Chronique film : El Camino de San Diego

de Carlos Sorin

18673961_w434_h578_q80Tati Benitez est bûcheron au fin fond de la forêt argentine, possède femme enceinte et 3 enfants, et les poches plus vides que mon frigo. Mais Tati est heureux parce qu’il est fanatique (au vrai sens du terme) de Diego Maradona. Quand le footeux se retrouve en soins intensifs, Tati est vachement triste, alors il décide de lui amener directement une racine trouvée dans les bois, et qui a la forme de Maradona (enfin, faut vraiment avoir la foi, pour lui trouver une quelconque ressemblance avec le pousseur de citrouille… m’enfin ce que j’en dis moi).

Il y a de belles choses dans ce film. Un regard sensible sur les gens qui n’ont rien, jamais moqueur, à capter les sourires qu’ils ont fort beaux, une très belle vision de la forêt, ce lieu un peu magique, peuplée de silhouettes d’arbres, et de bestioles mignonnes comme tout. Dans ce cadre naturel, premier, la foi de Tati dans le Dieu Diego apparaît comme quelque chose d’assez sympathique, bien qu’un peu fou, un truc extraordinaire, une lubie rigolote.

18753738Quand Tati part sur les routes, son bout de bois sous le bras, il traverse un pays bouffé par ses croyances, dans des idoles de toc. Diego, le seigneur et maître indétrônable bien sûr, la voyante, le curé, mais aussi Gaucho Gil, porte-bonheur de bois, attirant moult crève-la-faim qui n’ont plus rien à perdre, et dépensent leurs derniers sous à choisir dans des étalages sans fin, des colifichets de plastique.

Le film prend soudaine un ampleur particulière quand Tati s’approchant de la ville, pénètre dans la supérette d’une station-service. Aux babioles succèdent les innombrables produits de consommation. On imagine alors que le film va se faire critique d’un monde moderne, voué au Dieu argent et à la Déesse consommation, en lieu et place d’idoles de bois. Hélas il n’en est rien, et la fin, un peu niguedouille, ne tient pas vraiment les promesses esquissées. Manque d’opinion, du courage de dire clairement les choses, bref, d’un chouille de coucougnettes, le film se dissous lentement, dans un peu d’ennui, et pas mal de bons sentiments.

Chronique livre : Retour à Coal Run

 de Tawni O’Dell.

51X_yRl5Z8LVoici un bien joli bouquin, qui hélas s’oublie à peu près aussi vite qu’il a été lu. C’est dommage car à la lecture c’est vraiment agréable et le livre est assez intelligemment composé.

Le début est vraiment excellent, racontant l’apocalyptique explosion d’une mine. Sol qui s’effondre, familles qui accourent au milieu d’un monde qui s’écroule, pour ne plus trouver que cendres et mort. L’écriture est sensible, et en assez peu de pages, c’est tout un univers qui jaillit sous nos yeux, avec ses petites habitudes qui masquent mal la peur de l’accident.

Après cette brillante scène d’exposition, la suite de l’histoire n’est pas tout à fait du même niveau. Le héros, bien piteux est assez sympathique, baladant avec lui son penchant pour le scotch, ses genoux foutus, et un secret un peu trop gros pour lui. La galerie des personnages secondaires est assez marrante, du neveu de 6 ans, qui porte une cravate pour se sentir important, à la sœur qui n’est pas une fille facile, mais assez conciliante quand même. On place le tout dans une société en déliquescence, et le tour est joué. On ne s’ennuie pas une seconde, c’est plutôt bien écrit, mais un peu convenu, on sent la recette bien appliquée.

Un très bon roman de vacances. C’est pas si mal, même si pas tout à fait suffisant.

Chronique livre : La Ville et les Chiens

de Mario Vargas Llosa.

