Chronique film : J’attends quelqu’un

de Jérôme Bonnell (J’attends quelqu’un)

Voilà un bien joli film, tout en finesse. Quelques personnages, qui se connaissent ou pas, se croisent, ou pas. Un patron de bistrot (Jean-Pierre Darroussin, Darroussinesque à mort, et tendre comme du beurre) un peu lourdingue et libidineux est vaguement amoureux d’une petite pute grosse comme une allumette (très touchante Florence Loiret avec son physique de mouette). La sœur est une instit coquine et fofolle qui bouffe des carottes au lit (Emmanuelle Devos qui a rarement été si belle). Elle est mariée avec un journaliste détaché, hypocondriaque et mollasson du gland, mais qui prend sa femme en photo quand elle dort (Eric Caravaca, benêt à souhait).

Film choral comme il y en a beaucoup et pourtant… Dans J’attends quelqu’un, il y a plein d’amour et d’attention entre ces êtres, mais un amour qui n’arrive pas à s’exprimer, ils sont avides des autres sans vraiment oser se parler vraiment. Tout le monde est surpris que le bistortier lise l’Education Sentimentale, qu’il a pourtant ingurgité 4 fois. Par pudeur, il dira que c’est parce que Flaubert est né à la même date que lui. On se tourne autour, on s’aime, on se quitte et puis on se retrouve aussi, et puis ouvrant le champ des possibles la dame aux chiens qu’on aperçoit par intermittence dans le fond de l’image 5 ou 6 fois dans le film, ose entrer dans le bistrot, une nouvelle rencontre.

Filmé très simplement, souvent en plans fixes, le film laisse le temps au spectateur de ressentir toutes les nuances des relations entre les êtres, leurs fragilités, leur blessures. Jamais démonstratif, en même temps mélancolique et d’une grande luminosité, J’attends quelqu’un, accompagné discrètement par les très jolies pièces pour piano de Grieg, touche au plus profond des aspirations de l’être humain, et c’est beau comme tout.

Chronique film : Ensemble c’est tout

de Claude Berri

Y’a des dimanches (euh un lundi férié en fait), ou on se retrouve tout seul, à 15h30 après avoir déposé un ami à la gare. On se dit : si je rentre chez moi, je m’écroule devant la télé, pas bon. Alors finalement, let’s go to the cinema. Mais voilà, le cinéma ne diffuse que des trucs déjà vus, reste plus qu’une mièvrerie à l’eau de rose. Bon. On se tâte. Et puis, finalement on se décide pour la mièvrerie.

Bref, c’est comme ça que j’ai atterri à Ensemble c’est tout, un film dont j’avais dit déjà plein de mal, sans même l’avoir vu. Gavalda…, déjà, bon… et puis Tautou…, hein, voilà quoi, et enfin Berri…, ben Berri. Et puis, magie du cinéma, magie des acteurs, magie d’être quasi toute seule dans une immense salle aux fauteuils de velours rouge, me suis retrouvée à sangloter comme une madeleine devant tant de simplicité, de modestie, de justesse.

Les personnages auraient pu être caricaturaux et ne le sont pas grâce aux acteurs. Tautou fait complètement oublier qu’elle est Tautou, fume clopiot sur clopiot, et balance, du haut de sa silhouette rachitique à un beauf énamouré « bon on baise, mais on tombe pas amoureux ». Canet en benêt baiseur, buveur et odieux avec les femmes, mais gentil comme tout avec sa mamie, réussit à faire passer le truc, pas évident. Et quand Laurent Stocker, jamais beaucoup vu au cinéma mais qui semble pourtant si familier, aristo déchu, bègue et vendeur de cartes postales, a un coup de foudre pour une blonde, ou se fait jeter d’un cours de théâtre par « c’est d’un orthophoniste dont vous avez besoin », on y croit à mort.

Très juste aussi les décors. La chambre de bonne est minuscule et filmée en plan fixe, l’appart de l’aristo déchu, immense et plein de poussière, quand ils vont tuer le cochon, ben ça sent bien fort la campagne, avec cette chambre au vieux papier peint à fleurs. Juste ce qu’il faut, ni trop, ni pas assez. Ca aurait pu tomber dans le sucré et le lourdingue, mais non, on est sur le petit fil sans foutre le pied à côté. Malheureusement, la fin, un peu trop happy end, plombe un peu le bidule. Mais allez, j’ai envie d’être indulgente ce soir, passons.

