Chronique film : Coraline

d’Henry Selick.


L’abstraction se regarde mieux de près. Clique.

Henry Selick sans Tim Burton ni Danny Elfman, on avait le droit de craindre la dégringolade après l’excellentissime Étrange Noël de Monsieur Jack. On est rassuré dès les premières minutes. Avec son graphisme incroyable, ses décors à la fois cauchemardesques et pourtant très quotidiens Selick est un grand créateur d’univers.

Coraline, pré-ado colorée et insolente, et ses parents « homeworkers » très occupés viennent d’aménager dans une maison sinistre, entourés de voisins très bizarres. La maman porte une minerve, il est question à un moment donné d’accident de voiture, mais en fait, on ne sait pas comment ils ont atterri dans cette bicoque décrépite. C’est ça qui étonne dès le début du film, on oublie complètement l’animation pour être plongé dans une « vraie » histoire : une gamine pleine de vie en demande d’affection, face à des parents englués dans leurs incohérences d’adultes (ils rédigent des guides sur les plantes mais refusent de mettre le pied dehors dès lors qu’il y a une goutte de pluie !) et qui n’ont pas le temps de s’occuper d’elle. Mais comme on est dans un film d’animation, le quotidien se transforme vite en fantastique. Livrée à elle seule, Coraline va vivre son roman initiatique à elle : mécontente de son quotidien, elle se trouve plongée dans un univers parallèle copie carbone de son monde à elle, mais dans lequel tout ce qui la contrarie est balayé : parents aux petits soins pour elle, voisins rigolos comme tout, jardin magnifique, copain pas contrariant, c’est le rêve. Mais le paradis a un prix, et tel Faust, l’addition pour Coraline sera plutôt salée.

Coraline est un film d’une grande richesse, tant au niveau du scénario que du graphisme. Mille références jalonnent le film, bourré de petits détails incroyables qui créent un univers à la fois complètement barjo, mais totalement cohérent. Dans la grande scène de destruction finale, l’univers visuel de Selick éclate complètement, passant de Van Gogh, à Eternal Sunshine of the spotless mind, en passant par un graphisme noir et blanc très épuré et très effrayant. Oui, parce qu’au final, le film fait quand même un peu peur, le monde enchanteur se désagrège de manière très impolie, nous révélant des dessous fort peu avenants. Même si Bruno Coulais n’est pas Danny Elfman, les choeurs d’enfants fort crispants en d’autres circonstances moins glorieuses, se révèlent ici fort judicieux et parfaitement flippants. Brassant des thèmes graves : l’insatisfaction, le manque d’amour, la détresse, dépassant largement le cadre de l’enfance, illustrant parfaitement les expressions « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » et « tout vient à point à qui sait attendre », Coraline est un superbe film, drôle, émouvant, effrayant. Une p’tite merveille très très loin de Disney. Et ça c’est bien.

Chronique film : Etreintes brisées

de Pedro Almodovar.


Aurore boréale ? Le pouvoir de l’image… Clic.

Je sens que je vais me faire lyncher, mais il faut bien que je l’avoue : j’ai eu un mal fou à rentrer dans ce film classieux que j’attendais la larmichette toute prête à déborder. Mais voilà, la mayonnaise n’a pas pris, et il a fallu attendre les trois quarts du film pour que je commence à y trouver un tout petit intérêt.

Inutilement tarabiscotée au départ, et pleine de cul-de-sac, l’histoire se linéarise ensuite en un long flash-back très inégal, puis un dénouement maladroit mais mignon. Un des problèmes d’Almodovar qui m’avait déjà gêné dans la Mauvaise Éducation, c’est qu’il filme et dirige admirablement les femmes, mais il est vraiment manchot avec les personnages masculins. Et des personnages masculins, il y en a beaucoup ici, quatre principaux. Sa direction d’acteurs devient alors difficile à cerner (à part José Luis Gomez, les autres moulinent vraiment dans le caramel, surtout le catastrophique Ruben Ochandiano ), la caméra se fait lourde, trop fixe, théâtrale ou tentant des mouvements maladroits et peu lisibles. On serre les dents alors.

