Chronique film : Frenzy

(1972) d’Alfred Hitchcock

Frenzy est un régal de bout en bout, et tant pis si les grincheux le trouvent en dessous du génie du maître. Avant dernier film du sieur et retour aux sources, Frenzy a été tourné à Londres, et plus précisément à Covent Garden où le père du bon Alfred tenait boutique, comme nous l’apprend le judicieux documentaire fourni en cadeau bonux.

Bien meilleur que l’Etau (là, je crois que personne ne pourra me contredire), Frenzy est à la fois un film d’une maîtrise totale, mais également d’expérimentations étonnantes. Hitch s’amuse avec les paradoxes. Sans doute son film le plus violent (la scène de strangulation millimétrée est quand même impressionnante, il faut le reconnaître), il coupe l’herbe sous le pied du spectateur lors du meurtre de Babs , en faisant se retirer tout doucement la caméra, laissant le spectateur la mâchoire béante et l’imagination en ébullition.

Dans ce film rien n’est montré qui ne serve à l’intrigue. Pourquoi filmer un deuxième homicide, puisque nous connaissons déjà la manière de procéder de l’étrangleur ? Pourquoi filmer la secrétaire découvrant le corps sans vie de sa patronne, alors que nous savons déjà comment cela va se passer ? Il vaut mieux attendre, attendre le cri qui sortira des murs, et fera se presser les passantes. C’est surprenant, drôle et brillant. Brillante également cette utilisation d’un silence soudain, au sortir du bar. C’est pour mieux vous surprendre mon enfant. Le tout est accompagné par une musique excellente de Ron Goodwin, c’est pas du Herrmann , mais c’est pas mal quand même.

Évidemment, le film traite des rapports avec les femmes, et notamment leur ascendant sur les hommes. Toutes les femmes, qu’elles soient ridicules ou sympathiques sont en effet maîtresses du jeu. Sans l’intuition et l’esprit de déduction de la femme du flic, et malgré ses piètres talents culinaires, l’intrigue n’aurait jamais été résolue. L’homme se plie aux décisions des donzelles (refus de cacher un fugitif, un divorce pour cruauté morale parce que c’est plus vite bouclé…), par faiblesse ou intelligence. Rusk, incapable d’affronter les femmes et leur pouvoir, peut-être sous le joug de la mère, n’arrive à se sentir homme qu’en violant et tuant. Ok, c’est de la psychologie à deux balles, mais c’est très efficace, et contrairement à ce que beaucoup pensent, Hitch cerne assez bien l’ambivalence féminine, entre fantasmes pervers et pudeurs de jeunes filles.

Un grand film et un bon cru Alfredien, sans aucun doute.

Chronique film : Twin Peaks (Saison 1)

 (1990) –  David Lynch et Mark Frost

Je dois vous dire que je suis un peu sur les dents, j’ai fini la première saison de Twin Peaks. Mais je ne sais pas quand sort la saison 2. C’est ballot, je vais peut-être devoir attendre 10 ans.

Que dire de cette série cultissime que je n’avais jamais pu voir ? Au premier abord, c’est un véritable supplice visuel. Les décorateurs et costumiers ont vraiment dû prendre leur pied, et gamberger pour produire les fringues et des décors comme ça. Frost déclare que Lynch et lui voulaient que la série soit intemporelle d’un point de vue pictural. Il faut avouer que là c’est un gros ratage, ça sent la fin des années 80 jusqu’au bout de la corde. De quoi vous dégoûtez à jamais des chalets de montagne et des blousons en cuir pour le restant de vos jours. Ringarde également, bien que finalement hypnotisante, la musique au synthé de Badalamenti. L’ensemble fait que la série semble avoir vraiment beaucoup vieilli, elle n’a pourtant que 17 ans.

Une fois ce choc bien (c’est relatif) digéré, on n’est totalement englouti dans cette histoire à multiples tiroirs qui s’ouvrent sans jamais se refermer. C’est noir et drôle, rempli jusqu’à la gueule d’idées incroyables, et pour le coup, plus du tout démodé. Je préfère ne vous raconter rien d’autre, juste vous hurler de courir chez le marchand de DVD le plus proche. Le coffret est beau, et pas très cher. Et si jamais quelqu’un a des infos sur la sortie de la saison 2, je suis preneuse…

Chronique film : La Grève

 (1924) de S. M. Eisenstein

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La Grève est une pure splendeur, un choc, un uppercut, un bouleversement sans fond, si ce n’est par le sujet (propagande assumée, mais pas si inutile de nos jours), mais surtout par l’extraordinaire maîtrise formelle de l’ensemble.

Premier film d’Eisenstein, et déjà un chef d’oeuvre, La Grève assomme par sa dynamique, son inventivité, l’intelligence de chaque plan. C’est d’une modernité absolue et ça a été réalisée en 1924. J’en suis encore bouche bée. Il y a d’abord la composition des plans, toujours impeccable (bien que je soupçonne le portage DVD de sucrer au moins un tiers de l’image). Les bouilles pas possibles des acteurs, succèdent aux plans d’ensemble et aux jeux de miroirs et de reflets. Quasiment que des plans fixes, si j’ai été bien attentive, mais tous dotés d’une incroyable force vitale, d’un mouvement, d’une urgence particulière. La même scène est filmée sous des dizaines d’angles différents, et le montage, rapide, d’une précision redoutable, est impressionnant.

