Chronique livre : L’Aliéniste

de Caleb Carr.

Pas grand chose à raconter sur ce polar de plutôt bonne facture. L’Aliéniste nous plonge dans le New York de 1896, à la poursuite d’un tueur en série qui zigouille méchamment les petits nenfants immigrés et travestis. Les méthodes d’investigations en sont à leurs balbutiements, la police scientifique peine à faire entendre sa voix (les empreintes digitales ne sont pas encore reconnues comme des preuves scientifiquement valables), et un psychiatre tente de « profiler », comme on dit maintenant, le tueur, bourreau, mais également victime d’une enfance dévastatrice. Ça se lit bien, ça divertit sans trop abrutir. On ne pouvait pas en attendre beaucoup plus.

Chronique livre : Kafka sur le rivage

de Haruki Murakami.

Mon chef-conseiller m’ayant fourré d’office Kafka sur le rivage dans les mains, c’est avec délectation que j’ai entamé cette pavasse japonaise à la couverture énigmatique, et au titre bizarre. Le style, ou plutôt l’absence de style, cette neutralité maladroite de l’écriture gène un peu, sans doute liée à la traduction, sans doute pas. Les dialogues sonnent faux comme dans tout bon téléfilm, et cette platitude entraîne un manque de relief, qui berce et agace tour à tour.

Kafka Tamura, un jeune garçon de quinze ans, fugue du domicile paternel pour échapper à une malédiction funeste, Nakata, un ancêtre sachant causer aux chats*, est obligé de fuir Tokyo, poussé par une mystérieuse force qui l’attire. Les trajectoires se croiseront, forcément, après moult péripéties incongrues, et délires mystiques.

Mondes parallèles, interférences temporelles, pour qui a lu un tout petit peu de SF et de fantaisie, Murakami a l’imagination d’une huître, et ses rebondissements semblent bien maigrichons. Bourré de références littéraires, picturales, spirituelles, le livre tourne parfois au catalogue, tant on sent le maître désireux d’étaler sa science, sous couvert de romanesque. Kafka sur le rivage apparaît alors légèrement pédant, manquant cruellement d’une quelconque sincérité, mais toujours très poli (on est au Japon, ne l’oublions pas). On se dit alors qu’on a probablement à faire à un grand roman ésotérique, philosophique, mystique, spirituel, bref nippon , mais sans jamais réussir à en tirer une quelconque substance un petit peu bouleversante (je manque certainement de finesse, notez).

Pourtant, ça se lit avec plaisir, ça se dévore même, soyons honnête, et le prochain Murakami qui me tombera dans les mains sera probablement englouti à la même vitesse. Certains passages sont plus réussis que d’autres, ceux qui parviennent à garder leur mystère, ceux dénués d’explications. En apparence assez épuré, Kafka… aurait mérité un peu moins de fioritures, et plus de vide. Voilà, c’est dit.

* répétez cette phrase 10 fois sans s’arrêter

Chronique livre : Cette Histoire-Là

d’Alessandro Baricco.

Cette histoire-là est sans doute le roman le plus accessible de Baricco. Alors qu’il me faut habituellement plusieurs tentatives pour réussir à pénétrer son univers, l’entrée est ici immédiate. Ou alors je m’habitue, sans doute. Ce nouveau roman, bien qu’un peu inégal, confirme que Baricco est un grand écrivain symphonique, capable d’appréhender le monde de manière holistique , d’en faire émerger les voix, parfois désaccordés, en un ensemble stupéfiant d’harmonie.

Il ne faut pas se fier à l’apparente simplicité du style, à sa quasi transparence. Les phrases au cordeau, d’une précision rythmique micrométrique, esquissent une partition complexe et polyphonique. Avec Ultimo, personnage central, on est plongé au coeur des fluides, des flux, des courbes, à la recherche d’une perfection futile et essentielle. Les trajectoires des personnages se croisent pour ne plus jamais se rejoindre, mais les liens demeurent intouchables. La grande luminosité du style ne masque cependant pas la dureté de certains passages, mais permet le jaillissement de ce qu’il y a de plus extraordinaire dans les choses, les faits et les êtres.