Heureusement, Almodovar n’étant quand même pas le dernier des plâtriers, il réussit in extremis à s’en sortir par quelques idées et quelques plans absolument bouleversants. Etreintes brisées, c’est l’histoire de trois histoires d’amour : celle passée de l’agent avec le metteur en scène, toute en hors-champs mais qui sert d’étau au film, celle du vieille homme politique pour sa maîtresse, Lena, un peu trop jeune, belle, et finalement trop indépendante, enfin l’histoire partagée entre le metteur en scène et Lena. Et c’est dans le romantisme noir tiré de ces amours que naissent les plus belles scènes, magistrales, du film. En fait, je le soupçonne de n’avoir tourner ce film que pour ces quelques plans épars et magnifiques qui renversent complètement la cervelle. Le personnage de Lena n’y est également pas pour rien, et Penélope Cruz est absolument parfaite : trouble, flamboyante, brisée, acceptant de se « vendre » par reconnaissance, mais aussi de tout lâcher par amour, c’est la belle réussite du film.

Almodovar est un génie quand il filme les gens « l’un derrière l’autre ». Je m’explique : Le politicien étreint sa femme de dos devant une immense nature morte aux pommes ou dans le dos de Lena fait semblant d’être mort pour découvrir sa réaction, son fils placé derrière Lena filme son visage par le biais d’un miroir, l’agent serre son fiston par derrière devant un évier, Lena derrière Matteo qui prend une photo le serre comme pour ne pas le perdre, Matteo derrière Lena en train de regarder un film… L’amour ici ne peut pas être dit frontalement, il est puissant, mais contrarié. Et la fin de l’amour de la même façon passe par un biais (sublime scène où Lena annonce à son mari, dans son dos, qu’elle le quitte, en faisant la voix d’une vidéo muette tournée par le fils).

Réflexion sur le regard, sur la projection (au propre et au figuré) de l’image qu’on se fait des autres (arghhhh les mains de Matteo sur l’écran où le visage de Lena apparaît), sur la mort de l’image/mort de l’amour, cri d’amour évident au cinéma (images du génériques de début, métamorphoses de Lena ,…) Étreintes brisées est sans doute le film le plus personnel et angoissé de son auteur, mais trop inégal pour être le chef d’oeuvre qu’on attend de lui : un toute petite dizaine de scènes sublimes noyées dans 2h de film corseté, c’est trop peu. A quand le prochain ?

Chronique film : La fille du RER

d’André Téchiné.

Toi aussi, joue : clique sur le morveux pour le faire tomber.

Voilà, c’est re-re-reconfirmé, Téchiné est bien le plus moderne des cinéastes français. Après les magnifiques Témoins, il filme un autre film complètement générationnel avec la Fille du RER. Prenant pour point de départ un fait divers (une jeune femme avait menti en affirmant avoir été victime d’une agression anti-sémite dans un RER), Téchiné s’intéresse en fait beaucoup plus au contexte, qu’au fait-divers. Jeanne est au chômage, elle habite en banlieue parisienne avec sa mère qui, pour arrondir ses fins de mois de veuve de militaire garde des enfants. Jeanne aime faire du roller, surtout avec la musique à fond sur les oreilles. Elle a fait des études de secrétaire, mais sa recherche de taf semble assez superficielle et les fautes d’orthographe de son CV ne plaident pas forcément en sa faveur. Jeanne est jolie, menteuse, soumise et à peu près aussi vide qu’une boîte de chocolats après Pâques. Quand elle tombe amoureuse d’un gars pas très net, elle ne se pose aucune question, acquiesce à tout avec une naïveté déconcertante.

Ce n’est clairement pas le fait-divers qui a passionné Téchiné, le déplaçant au dernier tiers du film, et en dénouant le « mystère » de manière très expéditive. C’est plutôt le portrait de Jeanne, de son comportement  comme un symbole d’une génération déconnectée du monde réel. Du passé lourd de sa famille (un père militaire, une mère trop belle) ancrée profondément dans la réalité (le père est mort, la mère doit garder des enfants dans son pavillon de banlieue pour arrondir sa retraite et entretenirJ eanne qui ne travaille pas), est née une fille qui n’appréhende un monde biaisé qu’au travers d’écrans (télé, ordi), mais préfère s’en couper quand elle y est immergé (le baladeur mp 3 vissé aux oreilles, la retraite avec son mec dans un garage vide).

Cette incapacité a être dans le monde, dans la vie, c’est aussi une incapacité à être maîtresse de sa vie. Et c’est sans doute plus pour réussir enfin à prendre le contrôle de quelque chose plutôt que pour attirer l’attention sur elle que Jeanne invente cette incongrue et vite démontée histoire d’agression. Le film n’est pourtant en aucun cas moralisateur ou passéiste, c’est un simple constat du monde dans lequel nous vivons. Jamais Téchiné ne porte un regard méprisant sur Jeanne, mais plutôt, il l’accompagne, il la rend parfaitement humaine, tourbillonne avec elle, il la comprend, il l’aime. Emilie Dequenne est absolument parfaite tour à tour rayonnante, fragile et opaque.

