Chronique livre : Molloy

Molloy
de Samuel Beckett

L’avantage, quand on a des amis à la culture pléthorique et protéiforme, c’est que leurs conseils vous emmènent parfois très loin de vos sentiers rebattus, et vous retournent les neurones comme une omelette. Molloy est un objet volontiers nettement indéfinissable, qui plonge le lecteur dans des gouffres de perplexité, au paroxysme de l’exaspération, et aux confins du génie pur.

La structure très mathématique, deux parties d’égales importance qui fonctionnent en miroirs, s’oppose au foutoir des pensées qui s’entrechoquent dans la tête des deux (?) protagonistes. Molloy, clodo impotent, à la quasi imperméabilité au monde extérieur, se désagrège physiquement en voulant rejoindre sa mère. Moran, détective aux méthodes peu académiques, part aux trousses de Molloy, qu’il (ne) retrouvera (pas).

Si la trame est limpide, le propos reste une énigme. Enfouis dans les têtes de Moran, et Molloy, Beckett nous balade allègrement, affirmant la toute-puissance éternelle de l’écrivain. Le lecteur est manipulé comme un fétu de foin dans cette réflexion sur le monde, sur les rapports au monde extérieur, sur la quête de l’autre et finalement sur la quête de soi.

L’haleine courte, on dévore le texte compact, écrit en police 8 (merci les éditeurs, c’est bien joli de vouloir économiser le papier mais y’a des limites), nimbé de mystère et d’interrogations. A lire, sans modération.

Chronique livre : Le Dernier Roi d’Ecosse

de Giles Foden.

Tombée par hasard sur le livre après avoir malencontreusement loupé le film, j’ai mis un moment à oser l’ouvrir. Le thème, il faut l’avouer est peu sexy au premier abord, et comme parfois les apparences sont trompeuses.

Le bouquin relate l’histoire de Nicholas Garrigan, jeune médecin écossais, envoyé tout d’abord dans la cambrousse ougandaise, puis au service d’Idi Amin Dada. Roman d’apprentissage, d’aventure, historique, on est plongé dès les premières pages dans un foisonnement incroyable et pourtant d’une limpide. Malgré le jeune âge de l’auteur à la sortie du roman (seulement 31 ans), l’écriture est d’une maturité impressionnante et d’une grande beauté. Langage de dandy, mais d’une remarquable fluidité, c’est un régal à savourer, en dépit du thème pour le moins sérieux.

Le narrateur, personnage d’un caractère passif, raconte de façon assez distanciée les horreurs ougandaises. Cette distance, représentant autant du détâchement, de l’inconscience, qu’une forme de protection face aux atrocités auxquelles il assiste, tombe par moment, pour laisser place à quelques paragraphes d’une grande humanité et recul sur soi-même. Ces petites incursions dans la conscience humaine permettent au roman, et au héros, d’échapper à la banalité d’une simple récit à la troisième personne, et lui donnent une ampleur assez inattendue. Plus que la volonté de raconter un pan de l’Histoire travers d’un témoin (le coup d’Etat d’Amin Dada pour arriver au pouvoir en Ouganda, puis la désagrégation du pays, soumis à la dictature d’un fou), c’est donc surtout le rapport de l’Homme aux événements auxquels il assiste et, de manière non désirée, auxquels il prend part. Malgré la façon dont Garrigan clame son innocence, essaie de s’auto-convaincre qu’il n’est pour rien dans tout ce qui est arrivé, il s’exile dans une île coupée du monde pour finir ses jours. Culpabilité inconsciente, ou volonté de s’éloigner des atrocités du monde. Un peu des deux peut-être.

Evidemment le livre est historiquement très intéressant pour qui connaît peu ou pas l’histoire de l’Ouganda, sans tomber (à une petite et pardonnable exception près) dans la pédagogie de livre scolaire. Un grand bravo à François Lasquin et Lise Dufaux pour la belle traduction.

Quelques lignes pour le plaisir :
« Mais à l’époque, je ne laissai pas percer grand-chose de ce que j’éprouvais : alors que j’avais hérité de ma mère une propension à travailler d’arrache-pied et à me ronger les sangs pour des riens, mon père m’avait inculqué l’idée que si l’on veut réussir dans la vie, il importe de juguler ses sentiments. Chez nous, la manie de « s’exprimer » à tout prix que l’on pare aujourd’hui de toutes les vertus n’avait certes pas cours. Si bien qu’enfant, ma folie juvénile resta sagement confinée dans ma tête qui bouillonnait d’envies vagabondes : j’avais la passion des atlas, des timbres et des récits d’aventures. »

Chronique film : La fille coupée en deux

de Claude Chabrol

C’est avec beaucoup de bonheur que je suis allée voir le dernier film de Claude Chabrol, c’est avec ravissement que j’en suis sortie. Dans le terrain toujours bien balisé du monde de la haute bourgeoisie, dont Chabrol aime disséquer les moeurs, souffle un vent de fraîcheur, incarné par la décidément délicieuse Ludivine Sagnier.

