Chronique film : Le Vent se lève

de Ken Loach.

Bon alors là, je suis toute déçue, mais vraiment déçue. Pour mon retour dans une salle obscure, après plus d’un mois d’abstinence, j’avais choisi un film qui me tenait à coeur, Le Vent se Lève (The Wind that Shakes the Barley en VO), de mon Oh Combien Aimé Ken Loach. Palme d’Or à Cannes pour la première fois, Ken Loach se lance ici dans une fresque historique, sur les années 20 irlandaises.

J’ai été très contente de cette Palme d’Or, qui, vue de l’extérieur, récompensait plutôt une carrière globale que ce film en particulier. Et c’est malheureusement bien le cas. Je n’ai pas été touchée par ce film, dont j’ai trouvé le regard très extérieur. C’est bien joli de ne prendre le parti de personne, m’enfin, ça manque quand même de personnalité et d’implication. Tout ça est filmé de loin, les personnages principaux sont assez mal dessinés, jusqu’au moment où, bien avant la fin, on se doute de comment tout ça va s’achever. Quand la caméra s’attarde enfin sur les héros, il est déjà trop tard. Alors vous allez me dire « oui mais y’a l’intêret pédagogique »… certes, certes… enfin dans Land and Freedom, Bread and Roses, il y a aussi un intêret pédagogique et c’est autrement plus passionnant. Et franchement, je ne sais pas si je suis particulièrement ramollie du cerveau, mais je n’ai pas trouvé ça d’une extrême clarté.

Pour finir sur une note moins négative, on peut souligner le très joli titre en VO « The Wind the Shakes the Barley », qui signifie « Le vent qui secoue l’orge », petite phrase tirée d’une chanson populaire irlandaise, chantée au début du film. J’ai aussi bien aimé le travail sur les éclairages, très crus, très sombres.

Allez, allez Ken, je t’en veux pas. J’vais de ce pas revoir Sweet Sixteen, Ladybird, Raining Stones ou même le très émouvant Just a Kiss.

Chronique film : Divers

La raison du plus faible
De Lucas Belvaux

Curieux film que La raison du plus faible, présenté en sélection officielle au Festival de Cannes. Je ne connaissais pas le cinéma de Lucas Belvaux. Cinéma social, belge, on pense forcément aux Dardennes. La raison du plus faible ne ressemble pourtant pas au cinéma des frères. Là où les Dardennes composent un cinéma viscéral, physique, Lucas Belvaux lorgne beaucoup plus du côté des grands films noirs. Ancré dans un contexte social fort, résolument du côté des « petits », chômeurs, ouvriers, licenciés des aciéries, on se dit que Ken Loach n’est pas loin. Pourtant, le film prend une tournure toute différente lorsque les protagonistes décident de se lancer dans un braquage, pour se sortir de leur quotidien sans espoir. Le film gagne alors de l’ampleur, tout en restant proche de ses personnages, cadrés serrés. Plans d’une poésie noire sublime, cauchemars urbains et industriels en déliquescence… Belvaux connaît ses classiques, et en distille quelques touches subtiles. Quelques flashs me sont revenus pendant ce film, de Little Odessa, à The Yards, en passant par les noirceurs scorcesiennes.
Les acteurs sont absolument formidables, pour le coup, on atteint un réalisme proche de Loach. Je mettrais un seul bémol, pour Lucas Belvaux himself, habité mais parfois un peu théâtral et extérieur (en même temps, comme le souligne Les Cahiers du cinéma, c’est fait exprès, certes, mais ça m’a un peu géné). Avec tout ça, on obtient un film assez curieux, un tout petit peu trop long, un tout petit peu bancal, entre belgicisme bon enfant, drôle et touchant (un personnage demande un bisou avant le braquage), et tragédie grecque. Le dénouement est bouleversant. Autant vous le dire de suite, La raison du plus faible finit mal. Et c’était inéluctable.

