Chronique théâtre : lecture de Septembres

de Philippe Malone par Philippe Malone.

Acte II de la journée consacrée à l’écriture de Philippe Malone
en la bonne ville de Marvejols, en le bon
TMT


Clic.

La lecture de Septembres, nouveau texte de l’auteur, fût un moment particulièrement émouvant de la journée. Emouvant par son thème, par une sensation de création en cours, par la voix et le souffle fragiles de l’auteur face à son texte. Septembres est un long poème, sans point, ni virgule. Une seule longue phrase pour décrire un processus de déshumanisation, pour tenter de cerner ce qui fait qu’un enfant bascule dans le terrorisme. Le principe de la phrase unique nous pousse à envisager l’histoire comme un tout, une globalité, plutôt qu’une succession de faits. Cette vision holistique permet à l’auteur d’aborder son sujet sous un biais humain, émotionnel, dépouillé de l’aspect documentaire. La grande force de l’oeuvre de Malone est justement de réussir à replacer l’Homme, à la fois victime et bourreau, dans un contexte beaucoup plus vaste, politique, économique. Pas d’angélisme, ni de diabolisation, mais une manière d’aborder le sujet de manière profondément humaine. Autant dire que ça fait mouche, et pour peu qu’on accepte de se laisser porter par ce fil, ce flot, ce mouvement, on en ressort bouleversé. La voix douce de Malone flageole parfois, bute de temps en temps, le souffle est court, et pourtant toujours justement placé. On s’accroche à cette fragilité, à ce souffle qui ne rompt pas, happé par cette spirale magnifique et vertigineuse de mots. Un très bel instant suspendu, pour un très grand texte.

L’acte I ici et l’acte III .

A noter, Septembres sera créé au théatre d’O à Montpellier du 21 au 30 janvier 2009, mise en scène de Michel Simonot avec Jean-Marc Bourg, puis repris à Marvejols le 31 janvier. Ca va être énorme !

Chronique théâtre : lecture de III

par le Théâtre Narration, texte de Philippe Malone.

Prologue

Le vendredi 14 novembre 2008, The Place To Be, c’était Marvejols, bourgade lozérienne, qui ferait passer le Périgord pour un pays civilisé. Heureusement, bravant le froid, le vent, les liaisons TER hasardeuses, et l’odeur de vache du voisin de mini-bus, j’y étais. Pour quoi y faire me direz-vous ? Quel événement d’une telle importance pour me pousser dans cette cascade de risques inconsidérés ? Et bien le Théâtre de la Mauvaise Tête (TMT), îlot culturel précieux dans cette sauvage et lupiforme contrée, a eu la bonne idée d’accueillir une journée organisée autour de l’écriture de Philippe Malone, auteur de théâtre contemporain, dont je vous ai déjà entretenu à maintes reprises, ici, , et encore ici. Au programme une lecture de III par le Théâtre Narration (la critique du texte à suivre), une seconde lecture par l’auteur himself de sa nouvelle création Septembres, et enfin l’Entretien, cette fois-ci en pièce montée par Fabrice Andrivon, metteur en scène du TMT.

A l’issue de la journée, et pour paraphraser l’ami F., on s’aperçoit que, tout de même, l’écriture de Philippe Malone « c’est pas rien », et qu’on assiste progressivement à la naissance d’un grand écrivain, et poète, dont l’écriture millimétrée, et le goût pour la forme, ne sont que les véhicules d’un univers, d’une pensée profonde, acérée, ancrée dans le monde actuel. Mais revenons à nos Aubracs.

Acte I : lecture de III par le Théâtre Narration


Pour mieux lire le grand William, clique.

Ne connaissant pas ce texte, passant pourtant pour un des meilleurs de son auteur, j’attendais avec impatience cette lecture. Une petite moitié de la pièce lue durant cette session, de quoi découvrir le texte, et de donner envie de lire a suite. La principale et inestimable qualité de cette lecture est qu’elle donne véritablement à entendre le texte. Les comédiens n’essaient pas de se mettre en avant, mais respectent scrupuleusement le texte et sa typographie, sans pourtant se laisser grignoter par lui. Ils trouvent la bonne distance par rapport à cette hallucinante transposition du Richard III de Shakespeare dans le monde politico-economico-humain actuel. Une mention spécial à l’acteur jouant Richard, vraiment habité par le texte. Il réussit à complètement faire oublier le volume qu’il garde dans les mains durant la lecture. Alors évidemment, on espère que le Théâtre Narration réussira à monter ce texte, qui visiblement et à très juste titre, semble leur tenir particulièrement à coeur. Très bon moment.

A lire aussi Acte II et Acte III.

Chronique théâtre : Xitation

d’Emmanuel Darley.