Comme à son habitude Chabrol joue allègrement avec les noms de famille de ses personnages, son ange blond, hitchocko-allenien s’appelle Gabrielle Deneige, et sur les ondes locales de la télévision lyonnaise, présente les prévisions météorologiques. Elle incarne cette nouvelle élite française, l’élite télévisuelle, qui écrase les anciennes idoles bourgeoises et intellectuelles. Mais Gabrielle Deneige est finalement loin du cliché de l’écervelée à l’ambition dévorante. Attirée par un écrivain intellectuel et pervers, Charles Saint-Denis (interprété par François Berléand, implacable), c’est en toute innocence, ou plutôt sincérité, qu’elle se livre à ses pratiques sexuelles particulières. Ayant rempli le cahier des charges, comme de bien entendu, la bête abandonne la belle. Gabrielle, désespérée, accepte alors de se marier avec un fils à papa fou d’amour et fou tout court. Magimel est assez magistral, dans un rôle incroyablement savonnette. Personnage profondément ridicule, Paul Gaudens (ah Chabrol, tu as le génie des noms) est pourtant fort inquiétant, car sur le fil de la raison en permanence. Un fois Gabrielle mariée à la famille Gaudens, l’homme perverti au nom de Saint, sera tué par l’homme de haute lignée au nom d’accessoire divin. Mais chez Chabrol, comme dans la vie, il n’y a pas de justice, et l’archange blond et déchu, livré en pâture à la vindicte populaire et médiatique, expiera pour les crimes des autres, pour mieux renaître, sous le feu de projecteurs plus modestes, mais plus sincères d’un spectacle de cirque.

Il y a un plaisir évident, une jouissance absolue de raconter une histoire, à montrer très peu pour dire beaucoup. Le film est d’une finesse totale dans ses détails (finesse n’est finalement pas le terme le plus adapté…), que ce soient dans les dialogues, les noms des personnages, leurs comportements même infimes, les décors. Ici, un obélisque miniature trône devant une photo d’une postérieure nudité, là un petit frôlement de doigt suggère qu’entre l’éditrice (Mathilda May, vivante et ma foi troublante) et l’écrivain, les rapports vont au-delà de l’amicalement correct. C’est d’une perversité chaste exquise, grinçante et réjouissante. Le générique arborant environ quatre noms et demi, l’ensemble possède un certain côté placo-plâtre propre à Chabrol. Il a pourtant apporté plus de soin que dans sa médiocre Ivresse du pouvoir, au cadre, et réussi à composer quelques plans assez jolis, tout en jeux de miroirs.

Comme Woody Allen, la jeunesse féminine et blonde lui redonne un souffle créatif évident, et la dernière plan en est un hommage criant. En cette moitié d’année 2007, et heure de moitié de bilan, il devient de plus en plus évident, que c’est dans les plus vieilles gamelles qu’on fait la meilleure soupe, qu’il y a plus de cinéma chez les Chabrol et Téchiné, que chez beaucoup de petits jeunes. Pas forcément très rassurant pour la suite…

Chronique film : Ratatouille

de Brad Bird

Aucun doute, Ratatouille est une réussite. Réussite sur le plan technique d’abord, le travail sur les textures, les matières, notamment la nourriture, est assez extraordinaire, sans tomber dans la tentation de l’hyperréalisme (les humains restent assez dessins animés pour être plaisants).

Basé sur une idée bien sympathique (un rat n’a qu’une envie, devenir un grand cuistot), le film se déroule sans temps mort. Bien que plongeant à fond des le cliché sur les frenchies, en marinière et béret, Ratatouille n’en est pas moins un grand hymne à la cuisine, au goût, et au bien-manger. En provenance du pays de la mal-bouffe, c’est assez savoureux.

La VF n’est cependant pas extraordinaire, malgré la présence au générique de guest-stars, notamment Camille, qui est bien meilleure lorsqu’elle pousse la chansonnette de fin du film. En espérant que ça donne envie à quelques mioches de manger autre choses que du hamburger et des frites…

Ah et une bonne surprise avant le film, un court-métrage Pixar, avec un extra-terrestre maladroit, vraiment sympa.

Chronique film : Harry Potter et l’Ordre du Phénix

de David Yates

Au risque de passer pour une neuneu totale, j’ai beaucoup aimé l’épisode n°5 de la saga Potter. J’y allais plus me remettre l’histoire en mémoire (j’ai le dernier volume sur ma table de chevet, en attente d’un rafraîchissement de cerveau nécessaire), que par réelle envie.

Beaucoup plus sombre que ces petits frères, HP5 étonne par son audace visuelle. Seul Cuaron avait jusqu’ici essayé, avec plus ou moins de succès, de mettre un peu de personnalité dans une machine ultra-produite. Yates y parvient assez souvent, malgré les grosses ficelles finales (le director’s cut c’est pas encore à l’ordre du jour).

On n’est souvent pas très loin du film d’horreur, et ça fout gentiment les jetons (gamine j’aurais pas dormi pendant une semaine après avoir vu ce film). Les décors sont assez fascinants, notamment le Ministère de la Magie, labyrinthe sombre et maléfique, la salle des prophéties avec ses milliers de boules de verre, et le bureau de Dolores Ombrage, au rose kitschissime, les assiettes de porcelaine aux chats miaulant accrochées au mur. Rien de clinquant ici, les bestioles sombres et inquiétantes, l’atmosphère lourde et poussiéreuse, concourent à créer une ambiance particulière, pas inintéressante.

L’autre grande réussite du film, ce sont ses acteurs. Ombrage (Imelda Staunton) justement est formidable en bonbonaille sadique et fascisante, la petite blondinette (Evanna Lynch) qui joue Luna Lovegood est vraiment parfaite. Et puis je craque toujours autant pour Gary Oldman, qui n’est jamais aussi sexy qu’avec barbichette et cheveux longs.

Malgré une fin un convenue (Oh ! C’est beau l’amitié !), Yates (un quasi-inconnu qui vient de la télé) a réussi un film inégal, mais efficace et intrigant. A suivre…