Chronique livre : Echo Park

de Michael Connelly

echo_park

Voilà le grand retour de Harry Bosch, le héros connellien des débuts. Flic vieillissant et toujours aussi réfractaire à toute notion d’obéissance. Dans Echo Park, Bosch va assez loin, agit impulsivement et se rapproche parfois dangereusement de l’inspecteur Harry (ce qui lui vaut d’être plaqué d’assez sèche manière par sa nana – m’enfin j’avoue que finalement ça ne m’a pas fait pleurer).

Hanté par une ancienne affaire non résolue (la disparition d’une jeune femme), il se trouve embringué dans une histoire pas possible, entouré de requins politicards et d’avocats véreux. Rebondissements à foison, souvent plus de testostérone que de neurones, le livre s’avale comme de rien. Certes pas le meilleur des Connelly (les indices parsemés ici et là, font qu’on a toujours une longueur d’avance), mais de bonne fabrication, sans aucun doute.

Snobisme de ma part, je lis autant que possible les Connelly en anglais… on peut pas dire qu’il ait gagné en vocabulaire. Comme quoi, on peut écrire de bons polars avec 3 mots et demi.

 

Chronique livre : La Pêche à la Truite en Amérique

La Pêche à la Truite en Amérique
suivi de
Sucre de Pastèque
de Richard Brautigan

La Pêche à la Truite en Amérique fait partie des bidules dont on ne sait trop comment ils ont réussi à se faufiler jusqu’à l’imprimerie.

Succession de très courtes nouvelles, La Pêche nous entraîne dans un univers absolument indescriptible, absurde et surréaliste. Impossible de vous raconter une quelconque intrigue, on est dans la petite touche, le détail loufoque, l’absurde quotidien. Ici, on peut acheter des bouts de ruisseau en vrac dans une droguerie (les animaux sont en option), on s’éclaire à l’huile de truite mélangée au sucre de pastèque.

Poétique et doux, on finit par se dire que Brautigan était un vrai naïf. Etonnant, non ?

Chronique théâtre : L’Entretien

de Philippe Malone.

Première pièce de théâtre commentée ici, et première pièce lue depuis très longtemps. Trois personnages, la chef d’entreprise, une salariée syndicaliste et la fille de cette dernière. La gamine n’a qu’une envie, rentrer dans l’entreprise, se fondre dans la masse de ceux qui travaillent plus pour gagner peu. Sa syndicaliste de mère refuse que, si jeune, sa fille pénètre le monde obscure et étouffant du monde du travail salarié. La chef d’entreprise, les dents longues et l’écume aux lèvres, dirige la machine à broyer d’une main de fer.

La forme de la pièce est très surprenante, les personnages ne sont jamais cités, mais repérables par les différences de typographie. Simple volonté d’innover, ou signification profonde, le processus fonctionne en tous cas très bien. Au-delà de la simple forme du discours surgit la vérité essentielle, l’incroyable difficulté d’exister, de trouver sa place dans l’univers. Le monde du travail est en cela exemplaire. La lutte entre la directrice et la syndicaliste devient, à force d’habitude, leur moyen privilégié de fonctionner, de se définir l’une par rapport à l’autre, et de se définir chacune par rapport au monde. Entre alors dans la ronde la fille. Au chômage, sans travail, elle n’est rien. Dans la société actuelle qui veut qu’on n’existe qu’à travers l’argent gagné, « je travaille donc je suis », elle n’aspire qu’à se fondre dans le moule.

La pièce va donc bien au-delà de la simple caricature du monde de l’entreprise, mais retrace l’évolution de la société des quelques dernières décennies, pour arriver à la jeune génération actuelle, génération perdue, gavée de télé, de consommation et privée de rêves de liberté et de création. Les dialogues sont remarquablement écrits, dans un style moderne et classique tout à la fois (votre mission si vous l’acceptez : retrouver les quelques alexandrins pris dans la masse…). Un bien beau texte, nécessaire et couillu, en nos jours sombres.

Couillu aussi, le gars qui osera monter ça sur une scène.

Chronique film : Pink Floyd The Wall

d’Alan Parker

Je m’apprête à mettre en rogne au moins 4 de mes plus fidèles lecteurs, mais que voulez-vous, ce classique des classiques m’est un peu tombé des yeux. Ayant passé des heures dans mon canapé, la larme à l’œil, à me sentir comfortably numb, et à errer dans la rue en fixant les gens du regard avec l’envie de leur gueuler « Hey you… », j’attendais beaucoup du film.

Intelligent dans la forme, audacieux, explosé et pourtant finalement très cohérent, force est de constater que le film a pourtant terriblement vieilli. Et il ne date seulement que de 1982… A part le procès final, les passages animés sont assez laids, mous du genou et phagocytent complètement la musique. Trop figuratives, explicatives, parfois lourdingues, les images réussissent à faire paraître ringarde la musique du Floyd, un comble pour ce chef-d’œuvre intemporel.

En fait, le film ne trouve une vraie profondeur et une vrai poésie que dans le silence, ou les mélodies légères et désespérées. Voilà voilà… vous trouverez une bonne analyse du film ici. Et en attendant que mes lecteurs lâchent leurs chiens sur moi, j’m’en vas réécouter The Wall, allongée sur mon canapé, avec un lait soja à boire à la paille.

Chronique livre : La Morue de Brixton

 de Timour Serguei Bogousslavski

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C’est avec une légère pointe d’anxiété que j’aborde la chronique de ce pavé merveilleux. Je sais qu’elle sera lue. Premier roman autobiographique, publié il y a dix ans, d’un homme de 84 ans, La Morue de Brixton est à ranger dans la catégorie des livres qui peuvent changer une vie, ou du moins la perception qu’on a de la vie, et la façon d’aborder la sienne propre.

Dans un style d’un incroyable richesse, coloré, foisonnant, émaillé d’un argot aujourd’hui exotique, le livre s’approche doucement pour se finir au pas de course. Un fois achevé, une fois posé au pied du lit, on ne peut s’empêcher de le rattraper du bout des doigts, d’en relire les premières pages, pour quelque temps encore côtoyer ce fascinant personnage au passé sombre et à la plume lumineuse.

Privé de sa mère trop tôt, fils d’aristo déchu, amateur de beauté et d’art, il s’est crée une vie, libre des contraintes de la société, ne suivant que son cœur et son inextinguible soif d’aimer et d’être aimé. C’est parfois très noir, le drôle payant souvent cher le prix de sa liberté, baladé de geôles en cages, mais réchappant à tout. Il traverse la guerre, l’espadrille trouée mais la dégaine hautaine, le mépris pour tout ordre établi, tout travail régulièrement rémunéré, toutes religions. Il crache sur tout et tout le monde, exècre la misère.

Et pourtant, ému par le moindre geste de bonté, bouleversé par la beauté du monde et des êtres, c’est baigné de lumière qu’on achève ce roman qui tourneboule. Alors on rêve quelques instants d’être aimé d’un amour aussi profond et sensible, aussi tendre et absolu, et d’aimer, de la même manière.

Être paradoxal, hors-norme, contestable et libre, Timour Serguei Bogousslavski a écrit là un roman magistral, et a gagné le salut profond de la pauvre salariée, abrutie par le système que je suis. Il me paraît indispensable que les nombreux lecteurs de ces quelques lignes se procurent par tous les moyens légaux (ou autres), La Morue de Brixton. Dont acte ?