La caméra filme la foule comme un seul homme, les prolétaires n’existent que parce qu’ils sont solidaires, et il est clair que la désunion entraînera leur perte. La Grève donne à 1000 occasions le sentiment que plus rien de neuf n’a émergé d’un point de vue cinématographique depuis 1924. En dehors des prouesses techniques, La Grève est riche d’un point de vue scénaristique, tantôt très drôle (les mimiques « comedia » des acteurs sont dosées au millimètre près), tantôt très tendre (les moments de bonheur en début de grève, le gamin qui vient réveiller son père), tantôt haletant (les scènes de foules, de mouvements populaires), tantôt insoutenable (le gamin balancé du haut d’un escalier, ça fait ploc dans le bide). Bien que film de propagande, le sujet est pourtant, et plus que jamais d’actualité. La Grève a été un des leviers de progrès social le plus important. La menace qui pèse sur lui de nos jours est une régression indéniable, tout comme le « travailler plus ». Nos aïeux se sont battus pour que leurs descendants aient la liberté d’avoir une vie en dehors du boulot, avec des conditions acceptables. Il faudrait peut-être songer à respecter leur taf.

Halte donc aux préjugés (je parle des miens), qui me font toujours retarder le moment d’aborder un film muet. Il me reste Octobre sur mon étagère, il n’attendra sûrement pas aussi longtemps. Pour finir, je dois tirer mon chapeau au compositeur de la musique d’accompagnement, bien au-dessus de ce qui habille habituellement les films muets.

 

Chronique film : Allemagne Année Zéro

 (1947) de Roberto Rossellini

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En nos temps douteux, où le législateur planche sur un loi qui ne concernera que 20 000 personnes par an (mais potentiellement des criminels, puisque génétiquement fichés), il est parfois bon de rappeler que focaliser son attention sur la minorité permet de contrôler la masse. Il faut donc parfois revenir aux essentiels, pour revivifier un peu le cocotier et prendre du recul sur le présent.

Allemagne Année Zéro fait partie de ces films qu’on devrait montrer aux enfants dès qu’ils apprennent à lire. Frontal, dur, tourné en décors réels dans un Berlin d’après-guerre, absolument apocalyptique, il montre une réalité implacable d’un peuple ayant perdu tous ces repères, sociaux, matériels et moraux. A Berlin, en 1947, on crève de faim, on manque de tout, et le manque fait faire à peu près n’importe quoi. Difficile de garder la tête froide quand on a le ventre vide.

Edmund est un gamin de la guerre, il a 13 ans, et n’a donc pratiquement connu que ça. Contraint de se débrouiller pour trouver la pitance de son père malade, de son frère, ex de la Wehrmacht, qui se planque, et de sa soeur, blondinette qui refuse de faire la pute pour trouver à bouffer, il est livré à lui même, et à la loi de la jungle. Comment grandir ? Comment se construire ? Comment acquérir les valeurs fondamentales du prix de la vie humaine dans ces conditions ? Quand Edmund rencontre un de ses anciens instituteurs, aux mains très frôleuses, il gobe tout ce que dernier lui raconte. Son père malade n’est qu’un faible, et on se débarrasse des faibles.

Malgré une qualité d’image très variée (on n’imagine bien les conditions de tournage précaire), la caméra est d’une grande souplesse, et film les errances d’Edmund de manière magnifique, parfois lointaine, parfois très proche. Filmé apparemment sans jugement aucun, sans aucun ressort lacrymal, Allemagne Année Zéro n’est pas destiné à émouvoir le coeur du spectateur, mais à faire fonctionner ses neurones. Film indispensable donc, à voir et revoir et méditer.

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Chronique film : L’Hôpital et ses fantômes, Saison 2

(1997) de Lars Von Trier

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Dans la seconde saison de l’Hôpital et ses fantômes, Trier se lâche grave. On assiste à une débauche d’idées, d’inventivité, qui rendent la série, par moments, franchement hilarante. On retient notamment une course-poursuite à 2 km/h dans le couloir des archives pour tromper les détecteurs de mouvements, ou encore Bulder, brancardier corpulent et débonnaire, qui, sous hypnose imagine se transformer en pingouin afin d’échapper aux griffes d’un tigre. Trier ose également le canular visuel salace et la blague scato. Quels grands moments, quand Helmer surveille la bonne flottaison de ses étrons, tout en philosophant sur la pourriture danoise (Hamlet n’est pas loin).

Malheureusement, tout n’est pas à l’avenant, et en débridant ses pulsions drolatiques, Trier relâche hélas et son scénar, et sa mise en scène, et sa direction d’acteurs. Les deux derniers épisodes sont nettement moins « tenus » comme dirait G. L’histoire cafouille à mort, il ne sait visiblement pas comment boucler son affaire, et c’est dommage. Autant le fil conducteur de la première saison était clair, malgré la multiplicité des histoires, bien centrée sur le destin tragique de la petite Mary (prononcer Maru visiblement…), autant la saison 2 sert de prétexte à la multiplication de gags, et la recherche du démon par Drusse, est convenue, un comble pour Trier. On peut regretter également une toute fin en couille de caille, très prévisible. Malgré l’apparente liberté de ton, c’est tout de même l’infirmière nympho qui abrite en son sein le démon. Un chouille facile tout de même.

Les acteurs du coup semblent moins concernés, et plongent parfois dans la caricature. Drusse et Stig sont toujours impeccables, mais le reste de la distribution se laisse aller à en faire trop. Côté mise en scène, c’est la même histoire. Maintenant bien implanté dans son style, Trier n’en démord pas, quitte à s’y enferrer quelque peu. Plus longs, moins serrés, les derniers épisodes se mâtent certes sans ennui, mais sans grande passion non plus. J’avoue que je chipote un peu, on n’a pas mal aux fesses, même en regardant les 4 épisodes à la suite… mais tout de même, cette saison 2 est moins convaincante.

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