Changement d’adresse
D’Emmanuel Mouret

Après le Belvaux, j’avais comme une petite envie de légèreté. Direction le CNP Terreaux, où, par le plus malheureux des hasards la climatisation était en panne. J’avoue avoir hésité un instant avant d’entrer dans la salle en sous-sol de ce cinéma, sans clim. Fort heureusement, la durée très réduite de ce film m’a décidé à tenter l’expérience. Bien m’en a pris. J’étais un peu réticente avant d’aller voir ce film. L’humour d’Emmanuel Mouret étant complètement décalé, ça passe ou ça casse. Et ici, il faut bien dire que ça passe plutôt bien. Epaulé par trois comédiens qu’on n’aurait jamais imaginés ensemble (Frédérique Bel, le « blonde » de Canal, Fanny Valette -révélation de la Petite Jérusalem-, et Dany Brillant -qui a retrouvé sa tête après sa rupture avec Suzette-), Mouret compose une jolie petite partition (de cor), loin d’être crétine, légère et absurde. Ce n’est pas le film du siècle, mais ma foi, ça fait plutôt du bien, et on sort détendu, le sourire accroché aux oreilles. Pas si mal non ?

Les Berkman se séparent
Noah Baumbach

Pour finir ce we cinéma je dois vous avouer que j’avais envie de voir un film d’horreur. Je n’ai rien trouvé, alors je me suis dirigée vers ce qui y ressemble le plus : le drame familial. Bon je n’ai pas choisi n’importe lequel non plus, hein, mais le premier film (visible en France) du co-scénariste de Wes Anderson (vous savez le gars de l’absurdissime et jouissif « Vie aquatique »), The Squid and The Whale (Le calamar et la baleine – Titre en VO des Berkman se séparent…no comment). Déjà c’est un film court, 1h21, ça peut paraître crétin, mais un réalisateur qui est assez modeste, honnête et lucide pour sortir un film d’1h21, je trouve ça de bon augure. AHHHH combien de films d’1h50 mériteraient 30 minutes de coupe ! Bref. Les Berkman se séparent est l’histoire (assez autobiographique visiblement) de la rupture d’un couple, avec deux garçons en pleine crise d’adolescence. Le regard porté sur tout ça est plutôt celui des garçons, ils ne sont cependant pas épargnés par l’œil incisif de Baumbach. Dès la première scène, un match de tennis familial, le décor est planté, et les caractères définis à la perfection. Et c’est très fort, une scène et on a tout compris ! Alors là, moi je dis chapeau Maestro. Tout le film est à l’image de cette première scène, rapide, juste précis, drôle, émouvant, grinçant. Un père intellectuel, aigri, coincé, amer, engoncé dans son système de pensées, en pleine déconfiture, une mère hédoniste, crue, directe, infidèle, en pleine réussite, un fils à papa incapable d’une pensée propre, un fils à maman fou de masturbation… Je veux vraiment souligner l’extraordinaire présence des acteurs, Jeff Daniels (parfait) et Laura Linney (sublime) en tête. Bref, un vrai bon film, avec un vrai bon style (bravo au chef-op et décorateurs qui ont su recréer une ambiance 80s parfaite), de vrais bons acteurs, une vraie bonne musique (Floyd, Reed, et j’en passe) et une vraie bonne histoire. Bref, du vrai bon cinéma. Yeeeeees !

Chronique film : Paris je t’aime

18 Courts-Métrages de plein de gens bien.

Autant vous le dire tout de suite, je ne suis pas de bonne humeur. Plusieurs raisons à ça.

Outre des raisons personno-personnelles, je fais une overdose de foot, j’en ai ras le bol de voir des milliardaires courir après un ballon, alors que les trois-quarts des millions de spectateurs qui se shootent au ballon rond ont du mal à boucler leurs fins de mois. J’en ai ras le bol, de voir des silhouettes aux yeux exorbités, avec des drapeaux français peints sur la gueule. Et pourtant, je n’ai rien contre le sport, rien contre les ballons (Allez le staaaade !), mais là vraiment, j’en ai marre.

