Chronique livre : La Vie devant soi

de Romain Gary.

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Bon voilà qui me redonne un peu le sourire, après une série de livres au sérieux papal. Premier livre de Gary que je lis, et sans doute pas un bon choix pour débuter la découverte de ce géant (selon mon spécialiste préféré). Mais bast, c’est un sacré bon moment que ce livre, bien qu’il soit aussi roublard dans son sujet (un chtiot drôlement bousculé par la vie, ça fonctionne presque à coup sûr) que sa sortie sous pseudo et que sa distinction indue.

Momo, un jeune arabe, fils de pute au sens propre, est élevé par Madame Rosa, une juive réchappée des camps qui tient un foyer clandestin pour enfants de prostituées. Truculence du récit, Momo est un enfant intelligent, qui comprend et restitue les choses derrière le filtre de son éducation (particulière) et de sa compréhension (alternative). Le tout est très drôle et émouvant. On s’émerveille devant les trouvailles de langage de Momo (les femmes qui se prostituent se « défendent » dans sa bouche), et Gary sait tirer les larmes en maître. Rien à dire, c’est extrêmement efficace, chaque phrase prêtant à rire ou pleurer. L’acmé des sanglots provient de la vente par Momo de son chien qu’il adore (parce qu’il sait que, pour un chien, vivre chez Madame Rosa, c’est pas un cadeau à lui faire) : flot lacrymal garanti.

Mais voilà, au bout d’un moment, à force de faire recette, La vie devant soi finit par afficher clairement ses recettes. On sent par derrière l’écrivain, le faiseur, qui avant de débuter son travail s’est concocté un dictionnaire des expressions Momo, a soigneusement choisi les leviers narratifs qui feront naviguer le lecteur entre rire et pleurs. Les réflexions de Momo, sous couvert d’adolescence brassent des questions fondamentales : la vie, la mort, le bonheur, la solitude, la vieillesse, l’enfance, et sont à chaque fois tranchantes.

Virtuose, profond et sublime sans aucun doute, mais on ne peut s’empêcher justement de trouver ça un peu trop virtuose, un peu trop parfait, et renifler par là même l’entourloupe. Enfin, parfois, c’est quand même vachement bien de se laisser entuber de la sorte.

Chronique livre : Les grandes blondes

de Jean Echenoz.

La crinière qui fait fantasmer tous les hommes ? Clique.

Pas désagréable ce roman dont la découverte m’a été conseillée de longue date par des lecteurs de la première heure. Pas non plus bouleversant, mais un divertissement taquin.

On comprend aisément ce qui a plu et a fait recette en 1995 : ton enlevé, comparaisons biscornues et rigolotes, digressions farfelues, tout ça au service d’une enquête non policière matinée de fuite aux quatre coins du monde. Confrontation de l’exotisme et du tout petit quotidien, du grand mystère (la fascination pour les grandes blondes, pour les femmes en générale) et du matériel morose (l’ingestion d’un café soluble au petit déjeuner), on trouve de tout dans ce roman qui sautille de l’un à l’autre avec délectation. On sent Jean Echenoz également fasciné par le sujet de son livre et par Hitchcock, dont le roman constitue sans aucun doute un hommage en filigrane (le sujet est tout de même très proche de celui de Vertigo : entre le blonde qui change de couleur, la propension à jeter les gens dans le vide et le vertige paralysant). Mais Echenoz n’a pas la rigueur de son modèle. Pour enlevée qu’elle soit, l’écriture d’Echenoz n’est pourtant pas très consistante, et s’évapore aussi vite qu’elle est lue. Quinze ans après sa publication, Les grandes blondes a clairement pris la poussière et semble gentiment suranné. Ses interpellations répétées du lecteur ne fonctionne plus vraiment, ses métaphores portent mal leur âge.

On passe un gentil moment, en se disant qu’il aurait sans doute fallu boire la bouteille quelques années avant la madérisation.

Chronique livre : Rencontres avec Samuel Beckett

de Charles Juliet.

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Moins consistant que Rencontres avec Bram Van Velde, le livre de Juliet n’en est pas moins intéressant. Rencontres avec Beckett sans doute moins fréquentes qu’avec le peintre, moins intimes (elles se déroulent souvent dans des cafés ou restaurants), Juliet semble ne pas réussir à extirper de l’écrivain ce qu’il avait réussi à tirer de Van Velde. Le personnage est sans doute trop insaisissable, trop impressionnant, trop rétif à toute intellectualisation de son oeuvre et de sa vie pour rendre ces rendez-vous totalement satisfaisants. Juliet comble donc les vides, décrit beaucoup plus les situations, et pourquoi elles n’ont pas toujours été fructueuses.

L’homme des mots échappe aux mots, contrairement à l’homme de peinture. Cependant, le livre reste très intéressant, beaucoup plus lumineux que le précédent. Beckett semble avoir franchi un pallier supplémentaire par rapport à Van Velde, réussit à dépasser la fracture primordiale (« J’ai toujours eu la sensation qu’il y avait en moi un être assassiné. »), pour faire naître de la noirceur la lumière. Pourtant ses paroles sont sans espoir : il n’y a pas de solution, « rien n’est dicible ». Mais il se dégage de cet homme, de son refus de la logique, de sa quête de vie (« On fait cela pour pouvoir respirer »), une sorte de non-prise au sérieux, de drôlerie ravageuse (quand il décrit sa tentative de pièce d’une minute, terrrrrible), de générosité presque, qui sont salutaires.

