Chronique film : Camille redouble

de Noémie Lvovsky.

Noémie Lvovsky, je l’adorais comme actrice (entre la mère maquerelle de l’Apollonide, et la mère tout court des Beaux gosses), mais n’avais jamais vu ses mises en scène. Camille redouble est à l’image de sa réalisatrice lorsqu’elle joue la comédie : subtile, drôle, émouvante.

Camille est une quarantenaire alcoolique et mal dans son boulot. Elle cachetonne difficilement dans des séries Z. Alors quand son mari la quitte pour une jeunesse, c’est toute sa vie qui se brise, et même les efforts de son adolescente de fille ne réussissent pas à la sortir du trou. Et puis un soir de nouvel an, fort arrosé, la voilà replongée dans son adolescence : elle a 16 ans, ses parents sont encore en vie et ont bien l’intention de la faire retourner au lycée. Bref, un vrai voyage dans le temps, l’année où tout s’est joué : la mort de sa mère, son goût pour l’alcool, la rencontre avec son mari, et la conception de sa fille.

Sur le thème déjà connu du voyage dans le temps, Noémie Lvovsky imprime sa marque. Elle est Camille aujourd’hui, elle est aussi Camille hier (tout comme son mari), avec sa tête de femme qui a déjà bien vécu, et se retrouve parachutée au milieu d’ados de 16 ans, boutons et appareils dentaires inclus. Évidemment, de la différence d’âge naît une kyrielle de situations plus cocasses les unes que les autres. On rit donc beaucoup, souvent et longtemps. Mais c’est surtout par l’absolue finesse de son écriture et de sa mise en scène que Camille redouble bouleverse.

Le moindre détail de scénario est ciselé, et ce retour dans le passé donne lieu à nombre de scènes touchantes et réalisées avec une très grande délicatesse. Camille hantée dans le présent par le souvenir de la voix de sa mère s’empresse alors de l’enregistrer sur son magnétophone. Le professeur à qui elle confie l’enregistrement attendra finalement vingt-cinq ans, amoureux transi figé dans le temps… Le film regorge de ces petits moments juste bouleversants, discrets, mais aussi romantiques à mort.

On admire aussi la distribution et la direction d’acteurs, mention spéciale à la bande de copines et ses trois nénettes juste incroyables. Et puis revoir Jean-Pierre Léaud en maître du temps, c’est aussi pour le spectateur un véritable voyage dans l’histoire du cinéma, et c’est donc forcément magique. Encore donc toute retournée par Camille redouble, presque une semaine après l’avoir découvert. Un de mes plus jolis moments de cinéma de cette année. (Et gageons qu’après ce périple, Camille arrivera enfin à faire le deuil de sa mère et à avoir une vie heureuse. Mais là, j’extrapole.)

Chronique film : Jane Eyre

de Cary Fukunaga.

Pas grand chose à dire de cette adaptation de l’inusable roman de Charlotte Brontë. Tout l’intérêt du film réside dans ses deux acteurs, magnifiques et frémissants, la douce et résolue Mia Wasikowska et le brûlant et torturé Michael Fassbender (torride même avec une idiote mèche gras-mouillé sur le front).

La mise en scène de Cary Fukunaga n’a rien de révolutionnaire, mais son académisme sur fond de bruyère et de manoir hanté passe plutôt bien, réussissant à maintenir une assez belle tension. On ne s’ennuie pas, tout ça est très joli, et plutôt mieux, si mes souvenirs sont bons, que la fade version de Zeffirelli. Pour ne rien vous cacher, j’ai pleuré comme un saule, mais j’étais d’humeur pour.

Chronique film : Killer Joe

de William Friedkin.

Après le fabuleux Bug, William Friedkin nous propose un film complètement différent, assez difficile à qualifier.

Soit une famille, le père Ansel, son fils Chris, sa fille Dottie, le chien (Shut up, T-Bone !) et la belle-mère Sharla. Ansel, proche de l’homme de Néanderthal n’a jamais d’idée sur rien, tandis que Chris a des idées sur tout, mais qui sont toutes mauvaises. Par exemple tuer sa mère pour toucher son assurance-vie. C’est un peu radical, mais tout le monde est d’accord, y compris Dottie, Lolita ambiguë, toute en rondeurs et fausse innocence. Ils embauchent un policier véreux, Joe, pour accomplir cette mission, mais n’ayant pas un sou devant l’autre, lui donne Dottie comme caution. Encore une idée qui va se révéler très très mauvaise.