J’aimerais bien pouvoir vous dire que ce livre est un des meilleurs que j’ai lus depuis longtemps. Malheureusement, ou plutôt heureusement, ce n’est pas le cas puisque mon conseiller littéraire depuis quelques mois se révèle précieusement inestimable et irremplaçable. N’empêche, la Ville et les Chiens, est, je crois pouvoir le dire sans trop me mouiller, un des plus beaux livres que j’ai lu de ma courte (enfin plus tant que ça) vie.

Comme d’habitude avec mon conseiller, on n’est ni chez Oui-Oui, ni chez Martine à la plage, et le début du livre étant un peu complexe, il faut une bonne dose de concentration pour plonger dans cet univers touffu et pourtant tout simple et cohérent.

Au collège militaire de Lima, Leoncio Prado, on suit l’itinéraire de 4 cadets, d’origines sociales différentes dans un pays en déliquescence. Alberto, dit le Poète, écrit des nouvelles érotiques pour ses camarades afin de se payer des clopes, Ricardo, « l’Esclave », souffre-douleur de toute la section, le Jaguar, adolescent prédateur, trouble et violent, et en pointillés, le Boa qui a pris sous son aile, pour le meilleur et surtout pour le pire, la Malencouille, une chienne qui traîne dans le dortoir. Evidemment, autour de ces personnages en gravitent bien d’autres, élèves, corps enseignant, famille, filles…

Le début est déroutant et cru, mélange des voix de tous, dans un flot continu de pensées. Passé, présent, imaginaire, tout se fond de manière assez surréaliste afin de mettre en place l’histoire. C’est complexe et très beau aussi. Puis le récit se fait plus construit du moment où rentre dans l’histoire, la discrète Teresa, dont est amoureux L’Esclave… puis Alberto. Car au milieu de cette univers de violence, de méchancetés, de noirceur, de dissimulation, c’est finalement l’amour qui conduit les gars à faire leur plus grosses conneries.

Mus par le désir d’être aimés, ces ados, finalement pas si loin de l’enfance, ont grandi trop vite, sans amour, quelque soit leur origine sociale. Et c’est le besoin de reconnaissance, d’affection, d’un peu d’attention et de chaleur dans le regard qui les poussent à agir. Le livre constitue en ça un témoignage extraordinaire sur l’adolescence, et le passage à l’âge adulte, sur l’incroyable besoin d’être, de se sentir exister. C’est d’un romantisme noir assez ravageur.

Quand on comprend, à la toute fin que les encarts sur l’histoire de Teresa et d’un gamin qui tourne mal, ne sont pas une œuvre romanesque du Poète, mais la véritable histoire du Jaguar, on pleure. Une fille, même pas très belle, trois gars du même Collège militaire, une seule histoire. Teresa, symbole de la femme, insaisissable, et qui finalement mène le monde par sa seule existence. C’est grand.

Chronique film : Boulevard de la mort

de Quentin Tarantino

BDLM est un pur film de gosse. L’action tient en peu de mots. Un vilain méchant balafré qui fait peur s’amuse à trucider au moyen de sa voiture pas belle, des groupes de filles toutes plus canons les unes que les autres, mais dotées d’une logorrhée verbale peu commune. Jusqu’au jour, où… il tombe sur une bande de grues encore plus folles que lui. Bref c’est pas bien lourd comme intrigue, mais ça tient assez bien ses 1h50.

Divisé en deux parties bien distinctes, la première est vraiment réussie et jouissive, la seconde un peu longuette (dans le genre poursuite en voiture, on a le droit de préférer Duel, hein, y’a quand même pas photo). Heureusement, la dernière minute relève assez brillamment et intelligemment le truc.

Plein de choses très réussies dans ce film, et assez marrantes. D’abord, les flottements temporels. Tourné comme un nanar des 70’s, film rayé, faux raccords, passage subit en noir et blanc, décors hors-d’âge, dialogues anachroniques, le film se passe pourtant bien de nos jours, avec le passage léger mais répété d’un téléphone portable textotant. On est dans un univers assez unique, fait de bric et de broc, de références d’hier, et d’objets d’aujourd’hui, bref, on est bien chez Tarantino, et pas ailleurs (il s’est d’ailleurs donné le petit, mais symbolique rôle du patron de bar).