PS : toutes mes excuses à ma Mamie que j’avais mortellement blessée à propos de Gavalda, en lui jurant mes grands dieux (faut croire qu’ils ne sont pas si grands que ça), que je n’irai pas voir ce film.

Chronique film : Lady Chatterley

de Pascale Ferran

Mi-hasard, mi-volonté, j’ai enfin pu voir ce beau film de Pascale Ferran que j’attendais depuis longtemps, le jour même où j’achève le roman de D. H. Lawrence (petite bafouille ici). Ferran ne se base pas directement sur cette troisième version du roman connue du public, mais sur la deuxième « Lady Chatterley et l’homme des bois », visiblement un peu plus « brute ».

Mellors, s’appellant ici Parkin, est loin du mystère vaguement raffiné du personnage de la troisième version. C’est un être massif, taciturne, et inculte qui n’a en apparence aucun des attraits qu’on pourrait croire susceptible d’attirer Constance (Connie ici… prénom bien choisi). Elle est d’ailleurs également moins femme, et plus enfant, moins vive, plus mutique, vaguement opaque malgré sa grande candeur.

Tout le contexte historique est expédié en quelques scènes et répliques et n’intéresse visiblement que peu Ferran. Elle s’est focalisée sur cet éveil de la chair, la naissance progressive de la sensualité. Comme dans le roman, la nature est omniprésente, cocon douillet, énergie vitale, moteur de cet épanouissement. C’est très lent et très beau, on entend respirer le monde. La campagne limousine ressemble assez beau à la campagne anglaise, mais c’est égal. Cependant, on peut regretter la présence omniprésente de l’environnement minier du roman, rendant encore plus vital cette communion avec la nature.

Marina Hands campe une belle (trop belle ?) Lady Chatterley. Elle est magnifique au début du film, avec sa démarche hésitante entre les arbres, la douceur de son regard, vaguement apeuré, elle est magnifique également dans toute cette découverte corporelle, vraiment parfaite. A la fin du film cependant, en quelques dialogues elle a un peu tendance à se tautouiser, ce qui est agaçant. Hippolyte Girardot, en 3-4 scènes prouve encore à quel point il est un grand acteur. Hélène Fillières par contre, est complètement à côté de la plaque, dommage. Parkin/Mellors est interprété par Jean-Louis Coulloc’h à la présence physique incroyable. Il arrive à rendre bouleversantes des scènes qui auraient facilement pu sombrer dans le ridicule (quand il couvre le corps de Connie de petites fleurs avec ses grosses paluches, c’est totalement émouvant).

C’est ça qui est assez surprenant dans ce film, une tendresse, une modestie à juste raconter cette histoire, à filmer de manière assez crue, et pourtant en toute pudeur ces personnages si mystérieux, et pourtant très simples et beaux. Beau également le fait de tourner façon « film de vacances » le voyage de Connie dans le sud de la France. Sa vie réelle est intimement liée à Mellors et à la forêt du domaine, tout ce qui ne se rapporte plus à lui n’est plus sa vie à elle. Une simple parenthèse. Lady Chatterley n’est pas un film parfait, mais lumineux et tendre, et c’est déjà beaucoup.

Chronique livre : L’Amant de Lady Chatterley


de D. H. Lawrence

Quel beau livre que cet amant ! Du souffle, de la tendresse, des idées, du sexe, de l’amour aussi. Constance, une jeune écossaise plein d’éducation est mariée à un Lord anglais rendu paraplégique (et impuissant) par la guerre. Dévouée mais quelque peu titillée par ses hormones, elle tombe sous le charme mystérieux de Mellors, le garde-chasse de la propriété.

Le livre raconte l’apprentissage sensuel et sexuel, la naissance de l’amour entre ces deux êtres en apparence très opposés dans le contexte lourd de la décadence de l’Angleterre minière. Alors que le pays, rongé par l’industrialisation et la mécanisation des tâches et des êtres, Constance et Mellors apprennent à se découvrir à travers le sexe et la nature. C’est une éclosion, une naissance à la vie, à la sensualité.