Un joli moment. Et de toutes façons, il faut lire Beckett, on ne le clamera jamais assez.

Chronique livre : Rencontres avec Bram Van Velde

de Charles Juliet.

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« J’ai toujours tâtonné. » Et toi ?
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Bon si on a envie d’une bonne tranche de rire, il faut passer son chemin : on n’est clairement pas du côté de la force Bozo avec ces rencontres. Bram Van Velde n’est pas quelqu’un de léger, et Juliet ne fait rien pour adoucir le personnage. La majorité du livre est consacrée aux sentences du peintre, et lui qui se clame incapable avec les mots les manie pourtant fort bien : phrases courtes, expéditives, et pourtant riches, jets spontanés et droits, et pourtant probablement mûrement réfléchis.

Juliet a strictement respecté le caractère de l’artiste : de lui, de sa vie privée, on saura finalement peu de choses. Ce qui compte pour Van Velde, ce qui dirige sa vie, c’est l’absolue nécessité que constitue la peinture. Elle n’a jamais été un choix, mais une obligation qui s’est imposée à lui. Non pas à but alimentaire (il a vécu des dizaines d’années dans une misère noire, et considère qu’on ne peut être un véritable artiste que quand on a touché le fond), mais à la fois comme finalité et moyen de poursuivre sa vie.

On est forcément fasciné par cet homme sans concession aucune, absolutiste en ce qui concerne ses convictions profondes, mais sans prosélytisme. C’est sans aucun doute un être à part, fondamentalement différent du troupeau.  La solitude que cela engendre, il en a besoin pour créer, et pourtant il la subit, elle lui fait peur. Le livre retranscrit fidèlement toutes les rencontres entre Juliet et Van Velde, et malgré les nombreuses redondances dans les propos du peintre (quoi qu’en dise Juliet), on reste accroché aux paroles du peintre. Juliet sait se faire discret, et trouve la bonne distance pour raconter ces entrevues.

Quelques morceaux choisis :

« Tous ces gens qui se croient bons, généreux, intelligents et qui ne savent pas qu’ils sont morts. » « Dès qu’ils le peuvent, la plupart des gens se mettent sur une piste et ne la quittent plus. Pour moi, je n’ai jamais eu de piste. J’ai toujours tâtonné. » « Il faut savoir ne pas faire carrière. » « Le plus difficile, c’est de ne pas vouloir« .

Et puis la seule incursion du léger dans le livre :

« Se retournant vers moi, et avec l’enjouement d’un enfant tout excité : – Cheval… cheval… cheval…, ne cessait-il de répéter, en me le désignant du doigt. »

Je me demande si la réaction aurait été identique à la vue d’un poney…

Chronique livre : Le Bûcher des vanités

de Tom Wolfe.

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Là, tu cherches le rapport avec le titre hein ?
J’aime bien le mystère parfois. Clique.

Il y a vraiment des gens qui ne doutent de rien, et qui ont raison : sortir un premier roman de 900 pages sur la pourriture du monde c’est quand même sacrément couillu. Le Bûcher des Vanités est assez hallucinant de par la maîtrise du récit et de la construction. Malgré quelques longueurs, le livre tient méchamment la route, et si on a parfois envie de le jeter à travers la pièce c’est surtout à cause de ses personnages, tous plus veules les uns que les autres. Parce que oui, lire le Bûcher des vanités ne donne pas forcément une vision de l’humanité complètement sereine, ni une patate d’enfer. C’est un catalogue des pires tares de l’Homme concentrées en quelques personnages : mégalomanie, soif du pouvoir, lâcheté, aveuglement, superficialité… et j’en passe. Ce qui interloque surtout, c’est que ce livre, sorti pourtant en 1987 n’a pas pris une seule ride. J’irai même plus loin en disant qu’à l’heure actuelle, post (et pré ?) crise mondiale, il serait même en deçà de la réalité.

Un trader (comme on dit aujourd’hui) et sa maîtresse percutent un gamin noir dans le Bronx et s’enfuient. Délit de fuite donc. La mère du gosse, trouve du soutien auprès d’un révérend noir influent et retors. La police et le substitut du procureur, sous l’influence puissante des médias et des élections toutes proches dénichent le trader et trouvent en lui, non seulement un symbole de l’impartialité de le justice, mais surtout un parfait bouc émissaire. Oui, parce qu’en fait, ce n’était pas lui au volant… C’est donc une totale toile d’araignée dans laquelle est embrouillée le trader et plus il se débat moins il s’en sort.

C’est d’une drôlerie noire dévastatrice, mais le Bûcher des vanités nous livre un monde dans lequel il n’y a rien à sauver. On est incapable d’éprouver la moindre sympathie pour un seul des personnages tant ils sont odieux chacun dans leur style : les riches n’ont qu’une envie, devenir encore plus riches en écrasant la gueule des autres (genre Rolex vous voyez ?). Les classes moyennes convoitent le mode de vie de riches (argent, maîtresses, …) etc… A la fin du livre, j’avais envie de revoir un épisode de Casimir.

Un (long) moment passionnant donc à la lecture de ce bouquin, mais pas forcément un « bon » moment. Vous suivez ?