Formidables également, toutes les actrices. Si je ne m’abuse, elles sont à peu près toutes passées par la série TV, pire que de la série B (autre référence indirecte ?). J’ai repéré des transfuges de Charmed, Les Experts à Pétaouchnok, p’tet Grey’s Anatomy et Tru Calling… à vérifier. Choix malin, car bien dirigées, elles sont parfaites (un peu trop physiquement d’ailleurs, c’est limite insultant pour les moins d’1m75 et plus de 50kg, à quand un Tarantino avec une ménagère popotte mais énervée ?).

Enfin, il faut bien dire que tout le film tient surtout sur ces dialogues interminables et hilarants. Ca part dans tous les sens, on y comprend pas grand-chose, et c’est émaillé d’un vocabulaire poético-vulgaire absolument fendard (à voir en VO obligatoirement). Les actrices débitent ça avec un naturel, et un phrasé vraiment intéressant, très fluide et chantant, sans aucun temps mort, limite musical. En parlant de musique, j’allais oublier la bande-son, nickel, comme d’hab.

Ca n’est pas du niveau de Pulp, on est d’accord, mais plus de l’ordre de la farce expérimentale entre potes. C’est léger et je ne pense pas qu’il faille chercher une morale à l’histoire (ou alors, les femmes sont l’avenir de l’Homme… mais des femmes comme ça, en même temps, j’ai franchement des doutes). En résumé, un film parfait pour le lavage de cerveau du dimanche.

Chronique film : Irina Palm

de Sam Garbarski

J’avoue avoir eu un peu d’appréhension avant d’aller voir ce film, de peur de n’y trouver qu’un ersatz loachien.Mais ce n’est pas le cas. Ca commence comme du Loach (un petit gamin va mourir s’il n’est pas envoyé en Australie pour se faire opérer, mais ses parents n’ont pas les moyens), mais le film vire assez vite, pour se recentrer sur le très beau portrait quasi muet, d’une femme assez insondable, timide, mais d’une incroyable force de caractère.

Maggie la grand-mère du gosse, popotte et flétrie avant l’âge, prend les choses en main, puisque, pour gagner l’argent nécessaire au sauvetage de son petit fils, elle se fait engager dans un sex-shop, comme «branleuse».D’abord apeurée et réticente, elle commence à s’y habituer, et il faut voir, un discret sourire sur son visage, après une petite passe réussie. Maggie qui, comme on n’arrête pas de lui dire, n’a jamais su rien faire, devient maîtresse du plaisir des hommes, et son premier sourire du film, est un sourire de contentement devant son travail bien fait. L’histoire du « Save-the-petit-fils » devient alors assez annexe, et c’est surtout la révélation d’une personnalité étouffée qui prend le relais.

A travers son nouveau métier, à travers ses rapports avec le patron de la boîte miteuse (excellent répugnant et émouvant Miki Manojlovic), Maggie sort de sa torpeur de femme au foyer planplan à la retraite, elle se découvre, physiquement (il faut la voir se regarder les mains pendant de longues minutes), et mentalement, comme une femme forte, aux envies et aux choix bien déterminés. Le film excelle dans cette répétition de gestes, d’habitudes (gestes répétitifs de Maggie, défilé des clients…), ces petits détails (Maggie se mettant en blouse de travail, posant sur la table un lubrifiant à la noix de coco…), mais aussi dans ces rares et brusques incursions du réel, dans le nouvel univers de Maggie (la colère incroyable de son fils, la belle et jeune collègue virée, parce que Maggie est trop douée).

Si Marianne Faithfull ne convainc pas forcément toujours (sa voix brisée, et son visage bouffi, ne colle pas vraiment au personnage), le film est cependant suffisamment bon pour qu’on passe outre. Une très bonne surprise.