Mais la raison essentielle, vitale, universelle pour laquelle je suis de mauvais poil, c’est que je me suis ennuyée au cinéma. Pas gentiment ennuyée, non vraiment ennuyée. C’est avec plein de bonnes intentions, et d’étoiles dans les yeux que je suis allée voir Paris Je t’Aime, film au concept original, puisque composé de 18 (ouh lala quand j’y repense, 18, putain, c’est long) courts-métrages de metteurs en scène d’origines géographiques et intellectuelles totalement différentes, bourré de stars et de pas stars, bref alléchant. Ca commence doucement, avec un petit Podalydès, poli, mignon, anodin quoi. Puis un jeune garçon tombe amoureux d’une fille voilée, voila, bon bon, c’est bien (pensant). Ensuite, avec le Gus Van Sant, on se dit qu’on tombe assez bas, donc qu’après, ça ne peut qu’être mieux (Gaspard Ulliel, essaies pas de te la jouer grunge, tu ressembles autant à Kurt Cobain, que moi à PJ Harvey). Heureusement, ce bas très bas est suivi par un haut très haut, un petit bijou de 5 min des Frères Coen, délirant, acide, décalé, qui égratigne bien profond, sans en avoir l’air, cette France toute entière tournée vers son passé culturel, sa pseudo culture de l’accueil, et sa réputation de pays de l’amûûûr (au fait Steve Buscemi que la force soit avec toi). On se dit que là, ça risque d’être dur de faire mieux, mais on a tort. Walter Salles et Daniela Thomas nous pondent un petit chef-d’œuvre de concision, une banlieusarde venant tout droit d’Amérique du Sud, se lève très tôt pour déposer son enfant dans une crèche déshumanisée, se tape des heures de transport en commun, pour aller faire la baby-sitter dans le 16ème, magnifique, vibrant, cruel. Malheureusement la suite est beaucoup moins convaincante. Je ne vais pas tous vous les passer, j’en ai déjà oublié la moitié. Je mets quand même une petite dédicace au court de Sylvain Chomet, petit ovni émouvant et finalement grinçant, sur la solitude des gens pas comme tout le monde. Allez pour être fair-play, je sortirais du marasme le court d’Isabel Coixet, pour Castellitto, et celui de Tom Tykwer, pour Natalie Portman.

Paris je t’aime ? Pas moi… une certaine envie d’aller élever des chèvres dans le Larzac ce soir.

Chronique film : Bled Number One

de Rabah Ameur-Zaimeche

Bled Number One relate l’histoire du retour de Kamel (Rabah Ameur-Zaimeche himself, formidable) et Louisa (Meriem Serbah, touchante) dans leur bled algérien d’origine. Ce bled, ils y sont surement nés, mais sont partis pour la France. Assez longtemps pour avoir changé, dans leur corps, dans leur tête. Kamel a été obligé de quitter la France pour des raisons qu’on ignorera presque jusqu’à la fin, Louisa a quitté son mari en emmenant son fils pour rejoindre la famille (bon, nous on se doute tout de suite qu’elle a fait une connerie Louisa. Pas de quitter son mari, mais de revenir dans sa famille…). Kamel et Louisa reviennent chez eux, mais y sont étrangers. Ils sont confrontés à un monde qu’ils comprennent mais auquel ils n’appartiennent plus. Un monde d’une violence inouïe, englué dans ses traditions.

Ce film oscille entre réalisme rugueux, poésie et absurde. Certaines scènes sont à la limite du soutenable, l’égorgement rituel d’un taureau lors d’une fête de village (et pourtant, j’assume totalement ma violence alimentaire), le tabassage de Louisa par son frère, du frère de Louisa par des intégristes. Pourtant, à certains  moments souffle un vent de fraîcheur dans ce monde de brutes : un bain de mer au milieu d’épaves gigantesques (ahh le bob orange de Kamel au milieu de la mer grise, fantastique), des enfants sur une terrasse. Et puis soudain, au bord d’un lac, un guitariste égrène ses riffs électriques et arabisants, et Kamel s’assoit, face au lac, son bob orange vissé sur la tête, et puis soudain Kamel se met à pogoter au milieu de mâles algériens dansant de mouvements langoureux… j’arrête là, car des scènes magnifiques, il y en a beaucoup dans ce film.

C’est un film visceral, et magistralement maîtrisé. L’huma y a vu une comédie (?!?), euh, comment dire… non. On rit de temps en temps, on pleure aussi, mais on a surtout mal. C’est un bon film, voire un grand film. Pas de démonstration dans Bled Number One. Juste un regard sur un ailleurs tout proche, et si lointain, qu’on ne comprend pas, qu’on ne comprend plus. Si on veut mégoter, on pourrait dire que le symbolisme final est légèrement lourdingue (Kamel veut fuir le bled, Il enfile ses lunettes de soleil, et le bled se reflète dedans, Kamel à jamais exclu de ses racines…). Mais bon, a-t’on vraiment envie de mégoter ? Rabah Ameur-Zaimeche est un grand metteur en scène et un immense acteur. Toujours sur le fil, et en peu de scènes, il compose un personnage perdu et lunaire, révolté et contemplatif. Il a une présence rare, une dégaine unique.

