Chronique théâtre : We Are l’Europe

mise en scène de Benoît Lambert, texte de Jean-Charles Massera.

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Avec un tel éclairage, j’y vois mieux. Vous m’en resservez un p’tit ?
Clique.

Oh lala, je suis ébouriffée par l’audace de cette programmation au Théâtre Dijon Bourgogne. Ah non, mais vraiment hein. We are l’Europe fait parti des spectacles salutaires qui savent réveiller notre « imaginaire collectif de petite bourgeoisie blanche occidentale ». Je crois que, sans ce spectacle, je ne me serais jamais posée la question de la place de ma life dans la société capitaliste qui part en couilles. We are l’Europe sait poser le doigt où ça fait très mal (finalement être un homme d’affaire avec le téléphone vissé à l’oreille, ça n’est sans doute pas le meilleur way of life), sans cliché aucun (ahhh les fonctionnaires qui n’ont aucun désir dans la vie parce que leur paye tombe tous les mois). Et puis quand même, c’est très audacieux comme mise en scène ce mélange de Hero Corp et de « je laisse mes acteurs plantés là en attendant que ça se passe ». Ce qui m’a plu aussi, c’est l’art de la concision : 2h10 pour ne rien dire, ça a dû être chaud à manager quand même. Et cerise sur le gâteau, la programmation musicale est quand même pointue : Plamondon, Zazie, Balavoine, Téléphone, Coldplay, Garou. Ça m’a ouvert des horizons auditifs.

Bon les plaisanteries les plus courtes étant les meilleures, soyons clairvoyants deux minutes. A force de vouloir faire décalé, absurde et « in » pour pointer du doigt les failles de nos vies dans un système mondial chaotique,  We are l’Europe est un complet gauffrage, poussif, inintéressant, pas drôle et surtout mortellement ennuyeux. Relisons Mythologies de Barthes, n’importe lequel des Beckett ou le dernier Hervé Kempf, tout ça en écoutant Expérience ou Noir Dès’ à fond, et là, on commencera à réveiller sérieusement notre « imaginaire collectif de petite bourgeoisie blanche occidentale ».

Dont acte, je vous laisse.

Chronique théâtre : La mardi à Monoprix suivi d’Auteurs vivants

d’Emmanuel Darley.

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Un peu facile l’illustration, je suis d’accord. Que ça ne t’empêche pas de cliquer.

Une excellente idée de publier ce très beau texte d’Emmanuel Darley. Une occasion pour moi de découvrir cet émouvant monologue. On reconnaît le style Darley dès les premières phrases. Quiconque n’en a jamais lu/entendu se sentira peut-être un peu perdu au début. Par contre, ceux qui tâtent un chouia l’écriture Darleyienne se vautreront avec délices dans ce langage parlé mais très écrit, ces phrases bousculées, chamboulées, fracturées, claudicantes, dont les vides, les manques, les absences sont pleins de sens et d’émotions.

Le Mardi, depuis que sa mère est morte, Marie-Pierre vient aider son père à tenir son ménage, et à faire les courses. A Monoprix. Et pour Marie-Pierre, bien que contente d’aider son père, revenir dans la ville de son enfance est une épreuve. Le regard des autres, et le regard de son père ne sont pas simples à encaisser. Il faut dire qu’avant, Marie-Pierre s’appelait Jean-Pierre. Marie-Pierre décrit donc un mardi avec son père, et c’est magnifique et très émouvant. Elle raconte comme elle le sent, dans sa façon de parler à elle, sa joie de venir aider son père, et sa peine aussi que son père ne l’accepte pas « telle quelle », sa détermination à se faire tolérer comme elle est.

Le mardi à Monoprix est une petite chose très simple, très douce en apparence et qui cache derrière cette simplicité la très grande violence du regard des autres, du poids de ce regard quoi qu’on fasse et quoi qu’on assume. Les deux premières phrases sont en ce sens superbes : « Tout le monde me regarde le mardi. Tout le monde./Me regarde avec le coin de l’oeil comme si discret mais en fait pas du tout. » Et on sent que l’incapacité du père (ou sa très grande difficulté) à accepter l’évolution de son enfant est conditionnée par la peur du regard des autres. Et ce regard des autres justement est petit, bouffé de curiosité malsaine, lié au rejet de l’inconnu, du différent, à la crainte de l’autre qu’on ne comprend pas. Une peur vite transformée en haine, qui se retourne contre Marie-Pierre. Marie-Pierre, un magnifique coeur simple qui paie cher le fait d’être « telle quelle ».

