Chronique film : To Rome with love

de Woody Allen.


Pas grand chose à raconter sur ce tout petit Woody. On s’y ennuie cependant beaucoup moins qu’à Minuit à Paris. Ici pas de grande ambition, on suit plusieurs historiettes sous le ciel de Rome, assez bien filmée. La distribution est dans l’ensemble séduisante, et met beaucoup d’énergie à faire passer les dialogues globalement assez ternes.

C’est sans doute cette distribution qui permet au film de gagner un certain coefficient de sympathie. On est notamment très content de retrouver Jesse Eisenberg, découvert dans The social network, et qui s’en sort bien en substitut de Woody jeune, et Penélope Cruz, toujours belle à se damner, nous replonge un temps dans le charmant Vicky Cristina Barcelona.

Alors évidemment, il y a un gag absolument inénarrable, et qui constitue une raison suffisante pour aller voir le film. Il s’agit d’un ténor et d’une douche, mais je ne vous en dirai pas plus. Et puis, tout de même, on devine que Woody Allen se sent vieillir. Volonté de revivre des amours de jeunesse (l’histoire avec Jesse Eisenberg justement), réflexion sur sa carrière, la célébrité, la recherche d’un absolu qu’il n’atteindra jamais, les thèmes brassés par To Rome with love sont nombreux, sans doute trop, et donnent un peu de substance à ce film évidemment très mineur, mais tout de même bien sympathique.

Chronique film : Holy Motors

de Leos Carax.

Après un prologue magnifique (ah oui, vraiment) mais un peu obscure, dans lequel Leos Carax se met en scène, nous assistons à une journée dans la vie de M. Oscar. M. Oscar monte dans une grande limousine tout droit sortie de Cosmopolis, conduite par la magnifique et impériale Edith Scob. M. Oscar effectue des missions, acteur, intérimaire de luxe, on ne sait pas trop, mais dans la loge que constitue l’habitacle de sa limousine, il se grime, se prépare à jouer de multiples personnages aussi divers qu’une vieille mendiante, un ponte de la finance, un papa ambigu, une petite frappe, comédien de motion capture…

Le film est donc constitué d’une succession de scènes, une pour chaque rendez-vous, liées entre elles par les voyages en limousine amenant M. Oscar à son prochain arrêt. Difficile de parler de ce film, puisque l’expérience est essentiellement visuelle, et si le film raconte beaucoup de choses, on a surtout envie de garder ses images, magnifiquement belles ou choquantes, dans la tête.

Holy Motors est à la fois un hommage au cinéma, ce qui est très beau, et l’ange annonciateur de la mort du cinéma, ce qui ne m’a pas totalement convaincu. Chaque rendez-vous donne lieu à une scène “de genre” : drame psychologique, polar, comédie musicale, mélo, tout y passe. Visuellement, c’est passionnant, et le côté “boîte de chocolats, on ne sait pas sur lequel on va tomber” est particulièrement réjouissant. Il y a quelque chose de ludique dans cette démarche, mise en place comme hommage absolu au cinéma, sous toutes ses formes, dans tout son éclectisme.

Difficile de dégager une scène en particulier, elles sont toutes intéressantes, certaines vraiment très émouvantes (la mort de l’oncle, la Samaritaine), d’autres perturbantes (la papa et sa fille, le cimetière), ou drôles et fascinantes (la motion-capture, la famille)… Les trajets en limousine, à la fois loge et tombeau, sont l’occasion pour M. Oscar de tomber le masque.

Et notre héros est fatigué, il semble manquer d’entrain, il semble avoir perdu son “holy motor”, ce qui le meut, ce qui le fait avancer. Pourquoi ? C’est là que le film m’a le moins convaincu. M. Oscar semble regretter les évolutions technologiques, dans lesquels il voit la mort du cinéma. L’épilogue a un arrière -goût de passéisme âcre. Un comble quand on sait que le film a été tourné… en numérique, car moins cher. A croire que les évolutions technologiques peuvent tout de même parfois avoir du bon.