Sa crinière rousse au vent, volant sur ses rollers, elle restera l’image d’un film rapide, intense, passionnant. C’est beau.

Chronique film : Vengeance

de Johnnie To.


Plus beaucoup de tête, mais des grosses couilles.
C’est tout ce qu’il faut à Costello.
Pour agrandir, clique où tu imagines.

Pas de doute, Vengeance est 2000 fois plus drôle que Good Morning England, et ça, probablement sans le faire exprès. C’est balèze. Séance privée dans une salle immense, je pouvais me bidonner à volonté, c’était parfait. Sauf pour le cinéma qui devait bien se mordre les doigts d’avoir programmé le film qui attire visiblement peu les foules. Bref.

A Macau, une famille mixte (la femme est française et le mari chinois) se fait canarder avec leur enfants par des tueurs mystérieux. Sur son lit d’hôpital, la femme demande à son père de la venger. Le père c’est Hallyday. Français perdu dans Macau , il engage des tueurs croisés par un hasard tout à fait heureux pour retrouver les vilains méchants et les buter comme il se doit. Manque de bol, le papa gâteau perd la mémoire, du coup, c’est pas de la boule coco.

Je crois que vous l’avez compris, il serait vain de chercher quelque chose de très réaliste dans ce scénario rocambolesque, et c’est de plus en plus rocambolesque au fur et à mesure que le film se déroule. Bon, objectivement on s’en fout un peu que les revolvers puissent tirer 220 000 balles avec le même chargeur, et que les personnages soient touchés 40 fois avant de chanceler. Mais il faut avouer que c’est très drôle et j’ose espérer que le côté parodique est vraiment assumé par To. Je pense notamment à cette « bataille » finale, dans une décharge, hommage évident aux westerns de Leone, à ces multiples scènes d’action dans lesquels les héros prennent le temps de se faire une bouffe ou de se fumer une clope.

Reste que la mise en scène est très classieuse, avec quelques morceaux de bravoures qui font sautiller de joie dans son siège : une fusillade au clair de lune, un Johnny tout perdu sur une plage, entouré d’enfants, ou une cravate qui se soulève dans le vent dénonçant le vilain méchant. Parlons-en de Johnny d’ailleurs. Il oscille entre ridicule et belle présence : pas bon quand il a des lignes de textes (surtout en français, en anglais, la maladresse passe plutôt mieux), ou quand il boit à la bouteille avec ses grosses gonflées pas très naturellement, plutôt meilleur quand To en fait une silhouette, un archétype du film noir, et franchement émouvant dans la dernière scène avec son grand rire, le premier du film. Il est finalement à l’image du film : un truc assez inclassable, mélange de polar de bonne tenue, de western urbain et de série Z Hong-Kongaise.

Du pur divertissement, qui réussit bien son coup.

Chronique film : OSS 117 : Rio ne répond plus

de Michel Hazanavicius.


Contrairement à OSS, tout est bon dans le cochon. Clique là où c’est le meilleur.

Le plus brillant agent secret français est envoyé à Rio pour récupérer un microfilm, en échange d’une mallette de pépettes. Une mission en apparence un peu trop facile pour notre héros, qui s’imagine déjà prendre des vacances-bikinis.

Reprenant les recettes qui avaient fait le succès et la réussite du premier OSS 117, Hazanavicius nous donne un spectacle tout à fait honorable. Si l’effet de surprise est passé et rend du coup le spectateur un peu plus averti du processus, et plus critique, le film réussit cependant ce pour quoi il a été réalisé : faire rire. C’est peut-être un peu plus poussif que dans le premier volet, et un peu moins fin, cependant l’humour plus noir et culotté fait vraiment mouche : OSS est de plus en plus beauf et raciste, et Dujardin sort quelques monstruosités avec un immonde flegme bien franchouillard. Il s’en sort d’ailleurs toujours pas mal, et le voir en train de dépecer un énorme crocodile sur une broche est un assez grand moment.

Mais ce qui remporte surtout l’adhésion dans ce film, c’est son final, à la fois dérangeant (la tirade du Marchand du Venise clamée par un nazi), et majestueux pour son hommage au grand Hitchcock (Vertigo et surtout l’immense scène de Saboteur). On reste du côté de la parodie, mais avec tout le respect et l’admiration qu’Hazanavicius voue au maître, et au final c’est assez classe. Bref un très bon moment, qui passe très vite, et qui divertit intelligemment.