livre : Un ours qui danse

de Vincent Jolit.

unoursquidanseTroisième livre lu dans le cadre du Prix du roman Fnac 2016, et tout de même jusqu’à présent j’ai vraiment du bol. Parmi les quatre cent et des brouettes romans de la rentrée littéraire de septembre, il doit y avoir beaucoup de déchets, et touchons du bois, je n’ai pas l’impression d’être tombée dessus. Si, tout comme les deux livres précédents de la sélection, Un ours qui danse n’a pas fait accélérer mon rythme cardiaque au point de hurler au chef-d’oeuvre, il se lit cependant avec plaisir et intérêt. Bref, c’est tout à fait honnête.

Abordant un sujet qui me semble finalement assez peu pris en charge par la littérature romanesque contemporaine, Un ours qui danse nous embarque malignement dans une histoire en creux de la danse moderne et contemporaine, depuis sa naissance au début du vingtième siècle, jusqu’à son utilisation aujourd’hui par une femme en quête de la réappropriation de son corps. Trois portraits, trois époques, trois motivations et finalement le même besoin d’acceptation, de soi, de son corps, de son passé, la même envie d’aller de l’avant, de ressentir, de vivre.

On suit avec intérêt donc ces trois histoires, notamment celles de Franz et de Fiodor, puisque dans ces deux récits, Vincent Jolit se place au coeur des bouleversements les plus importants de la danse au vingtième siècle (et de l’Histoire avec sa grande H, entre révolution et guerre mondiale), l’explosion du carcan classique par Nijinski, Diaghilev, Stravinski et bien d’autres à la veille de la première guerre mondiale, puis l’avénement du post-modernisme dans les années 50-60. Tout ça est rondement mené dans un style enlevé et agréable.

Le principal souci dans ce livre, c’est que justement, ce style enlevé et agréable, on a déjà l’impression de l’avoir lu cent fois, et avec un peu plus de maîtrise et de génie chez d’autres. D’autres qui sont d’ailleurs cités de manière explicite dans le livre, Echenoz et Carrère, excusez du peu. On pourrait aussi y rajouter Deville pour être un peu plus complet. C’est bien fait, aucun doute là-dessus, c’est très agréable, on se sent à la maison. Mais au niveau du style, du coup, on n’est pas franchement bousculé. On aurait également aimé un peu plus de passion et de ressenti dans la description de la danse, de ce que ça provoque dans le corps, dans les tripes. C’est abordé, mais c’est un peu sage, un peu littéraire, pas tout à fait à l’unisson de ce que fait vibrer la danse d’un point de vue viscéral chez le danseur, ou même le spectateur.

Rien de grave, Un ours qui danse pourrait trouver son public, amateurs de danse et de Télérama. C’est charmant, bien écrit, enlevé, tout à fait recommandable et sans faute de goût. Et puis prendre la danse comme sujet, c’est finalement assez ambitieux et casse-gueule pour qu’on puisse saluer la prise de risque.

Ed. Editions de la Martinière

Chronique livre : Vera Kaplan

de Laurent Sagalovitsch.

verakaplanPremier livre lu dans le cadre du Prix du roman de la Fnac 2016, Vera Kaplan fait partie de ces romans très perturbants pour le critique. Bien écrit, concerné, irréprochable, Vera Kaplan laisse peu de prises, d’aspérités auxquelles s’accrocher.

Basé sur une histoire vraie, aussi terrible que fascinante, le roman endosse la parole de Vera Kaplan. La jeune femme est belle, désirée, juive. On est dans les années 40, à Berlin. Pour sauver ses parents de l’enfer des camps, elle collabore avec la Gestapo et traque les Juifs qui ont réussi jusque-là à échapper aux nazis. Le roman commence par la parole du petit-fils de Vera qui découvre, après la mort de sa mère, l’existence et les écrits de sa grand-mère. Laurent Sagalovitsch utilise un procédé d’aller-retours entre le récit du petit-fils et les écrits de sa grand-mère, mise à distance/coeur de la bête.

Tout ça est bien fait, bien écrit, profond, délicat, pudique juste ce qu’il faut. Irréprochable donc. Mais du coup, on s’ennuie un peu. Face à la force du sujet, vertigineuse, on attend le vertige, pas la ouate policée d’une mise à distance trop prononcée. En déléguant la parole entièrement à ses personnages, Laurent Sagalovitsch semble un peu absent de son propre livre. Recommandable certes oui, mais sans ébouriffement.