Pour finir, on peut aussi souligner la qualité de la bande-son, navigant entre Chostakovich et le trop rare Gérard Manset. Objet cinématographique étrange et perturbant, Holy Motors est sans aucun doute un des films de l’année. Pas vraiment le même style que Le Grand Soir par exemple, mais qu’on aime ou qu’on n’aime pas, voilà deux films devant lesquels on se dit, voilà, c’est ça, ça c’est du Cinéma.

PS : 501ème chronique Cinéma/Livres/Théâtre confondus… et je n’ai pas encore réussi à saouler tout le monde… mais presque. Merci à ceux qui restent !

Chronique film : Summertime

de Matthew Gordon.

Après le bourbeux Faust de Sokourov, Summertime est une véritable bouffée d’oxygène. Modeste film, Summertime (The Dynamiter en V.O. no comment) séduit par sa simplicité, son évidence. Matthew Gordon nous raconte l’été des 14 ans de Robbie, un adolescent vivant avec son jeune demi-frère et sa canonique grand-mère. La mère est partie, le frère aîné, ancienne star du foot, ne revient que quand il se fait expulser de chez lui. Robbie, malgré ses 14 ans, et sa tendance au vol, prend cahin caha en charge tout ce petit monde.

Rien de tapageur dans ce très joli film, qui a rendu liquide tous les spectateurs de la salle. Matthew Gordon filme ses personnages avec beaucoup d’attention, à hauteur d’adolescent. Il a situé son récit dans le Mississippi, un des états les plus déshérités des Etats-Unis. Dans la famille, il n’y a d’ailleurs pas un sou. Robbie pique un peu, ici ou là, pas méchamment, juste pour faire plaisir à son frère. Il se fait prendre à chaque fois. Mais pourtant Summertime n’a rien d’un film social, Mathew Gordon a juste envie de nous raconter son histoire. Le proviseur, après avoir surpris Robbie en train de piquer lui propose un marché : une dissertation à rédiger pendant les vacances contre son silence. Ce beau geste, le premier d’un petite série, permet à Robbie de mûrir, prendre ses responsabilités.

La caméra est pleine d’attention pour ses personnages, collée aux basques de Robbie, attentive au moindre frémissement, des émotions et des corps. Des corps comme partie intégrante de la nature moite et lumineuse du Mississippi. Matthew Gordon réussit tout ça mine de rien, en douceur mais sans angélisme ni afféterie superflue. Robbie prendra des décisions douloureuses, courageuses qui feront de lui un homme, et le spectateur lui prendra son mouchoir, pas parce que c’est triste, mais juste parce que c’est beau.

Chronique film : Faust

d’Alexandr Sokurov.

Autant vous le dire tout de suite, Faust constitue sans doute ma pire expérience de cinéma. Une très longue et très douloureuse agonie de 2h15. Je n’ai pas souffert aussi dans une salle depuis [Rec]. Alors pourquoi une expérience physiquement autant éprouvante ? un rejet aussi total de ce film ?

La première explication qui me vient à l’esprit, c’est cette esthétique hideuse. Certes on dirait parfois du Rembrandt, mais passé à la sauce Instagram : filtres verdâtres, distorsion, ou “effet Orton”, tout est d’une laideur absolue, et ce n’est pas tant le contenu des images (pourtant parfois peu ragoûtant) que cette artificialité totale et prétentieuse qui soulève le coeur. On pense souvent à Lars Von Trier, Melancholia pour l’esthétique, et l’Hôpital et ses fantômes, pour la créature diabolique et déformée. Mais là où le maître Trier atteint le génie pur (rien de gratuit dans ce qu’il fait), Sokurov s’amuse à changer ses filtres, sans trop savoir où tout cela va le mener (nulle part ?). Même les rares belles images du film se retrouvent ensevelies dans tout ce fatras photographique (le chef-op est celui d’Amélie Poulain, ai-je besoin d’en dire plus?). Bref, c’est kitsch, moche et franchement désuet, et non, on n’est pas obligé de filmer flou et tordu un personnage pour signifier le trouble de celui-ci.