Cette amplitude, cette sublimation agace certains, je sais. Pourtant, c’est une manière de rendre la vie plus grande , plus belle, ou du moins, un peu plus supportable. La relative faiblesse de la troisième partie (le Mémorial), ne doit pas éclipser la grande beauté de la trajectoire d’Ultimo, son désir insensé de perfection, d’absolu. On devine derrière ce personnage, Baricco l’écrivain, chercheur infatigable des harmonies du monde.

Chronique livre : La Conjuration des imbéciles

de John Kennedy Toole

La Conjuration des imbéciles est un roman déjanté dont l’apparente légèreté masque mal une noirceur crasse, un sens de l’observation suraigu, et une clairvoyance des névroses humaines assez confondante. Galerie de personnages hilarants, tous plus fadas les uns que les autres, on passe du rire aux grincements de dents en un rien de temps.

Ignatius, universitaire doté du syndrome Tanguy, ainsi que d’une paranoïa hors-norme, est contraint de trouver un taf par sa mère, bonne femme trop poudrée, et adepte de la bouteille. Cette dernière, joue au bowling avec Santa, elle-même tante de l’agent de police Mancuso , contraint par sa hiérarchie d’appréhender un suspect, etc, etc. Les personnages se croisent et se recroisent dans un foisonnement très drôle, écheveau de folies et de mauvaise foi.

Il faut avouer que le bouquin (une bonne pavasse), est parfois exaspérant, car on retrouve des tares un peu trop présentes dans le quotidien, et qui deviennent limite supportables. La déconnexion du réel d’Ignatius en est l’exemple le plus flagrant. Entièrement enfermé dans ses certitudes et son monde paranoïde, il est ingérable , et les filaments de la raison ne peuvent pénétrer son esprit. Jamais sympathique du coup le gars, d’autant plus que l’auteur prend beaucoup de plaisir à nous exposer ses écrits, d’abord drôles tant ils sont absurdes, puis de plus en plus agaçants. Vous allez me dire, c’est le but. Mais c’est un peu long, il faut l’avouer.

Par contre, on attend avec impatience les apparitions de Miss Trixie , vieille bonne femme à qui on n’autorise pas de prendre sa retraite. Ses petits sommes incongrus, ses répliques décalées et son dentier plein de mordant sont les petites perles de ce bouquin improbable et très en avance sur son temps. Rédigé dans les années 60, mais seulement publié vingt ans plus tard, après le suicide de son auteur, La Conjuration des Imbéciles a largement semé ses graines dans la littérature et le cinéma contemporain.

Chronique livre : Harry Potter et les reliques de la mort

Harry Potter and the Deathly Hallows
de J. K. Rowling

Ça y est, après 10 ans tout juste de bons, loyaux et lucratifs services, Harry Potter a raccroché son chapeau pointu littéraire. Pour les grincheux, à défaut d’autres choses, on peut quand même lui reconnaître l’amélioration exponentielle du niveau d’anglais d’environ 200 000 ados français, de quoi redorer un peu l’image de la France à l’étranger en matière de qualités linguistiques.

L’ultime tome de l’heptalogie tient toutes ses promesses : attente, actions, mystères, révélations, doutes, certitudes … Il est assez incroyable que l’imagination fertile de J. K. Rowling, et sa plume taquine ne se soient pas écroulées face à un tel raz de marée. Il y a même une forme de modestie, un vrai respect du public dans ce 7ème tome. Les passages obligés sont présents, avec tous les ingrédients de la réussite, mais pourtant, il n’y a rien d’impersonnel, rien qui paraisse né d’un bouquin de cuisine.

Rowling en garde sous le pied, elle est dans son monde enchanté, et on sent cet univers bien réel pour elle. Son style, foisonnant, poétique et incroyablement riche en vocabulaire, transforme la lecture en un régal semé d’embûches. Elle a su de faire mûrir ses personnages, son style, ses histoires, et on imagine volontiers que malgré les millions de Livres engrangées, la pose du point final de la page 609 a dû être un déchirement.

Très bonne surprise donc, alors que je m’attendais, depuis le troisième tome, au dégonflement final du soufflé.