Ed. Buchet/Chastel
Coll. Qui vive

Chronique livre : Anguille sous roche

d’Ali Zamir.

Oh, la terre m’a vomie, la mer m’avale, les cieux m’espèrent, et maintenant que je reprends mes esprits, je ne vois rien, n’entends rien, ne sens rien, mais cela ne pèse pas un grain puisque je ne vaux rien, (…)

anguillesousrocheAnguille sous roche permet au lecteur curieux de réviser sa géographie et ce n’est pas la moindre de ses qualités. Ali Zamir vient des Comores, il est jeune, très jeune même, et telle l’anguille, se faufile avec aisance dans la littérature en langue française, avec ce projet d’une grande ambition et d’une maîtrise tout à fait remarquable.

Une jeune fille se noie dans l’océan, elle s’appelle Anguille, et entre deux clapots nous raconte son histoire, ce qui l’a menée aux portes de la mort dans les eaux obscures où tant ont déjà péri. Dans un souffle, une phrase unique, Anguille affirme sa force et sa liberté de femme, envers et contre tous, la société, la famille.

Ce qui est magnifique dans Anguille sous roche, c’est cette langue unique, foisonnante, qui donne à entendre des voix peu entendues jusqu’à présent et qui ont pourtant des choses à dire et affirmer. Entre virtuosité échevelée et sens de l’expression populaire, Ali Zamir nous offre une langue fabuleusement colorée, vivante, une langue en mouvement. L’univers qu’il réussit à décrire ne manque pas d’intérêt non plus, personnages forts, tous remarquablement dessinés, géographie urbaine fascinante.

Mais ce qui met le lecteur KO, c’est clairement cette énergie qui dévaste tout, cette manière d’aller de l’avant, de « rentrer dedans » sans se poser de question. J’ai pensé souvent à la très différente mais tout à fait fabuleuse écriture d’Emmanuelle Bayamack-Tam, dans cette façon dévorante d’avancer,  ce raz-de-marée d’énergie et de force vitale qui déborde de partout.

Anguille sous roche est une magnifique découverte et une très bonne nouvelle pour la langue française, elle n’est pas morte, elle est vivante, elle bouge encore.

(…) mon père Connaît-Tout croit vraiment connaître tout (…)

Ed. Le Tripode.

Chronique livre : Mourir et puis sauter sur son cheval

de David Bosc.

Sans être tout à fait paranoïaque, je reçois comme des brimades personnelles bien des interdits, (…).

mouriretpuissautersursoncheval

On se souvient de David Bosc empoignant fougueusement la vie de Gustave Courbet, personnage lumineux et truculent de la peinture française, dans La Claire fontaine. Il revient ici, s’inspirant très librement de la vie d’une artiste espagnole.

Mais la nuit noire que j’aime tant, je sais qu’ils voudront la bannir à jamais, qu’ils combleront les espaces indécis, les zones sans maître ni destination.

On retrouve donc le goût de l’auteur pour la figure de l’artiste. Mais dans Mourir et puis sauter sur son cheval, David Bosc semble avoir choisi la voie de l’ombre plutôt que celle de la lumière. Sonia, l’artiste espagnole, meurt dès les premières pages, en se jetant nue par la fenêtre de l’appartement de son père. Le livre est constitué ensuite du journal de Sonia. La jeune femme est une sorte de double négatif de Gustave Courbet et ses élans de vie incontrôlables ne cadrent pas avec les codes de la société.

Il me semble que d’avoir toujours eu deux ou trois langues atténuait un peu pour moi la tyrannie du langage. Très tôt j’ai reconnu en lui le serpent qui entrave les tout petits enfants.

Sans doute moins immédiatement séduisant que La Claire fontaine, plus sombre, décousu et morcelé, Mourir et puis sauter sur son cheval regorge pourtant de fulgurances, de mystères, de pulsions débordantes, explosant dans  une écriture charnelle et sensorielle, qui, tout comme Sonia, résiste à l’enfermement de la définition et de la classification. Et ça, c’est forcément passionnant.

Ed. Verdier