Par ailleurs, le film a un côté complètement hystérique à la Fellini : personnages toujours en mouvement, maladroit jeu des corps, et surtout ces dialogues incessants post-synchronisés qui tombent à côté deux fois sur trois. Ce parti-pris rajoute au caractère artificiel du film. Imaginez Il Bidone, en costumes XIXème, filtré photoshop, et doublé en allemand. Oui, je sais ça fait peur, et bien c’est dans ce cauchemar que m’a plongé Faust. Sur la fin du film, le réalisateur se met à lorgner du côté de Murnau et Le Seigneur des Anneaux, créatures pas belles, parcours initiatique dans des montagnes sombres… On ne lui en veut pas trop, in extremis, ça arrache un sourire (mais était-ce vraiment le but ?).

Alors après tout ça, vous expliquer ce que le film raconte, sa portée philosophique, sa puissance métaphorique, vous comprendrez bien que j’en suis incapable. Faust m’est tellement tombé des yeux, physiquement malmenée par l’image et les dialogues, que j’avoue donc être complètement passée à côté de ce film salué par une critique énamourée et quasiment unanime. En ce qui me concerne, je vais peut-être me mettre un DVD de Depardon, ça va me laver le corps et l’esprit.

Chronique film : Journal de France

de Raymond Depardon et Claudine Nougaret.

Autant vous le dire tout de suite, les films de Raymond Depardon sont généralement des chocs pour moi, dont je mets plusieurs mois, voire plusieurs années à m’en remettre. Et encore, pas systématiquement, puisque je ne suis toujours pas remise de La vie moderne, qui est, je crois que tout le monde sera d’accord, le plus beau film du monde. C’est donc avec impatience mais aussi angoisse (vais-je passer toute la séance à chialer comme un veau ?) que je suis allée voir Journal de France.

Mes angoisses se sont envolées, non, le choc émotionnel de Journal de France n’est pas trop violent, et cette balade dans l’oeuvre du maître titille plus la curiosité pour l’ensemble de son oeuvre que la corde sensible. Grâce à des “chutes” de ses films non montés, Claudine Nougaret et Raymond Depardon ont reconstitué la carrière cinématographique de ce dernier (ou ces derniers), depuis ses premiers essais dans Paris, jusqu’au troisième volet de Profils paysans, tout en entrecoupant les archives de quelques plans sur Raymond Depardon photographiant la France. N’ayant pas vu toute sa filmographie, je pense être parfois passée à côté de certains extraits. Mais la plupart de ces inédits sont absolument fabuleux, révoltants (les mercenaires belges au Biafra, le flic qui raconte à ses collègues son pendu du matin…), ou particulièrement touchants (les plans sur Depardon lui-même quand il photographie la France, et qu’il se livre un peu, comme cette mélancolie au soleil couchant).

Il y a toujours une simplicité (ultra-travaillée), une frontalité, une absence d’intellectualisme dans le travail de Depardon, qui permettent d’atteindre quelque chose de très brut, de très pur. Malgré toute la subjectivité et le travail du regard, on ne peut s’empêcher de penser que le cinéaste réussit à toucher du doigt un petit bout de vérité. En tous cas, sa façon de nous montrer les choses entre très clairement en résonance avec ma façon de les recevoir.

J’avoue avoir été moins touchée par la présence (voix-off un peu maladroite, images d’archives privées) de Claudine Nougaret dans le film. Bien sûr, on comprend aisément l’importance pour elle de cet hommage au travail de son homme et à son homme lui-même, ainsi que son besoin de reconnaissance après toutes ces années passées dans l’ombre. Mais cette incursion dans la vie intime du couple, même si elle est belle et fait rêver (le coup de foudre tout ça…) m’a inexplicablement un peu gêné. Tout comme le curieux enrobage de musique qui plombe un peu le film.

Rien, bien entendu, de rédhibitoire. Journal de France est un bel hommage de Raymond Depardon pour Claudine Nougaret, et réciproquement. Un film plein d’amour, qui donne envie (si besoin en était) de replonger dans la filmographie et le travail photographique de ce très grand bonhomme. What else?