Darley évite cependant tout manichéisme en introduisant furtivement un joli personnage féminin, amie du père, qui sert de contrepoint à la noirceur ambiante. C’est un révélateur des sentiments cachés paternels,  comme ça, mine de rien. Un texte tourneboulant donc. A lire, à voir. Hop hop.


 

Le Mardi à Monoprix est suivi d’une autre pièce, beaucoup plus légère : Auteurs vivants. Une répétition de Corneille par une troupe classique est prise en otage par des auteurs « vivants » désireux de voir leurs textes montés sur une scène. Le début est vraiment poilant : très drôle de voir ces comédiens pouet-pouet (des sociétaires…) pour lesquels le comble de l’audace est d’intervertir deux mots et pris de panique à l’idée de jouer une phrase dont la construction n’est pas parfaite. On n’est un peu gêné cependant par le côté « private joke » de l’exercice, un peu un défouloir, règlement de comptes. Outre cette petite réserve, on passe un très bon moment avec ce texte, qui doit être franchement rigolo à monter.

 

Chronique théâtre : La Mastication des morts

de Patrick Kermann.


Tire lui l’oreille avec la souris pour vérifier qu’il est bien mort.

Très beau texte que ces mastications. Kermann réveille les morts d’un petit cimetière de campagne pour écouter ce qu’ils ont à dire. Et ils en ont des choses à dire : des choses qu’ils n’ont jamais osé dire, propos qu’ils ressassent à l’envie, des comptes à régler, des aveux à faire. Entre les générations, entre les familles, des liens se tissent. C’est à la fois très drôle et poignant d’écouter ces paroles : souvent dérisoires (genre « Mais où j’ai bien pu mettre mes clés »), émouvantes ou sordides, presque toujours écrites comme les gens parlent.

C’est assez fascinant de reconstituer le puzzle de la vie de ce village, de voir comment la nouvelle génération de Bigot a réussi à déjouer la bigoterie des ancêtres, de découvrir qui a, en fait, trafiqué la solex, de plaindre le soldat allemand, qui a eu la malchance de mourir là, en terre ennemie. C’est brillamment écrit, rythmiquement impeccable, beau et triste comme la vie. Kermann a mis fin à ses jours un an après avoir écrit La mastication des morts. Un sujet qui le tenaillait donc.

Photo prise au minuscule mais très intéressant Musée François Rude, à Dijon.

Chronique théâtre : Septembres

De Philippe Malone
Mise en scène Michel Simonot
Avec Jean-Marc Bourg et Franck Vigroux (musique).

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Photo : PM

Je vous avais déjà prévenus ici, la mise en scène de Septembres risquait de faire date. Et ce sera probablement le cas … malgré quelques réserves. Il fallait un courage certain et certainement un bonne dose d’inconscience pour s’attaquer à ce texte magistral, à la fois limpide et ardu.

Le parti pris audacieux, casse-gueule et évident de vouloir mêler intimement le texte à de la musique est judicieux. Les mots de Malone, travaillés, ciselés au millimétre, ont une rythmique interne d’une rare puissance. Ça se bouscule, s’entrechoque, tourbillonne, s’arrête, repart, et tout ça dans un seul souffle. On est happé par cette spirale, étourdi, perdu parfois, mais finalement, on se retrouve, bousculé, les émotions en vrac. Franck Vigroux a parfaitement compris le processus. Avec ses machines, ses boîtes à klong, ses pédales à burp, et sa guitare, il produit une partition d’une incroyable puissance qui prend aux tripes, épouse le texte, ou vient au contraire le malmener. C’est grand.

Le souci vient d’ailleurs : une mise en scène assez floue et une manière de dire le texte, heurtée, fractionnée. On sent le travail de Jean-Marc Bourg colossal de précision mathématique, pour réussir à extirper tout son sens du texte. Le résultat est le découpage de cette unique phrase, sans aucune ponctuation, en plusieurs chapitres bien distincts, durant lesquels les mots sont clamés, martelés. Cette recherche obsessionnelle du sens et l’utilisation perpétuelle de l’amplification est, à mon sens, un contresens. Elle brise toute l’intimité du texte, son flot naturel. Le texte de Malone est suffisamment puissant pour qu’on le comprenne sans qu’on ne nous l’explique. C’est justement là sa force, ce souffle incroyable qui fait naître le sens de l’émotion, elle-même jaillissant du chaos et de l’harmonie des mots. Manque de confiance vis à vis du texte, ou plutôt besoin viscéral de tout contrôler, Jean-Marc Bourg livre au final, une prestation assez rigide, brisant la rythmique interne naturelle des mots et qui ne réussit qu’en de rares occasions à faire jaillir une émotion pourtant débordante.