Jamais livre n’aura établi un si juste parallèle entre un contexte historique et une histoire si intime. Hautement militant, farouchement anti-capitaliste, anti-industriel, conspuant le règne et l’argent et l’abrutissement qu’il induit chez les humains, L’Amant de Lady Chatterley prône un retour aux choses vraies, à l’adéquation avec la nature, avec notre nature animale d’êtres sensuels et sexuels. Tout cet éveil à la vie se déroule au fil des saisons, de la dépression hivernale, des premiers émois printaniers, du jaillissement estival, à la découverte finale de la grossesse. Dans un style unique, le livre distille remarques lapidaires et prophétiques sur l’humanité et sur l’Homme. Un classique, indispensable.

PS : le titre de se message revient à M. Onfray, il s’agit du sous-titre de sa Théorie du Corps Amoureux.

Chronique film : Angel

de François Ozon


Si tu veux connaître l’histoire, clique sur l’image.
Extrait du journal du cinéma Eldorado

Soupir profond. Je n’étais pas très chaude pour aller voir Angel, mais l’intérêt plus que vif d’un ami pour ce cinéaste a fini par me décider. Pourtant Ozon ne m’a jamais vraiment convaincu, même s’il m’a souvent intrigué. Trop intelligent, trop truqueur, trop malin, pas assez organique, ses films des exercices de style un peu vains, même si brillants. Angel ne déroge pas à la règle.

Comme toutes les petites filles depuis 1939 ont rêvé d’être Scarlett O’Hara, tous les metteurs en scène en herbe ont dû rêver d’être Victor Fleming. Froufrous, crinolines, fastes et ors fascinent visiblement Ozon, qui opère une espèce de vrai-faux copié-collé de Gone With The Wind. Une héroïne butée, monstre d’égocentrisme et d’hystérie, un grand amour qui finit mal, un contexte historique lourd, une amie au grand cœur…

Mais pour chaque élément commun, Ozon prend l’exact contre-pied de son modèle : Scarlett est née riche, et sombre dans la pauvreté, Angel sera pauvre et atteindra les sommets de la richesse, Scarlett était une terrienne, Angel n’aura pas un quart de pied sur le sol, Scarlett est une survivante, et luttera pour son grand amour, Angel finira par mourir de ses rêves d’amour, Scarlett aura les mains dans le cambouis pendant la guerre de Sécession, Angel laissera la guerre de 14-18 loin de chez elle… La liste est longue, et dans le scénario, et dans les décors, et dans la mise en scène. On peut également citer les costumes, de la robe rouge dans un escalier, aux oripeaux de la fin, fabriqués de Bric et de Broc, comme la robe verte en rideau de Scarlett. L’idée aurait pu être bonne si elle n’était pas aussi prévisible.

C’est dommage, certains plans sont très réussis, comme ce joli plan du début sur les jambes des écolières trottinant sur la neige, ou Angel, écrivant nue devant sa fenêtre. La mise en scène est belle et fluide, bien sûr. Beaux également les rôles secondaires, de la toujours impeccable Charlotte Rampling, au parfait Sam Neill et l’excellente Lucy Russell. Mais Angel, campée avec moult roulements d’yeux et soupirs éthérés et hystériques par Romola Garai est horripilante. Elle en fait des caisses pour montrer à quel point Angel est égoïste, vulgaire, éloignant de ce fait toutes particules de sympathie que nous pourrions avoir pour elle. Jamais émouvante, elle dessert le personnage, déjà bien assez caricatural et antipathique en lui-même. Quand elle meurt on est assez soulagé d’être débarrassée d’elle, de ses cris, de ses colères, de sa vacuité et de sa stupidité. Et qu’on ne s’y trompe pas, Angel ne meurt pas d’amour, Angel meurt car son mari, en se donnant la mort s’est libéré de son emprise, et Angel ne supporte pas l’échec. Beaucoup trop long (2h15), le film devient systématique et prévisible, jusqu’aux derniers hoquets d’agonie d’Angel.

Bien sûr, le film se veut métaphore de ce qu’est l’artiste, des rêves de gloire, et de la déchéance post-succés, bien sûr l’oubli de l’oeuvre d’Angel, et la découverte posthume de celle de son mari reflète les angoisses du créateur. D’ailleurs Angel ne se laisse t’elle pas mourir pour accéder à cette reconnaissance posthume ? Mais manque de substance, manque de cœur, manque de couilles pour assumer vraiment sa fascination pour les grandes sagas, Ozon rate bien son coup, et préfère tourner en ridicule son penchant kitsch. Le film ne manque pas d’intelligence, certes, mais de sincérité, c’est certain.

Allez, allez, lâchez les chiens !