Xitant ? clic sur l’image.

Une bien jolie réussite que ce court dialogue décalé et tordant, sur un gars et une fille un peu quiches en plein apprentissage de l’amour. Il tente de lui apprendre les gestes, elle s’exécute sans trop rechigner, mais en ce demandant bien, tout de même, à quoi ça sert tout ça. On reconnaîtrait l’écriture économe de Darley entre mille (j’aime bien me la péter parfois), succession de courtes phrases tronquées, mais signifiant plus qu’une tartine de texte. Le dialogue décortique mécaniquement les gestes de l’amour, la position des corps, la succession des « liminaires », mais sans la flamme, sans sentiment. Les deux personnages sont des espèces de robots, qui connaissent bien la leçon, mais n’ont pas la flamme, symbole d’une société de l’image, de l’information, où les gamins engrengent des connaissances sans avoir la maturité nécessaire pour les mettre en pratique, ou le « cérébral » prend le pas sur le corporel (cérébral est un grand mot, ils sont quand même franchement niguedouilles) ? On pense forcément à la première scène de roulage de pelle de Norway of Life, un baiser mécanique, automatique, sans recherche de plaisir, juste pour « faire comme ».

M’est avis qu’il faudrait une bonne dose de, pour réussir à monter Xitation, et aussi une certaine. Y’aurait-il un metteur en scène assez, pour ? En espérant que le passage de Darley à la Comédie française, permette l’édition de ce texte mignon comme tout, et beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît.

Chronique théâtre : Être humain

d’Emmanuel Darley.


Clic sur l’image pour plus grand.

Retournée comme un Pancake sans sirop d’érable par ce texte bouleversant d’Emmanuel Darley. Être humain est le récit (un récit) de la prise d’otage d’une maternelle par Lui. Lui, c’est HB, human bomb, human being, et finalement être humain, malgré tout. La pièce renverse les rôles, faisant de Lui, un homme sans vie, perdu, déjà mort, qui ne semble chercher, dans un dernier élan, qu’un peu de lumière. Face à lui, la société, les autorités, pompiers et policiers, professionnels, ne sont pas là pour comprendre, mais dérouler les mécanismes de sauvetage appris par anticipation. Pour eux, c’est aussi le grand jour, leur instant de gloire, l’accomplissement de leurs désirs. Ils jouissent de ce moment, les hormones au taquet. Assistant à l’histoire l’institutrice finit par éprouver de l’empathie pour Lui, classique syndrome de Stockholm, mais également reconnaissance d’un homme à la dérive. La soeur du preneur d’otage intervient pour tenter de raccrocher son frère à une vie qui l’a abandonnée.

Pièce « chorale » d’une grande douceur et d’une grande violence intérieure, où les voix s’élèvent successivement, Être humain est magnifique de bout en bout, confrontant des vies aux destins entremêlés, mais qui ne sont que des blocs de solitude impénétrable. On pense à Nancy Huston évidemment, pour la construction, et l’humanité déchirante du propos, cet essai incessant de s’approcher de la vérité, d’une parcelle de vérité, en multipliant les points de vue. La pièce interroge également et subtilement sur la responsabilité collective des pétages de plombs individuels. L’écriture, Darleysienne, économe reflète le délitement du personnage, par le désordre et la perte des mots. Mais jamais du sens. Un grand moment.

Un peu plus de Darley par .

Chronique théâtre : Pasaràn

de Philippe Malone.

Suite de l’Odyssée malonienne, après l’Entretien, Blast, Morituri. J’ai l’enthousiasme plus modéré pour cette pièce, malgré un fond toujours aussi pertinent. Comme dans Morituri, il est ici question de pouvoir, d’accession au pouvoir, d’argent, de la place de la femme, d’une population aveuglée par sa haine, de la différence, de l’altérité. L’analyse est fine sur les mécanismes du pouvoir, jouer sur la peur des gens, réveiller les instincts haineux les plus bas et les moins assumés, puis, quand les idées ont infusé, injecter une bonne dose de pognon pour faire tenir le tout.

Évidemment, c’est d’une actualité ravageuse. L’écriture, exigeante, moins homogène, plus heurtée, m’a un peu perdue, même si elle cloue parfois au fauteuil. La forme de la pièce, relativement classique, au niveau de la mise en place des personnages, de la construction narrative est bourrée d’idées. Ça foisonne, ça complexifie, ça référence, au risque de perdre le lecteur (à défaut d’être spectateur). Le symbolisme parfois un peu appuyé, et le final audacieux et trashissime passent assez mal à la lecture.

Reste à voir ce que tout ça peut donner sur une scène, entre les mains d’un metteur en scène de talent. A suivre.

Un peu plus de Malone ici et .