Reste un projet incroyablement audacieux, à la puissance textuelle et sonore indéniable, mais qui au final se cherche encore un peu. Affaire à suivre.

Pour aller plus loin avec Septembres sur Racines : ici.
Pour aller plus loin avec Malone sur Racines :  voir la rubrique « 
Chroniques théâtre »
Pour aller plus loin avec Septembres sur le net parce qu’il faut pas être bouché :
et là aussi.

 

Chronique théâtre : L’Entretien

texte de Philippe Malone,
mise en scène de Fabrice Andrivon.

Acte III de la journée consacrée à l’écriture de Philippe Malone,
en la bonne ville de Marvejols, en le bon
TMT.


Clic.

Difficile défi que celui de monter ce texte : la pièce est magnifique mais d’apparence ardue et la production, fauchée. Le résultat n’en est que plus surprenant, voire héroïque. Je ne m’étendrai pas sur le texte que j’ai déjà commenté ici.

La mise en scène de Fabrice Andrivon est radicale dans sa forme. Quatre actrices face au public, chacune cantonnée dans une étroite bande de scène. Leurs mouvements sont limités, mais pourtant millimétrés. Une simple lampe qui pendouille suffit à délimiter deux espaces distincts maison / entreprise. On est pas dans l’explicatif ici, mais on est dans le signifiant, le réfléchi, le genre de mise en scène qui ne prend pas le spectateur pour un crétin. Audacieux aussi le choix des costumes : des bleus de travail pour les salariés, tailleur pantalon pour la cheffe d’entreprise. La caricature n’est pas loin, et pourtant, ces choix très affirmés font des personnages des symboles universels de ce fossé social entre dirigeants et travailleurs. C’est bien vu. Les projections vidéos sur le décor sont discrètes, mais toujours judicieuses : le compte jusqu’à 200 introductif et très lent hérisse quand on en comprend la signification, les scènes de grèves, l’éclosion sensuelle de ces fleurs colorées et ces vues poignantes d’usines en ruine, autant d’éléments hétéroclites qui réussissent à placer le spectateur dans une atmosphère puissante, sans pour autant perturber l’écoute du texte. Cette mise en scène sobre et pourtant indispensable réussit en effet à donner toute sa place au texte.

Les actrices semblent globalement avoir compris l’importance des mots et de sa mise en forme. Elles parviennent toutes les quatre à endosser leur rôle avec courage et à le faire vivre de belle manière. La mise en scène réussit le tour de force d’à la fois vraiment mettre en danger les actrices (jouer toute la pièce face au public, éclairages parfois un peu rudes pour l’ego, costumes rustiques, pétage de plomb impromptu…), mais de respecter chacune, de les mettre en valeur de manière équilibrée. Pour avoir vu deux représentations de suite, très différentes, c’est vrai qu’on sent l’ensemble encore un peu fragile, manque de moyens et de répétitions sans doute. Quelques bourdes de textes, de synchronisation entre les actrices, une deuxième partie qui a une petite tendance à manquer unchouia de rythme, une intrusion de la musique en live de temps en temps un peu maladroite… rien de fondamental, mais des petites choses qui devraient se régler au fil des représentations. Reste quel’Entretien tient toutes ses promesses.

On passe en 1h20 par toute un palette d’émotions fortes : indignation, colère, tristesse, incompréhension, joie, interrogation. La pièce touche, bouscule, malmène parfois, et c’est salvateur. Une grande réussite. Et j’espère une future grande tournée mondiale.


Ca c’est l’affiche, classe non ?
Mais qui donc a bien pu prendre cette belle photo ?
indice : pas moi, mais une fidèle lectrice de ce blog.

Tous les renseignements . A noter qu’avant la probable tournée mondiale, il y a une tournée lozérienne. La pièce sera jouée à Florac le 7 février et à Mende le 22 avril.

A lire aussi Acte I et Acte II.