Pour finir, je laisse la parole aux patients de l’hôpital psychiatrique dans lequel va se réfugier Louisa après une tentative ratée de suicide : « Les fous, ils sont à l’extérieur ». Et après avoir vu ce film, oui, les fous sont bien à l’extérieur…

Photos : © Les Films du Losange

Chronique film : Divers

Cannes est terminé, et seulement trois films de la compétition officielle sont sortis (si je ne m’abuse) : Volver (Pedro Almodovar), Marie-Antoinette (Sofia Coppola) et le Caïman (Nanni Moretti).

Très attendus tous les trois, peut-être les plus attendus de la compétition officielle, seul Volver est reparti récompensé, pour l’ensemble de ses actrices (amplement mérité), et pour son scénario (là je reste perplexe – Prix de consolation ?). J’ai beaucoup aimé Volver, Almodovar vieillit, épure sa mise en scène, tout en restant foisonnant. C’est un beau film, émouvant, bien fait. Pas grand chose à dire, c’est de la belle ouvrage. J’ai été surprise par le prix du scenario, peut-être le seul point un peu faiblichon du film. Surtout quand on le compare à la magnifique intelligence du scénario du Caïman.

Marie-Antoinette est sortie bredouille du festival, et c’est normal. C’est un grand film raté. Il y a des scènes magnifiques dans ce film. Quand Sofia Coppola filme au plus près Kirsten Dunst (vraiment bien), l’émotion naît brutalement, c’est d’une beauté à couper le souffle. Par contre, dès qu’elle s’éloigne de son actrice, la réalisatrice semble perdue, images illisibles, cadrages approximatifs, éclairages laids… Le mélange de rock/baroque ne m’a pas dérangé, mais cette absence totale de sens de l’image en cinemascope, oui. Au final, on pleure un peu, on est émerveillé de temps en temps, mais on s’ennuie beaucoup. Je suis sortie de la salle assez en colère, ça aurait pu être un grand film…

Au moment où je vous parle, je sors juste du visionnage du Caïman, et je suis encore toute retournée. Je ne connais pas très bien Moretti, je connaissais juste « Journal Intime », que j’avais beaucoup aimé. Mais un film politique, bof, ça m’enthousiasmait moyennement. Mais le Caïman n’est pas un film politique, ou pas seulement. Le côté politique, Nanni Moretti l’expédie assez vite : toute l’Europe se moque de ces italiens qui ont laissé l’impensable arrivé au pouvoir, tout le monde connaît les malversations de Berlusconi, alors on en parle, pour ne pas oublier, on visionne quelques images d’archives (incroyables) pour se mettre dans l’ambiance. Le Caïman parle avant tout d’un moment charnière, professionnellement et humainement, dans la vie d’un homme, un producteur sur le retour, ayant voté Berlusconi, qui pour sauver ses finances (ou se sauver lui-même), décide de produire (sur une mauvaise lecture de scenario), le projet d’une jeune réalisatrice de gauche. Le Caïman parle également de création, de la difficulté de monter un projet, surtout aussi sensible. Le scenario de ce film est grandiose, brillamment intelligent. La mise en scène est également extraordinaire. Pied de nez et mise en abyme magnifique de Moretti, après le désistement de l’acteur principal, devant jouer Berlusconi, c’est lui-même qui reprend le rôle du Caïman… Les dernières scènes du film ne sont plus celles de Moretti, mais celles du film dans le film, les scènes du film de Teresa, et on voit le Caïman, en voiture, s’éloigner du tribunal en flamme, dans lequel il vient de se faire condamner. Et vous savez quoi? Ca faisait longtemps que je n’avais pas autant ri, ni autant pleuré pendant un film… Si ça n’est pas le meilleur des arguments ça !

Un regret donc, dans ce palmarés cannois. Volver deux prix, le Caïman aucun… Une récompense pour le scénario n’aurait pas forcément été une mauvaise idée !

Petits rajouts, suite à gros oublis concernant le Caïman :
– l’itinéraire du héros, est bien évidemment très symbolique de l’état actuel de l’Italie, qui se trouve à un moment charnière de son histoire ;
– finalement le Caïman ne serait-il pas un grand film autobiographique déguisé?
– Moretti a choisi des musiques excellentes, en complète adéquation avec l’histoire. Encore une grande intelligence dans ce choix.
– Je vous l’ai déjà dit, le Caïman est un film intelligent, mais autant sur le fond que sur la forme. Il possède surtout une immense qualité, il est intelligent du point de vue émotionnel, ce qui est encore plus rare.
Je me répète? Peut-être, tant pis, allez le voir !