Chronique livre : La jeune Épouse

d’Alessandro Baricco.

Fais-moi goûter.

lajeuneepouseCertains, qui se reconnaîtront peut-être, ont, de tous temps, moqué mon goût assez immodéré pour Alessandro Baricco. Mais voilà, je persiste et signe, Baricco fait définitivement partie des patrons de la littérature contemporaine. Il a ce génie de se réinventer à chaque fois, avec humour, plaisir, légèreté, gourmandise et fantaisie et pourtant de rester identifiable dès la première ligne.

La Jeune Épouse est un roman initiatique au féminin, ce qui n’est pas très courant finalement. Ici, les personnages, n’ont pas de nom, que des « titres », le Père, le Fils, la Mère… chacun a sa place dans cette famille et la Jeune Épouse n’en fait pas encore partie, promise au Fils qui  est parti et tarde à revenir. Dans cette famille non conventionnelle, la Jeune Épouse découvre des mondes inconnus et charnels, teste son amour et sa patience, bouscule ses habitudes et convictions. Tout comme le lecteur.

(…) il m’arrive de changer plus ou moins brutalement de narrateur, pour des raisons qui, sur le moment, me paraissent rigoureusement techniques et tout au plus banalement esthétiques, avec pour résultat manifeste de compliquer la tâche du lecteur, (…)

Car loin d’être un simple conte, La Jeune Épouse pousse à s’interroger sans cesse, brouille les pistes de la narration. Si tout le monde dans cette famille est à sa place, tout le monde a également sa place dans la narration en elle-même. Qui est en train de nous raconter l’histoire se demande le lecteur ? Car le narrateur change au gré des envies de l’écrivain, qui lui-même n’hésite pas à intervenir dans le cours de son histoire, à intégrer des éléments de son histoire à lui et à rebasculer ni vu ni connu dans le cours du récit initial. Tout ça dans un geste d’écriture d’une souplesse absolue, écriture qui se fait ambiguë, ambivalente, qui joue sur plusieurs tableaux avec plusieurs niveaux de sens différents. Mais comme c’est brillant et taquin ! Car l’écrivain (ou son double), n’hésite pas à se moquer de lui-même, à s’interroger sur sa propre démarche, à faire part de ses doutes, tout ça pour mieux affirmer sa totale liberté d’écrivain.

Moi je trouve ça beau, profond, léger, plein de vie et de plaisir, d’une virtuosité d’écriture implacable sans jamais être démonstrative. La grande classe.

Avec la langue, elle alla récupérer deux choses qui lui appartenaient et qui provenaient de son giron.

Ed. Gallimard
Trad. Vincent Raynaud

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