Ce qu’on retient avant tout dans ce film, c’est l’incroyable performance de Matthew McConaughey. Il est vraiment énorme, opaque, dangereux. Le duo improbable qu’il forme avec Dottie, la poupée Juno Temple, vraiment bien aussi, donne lieu à des scènes d’anthologie, dont une scène de strip-tease pour le moins tendue. La mise en scène de Friedkin, tout en évitant tout bon goût, est totalement implacable. Que Joe pose avec minutie ses instruments sur une table ou que Dottie esquisse quelques maladroits pas de danse, on tremble. Et on suffoque lors d’une scène éprouvante à base de pilon de poulet (non mais il faut le voir pour comprendre).

C’est hyper violent, hyper trash, à la fois dans les actes et dans le portrait de l’Amérique que dresse Friedkin. Un film impressionnant de maîtrise, à la nuance près du final qui tourne au grand guignol. Mais sinon, chapeau.

Chronique film : The We and the I

de Michel Gondry.

Gros coup de coeur pour le film de Michel Gondry au titre excellentissime. Il part d’un dispositif simple comme le jour, pour nous proposer une réflexion sur la communauté et l’individu (The We and the I donc), rien que ça.

Le dernier jour de l’année scolaire, la sortie d’un lycée du Bronx. Une tripotée d’adolescents s’engouffre dans le bus municipal qui va les ramener chez eux, la caméra filme et le bus progressivement se vide. Il y a les terreurs, qui font chier tout le monde, les hystériques et les taciturnes. Les artistes et les grandes gueules. Les gros et les maigres.

Débarrassé de ses flonflons surnuméraires, Michel Gondry filme ces gamins, leurs rapports de force, leurs comportements, mais aussi leurs petites histoires. Le réalisateur montre tout ça avec une justesse pas possible, complètement débarrassé de tout cliché potentiel. Sa caméra, dynamique, semble capter les flux d’énergie qui circulent là-dedans. Ça fuse, ça vit, ça bouillonne. Aucun angélisme, certains des gamins sont des vrais connards (la première partie s’appelle ainsi “The bullies”), d’autres complètement paumés, agaçants ou attendrissants. Et plus le bus le vide, plus les relations entre les mômes se modifient, les rapports de force changent, mutent. L’effet de groupe se dissipe progressivement, et les personnalités se révèlent, avec leurs histoires, leurs individualités. Le film devient alors vraiment touchant, profond (magnifique scène où toute la famille Chen sort du bus précipitamment sans donner aucune explication sous le regard médusé des lycéens restant).

Michel Gondry utilise avec un talent immense la culture “portable” des lycéens. D’une vidéo qui circule de téléphone en téléphone, et c’est toute la hiérarchie du groupe qui se révèle. Et chaque anecdote racontée par les lycéens se voit illustrée, façon YouTube, pour le coup de manière très Gondrienne. Ce sont des petites touches, et ça cimente tout le film.

Scénarisé juste comme il faut (et vraiment très bien), interprété magistralement par une bande d’ados du Bronx, The We and the I est définitivement un gros gros coup de coeur. Et un grand film, oui.

Chronique film : Laurence anyways

de Xavier Dolan.

Voilà un film dont je n’attendais pas grand chose, et qui m’a finalement tout à fait cueillie. Laurence est un professeur installé, en couple avec Fred, une femme fantasque (merveilleuse Suzanne Clément). Jusqu’au jour où il avoue à cette dernière qu’il s’est toujours senti femme et qu’il va le devenir. Plus que la transformation de Laurence, le film raconte son histoire d’amour avec Fred, passionnelle, fusionnelle mais mise à mal par cette décision de devenir femme.

Le film est très long, bien trop long (2h45), et manque furieusement de rythme. Toutes les critiques qu’on a pu entendre ne sont pas sans fondement : film de petit malin, tapageur, kitsch, crâneur à mort. Et pourtant, il y a une énergie là-dedans, une sincérité, qui réussit finalement à remporter le bout de gras. J’ai aimé cette façon très libre que Xavier Dolan a de raconter son histoire. On sent qu’il fait ce dont il a envie, en se foutant des conventions, sans aucune inhibition. Ca rate beaucoup, et puis de temps en temps, ça fonctionne vraiment bien, et Xavier Dolan réussit à atteindre quelque chose de très sensible. Ce romantisme échevelé, à la fois maladroit et déchirant (comme d’ailleurs l’est le personnage de Laurence) a complètement renversé mon coeur de midinette. Et il a suffi d’une brique rose peinte sur un mur pour déclencher la pompe à larmes. Bancal mais touchant.