Chronique livre : Mosaïque de la pornographie

de Nancy Huston.

Et oui, comme l’audimat est au plancher en ce moment, il faut bien que je trouve des moyens avouables ou non, de contenter le public. Comme il était hors de question que je me dévêtisse (?), j’ai bien réfléchi et je me suis repliée sur quelque chose de pas trop racoleur, mais qui devrait pouvoir attirer le chaland baveux issu de recherches gogoliennes perverses (on a les lecteurs qu’on mérite hein).

Dans cette mosaïque qui porte bien son nom, Nancy Huston cherche à extirper de la littérature pornographique et érotique des motifs récurrents. Elle base sa réflexion générale sur une large palette d’oeuvres, et se sert comme exemple, ou le plus souvent comme contre-exemple d’un livre en particulier : la Vie d’une prostituée, d’une certaine Marie-Thérèse, qu’elle a par ailleurs rencontré.

Le style de Nancy Huston, comme dans ses romans, est des plus agréables, ce qui fait de la lecture de ce livre un moment agréable. Dans la panoplie de clichés mis à jour, on peut citer en vrac le mythe de la déchéance de la jeune fille innocente, orpheline de préférence, la volonté d’asservir la femme, et quelque part la mère, l’hermétique barrière entre la mère et la sexualité… Si l’analyse ne vole pas à des sommets vertigineux (mais le sujet s’y prêtait-il ?), Nancy Huston met le doigt sur l’incapacité de la pornographie à faire évoluer ses clichés. La pornographie est un domaine d’hommes, violent, qui nie les réels désirs des femmes, en leur prêtant des fantasmes purement masculins. L’altérité de la femme est trop étrangère, et donc menaçante pour qu’on la laisse vivre et s’épanouir en tant que telle.

Ce qui est surprenant, c’est que Nancy Huston se soit penchée sur ce sujet, alors que visiblement, elle s’y sent peu à l’aise. Elle essaie d’avoir un traitement le plus clinique possible, mais par delà l’argumentaire, on ressent un véritable dégoût (qu’on est d’ailleurs pas loin de partager à la fin du livre d’ailleurs). Essai intéressant et plaisant, Mosaïque de la pornographie pose la question de l’évolution possible d’un genre sclérosé par des clichés pluri-centenaires. Bien bien.

Chronique livre : La présence

de Jean-Pierre Ostende.


Un peu plus de présence, un clic sur la photo.

Voilà un machin assez curieux, qui se lit avec plaisir mais sans énorme passion non plus. Bergman, admirateur professionnel de métier, est envoyé par sa boîte, l’Explorateur Club, dans un château campagnard. Il doit effectuer une étude afin de transformer les lieux en un parc d’attraction. Mais peu à peu, les lieux, l’atmosphère, les histoires passées, la solitude semblent brouiller sa perception des choses, et le monde perd de sa consistance. Les frontières entre passé et présent deviennent poreuses, les objets acquièrent une présence particulière.

Roman poétique et absurde, La présence interroge. Des éléments éparses, distillés au compte-gouttes, créent un univers bancal, plein de courants d’air. Des nuées de mouches mortes, du lait renversé au sol, le journal intime d’une femme morte depuis des lustres, un jardin des horreurs à moitié détruit. L’histoire pourrait être morbide, elle est plutôt douce et brumeuse. On se pose des questions tout en étant un peu anesthésié, et en se laissant porter gentiment. C’est un peu ça le problème. Comme le héros, qui vit une espèce d’identification avec une des anciennes propriétaires du château bienheureuse, on se met à accepter tous ces éléments incongrus avec une certaine indifférence.

Le roman est pourtant riche et intelligent, avec des formules brillantes, et de vraies choses à dire (à la fin, on s’aperçoit qu’on est plutôt dans un futur proche que dans le présent, et que ce futur est assez glaçant), mais tout cela, finalement passe au second plan. On pense souvent à Murakami , bien sûr, en moins tenu, plus vaporeux. Pas entièrement convaincue, mais je serai curieuse de lire d’autres productions du gars.

On retiendra cependant cette phrase, empruntée à Hubert Lucot : « Pour vivre, survivre, il faut s’en foutre un peu. » Moi, perso, j’ai du mal.

Chronique livre : Oreille rouge

d’Eric Chevillard.


Clic sur l’oeil pour faire « Ouahhhhh ».

Un pur moment de bonheur que ce petit ouvrage, écrit par un véritable maître de la formule fine qui fait mouche (pour s’en convaincre, aller faire un tour ici, c’est un régal quotidien).

Oreille rouge est écrivain. Oh pas du style de Conrad, non, un écrivaillon casanier, mais fanfaron, qui parle plus qu’il n’écrit. Invité en résidence au Mali, il s’en flatte partout et à qui veut l’entendre, sans avoir l’intention d’y mettre les pieds. Mais voilà, à force de clamer partout qu’il sera sans doute en Afrique à ce moment là, il est pris au piège de sa vantardise, et se retrouve contraint à franchir la douane aéroportuaire. Son séjour au Mali est un condensé grinçant du comportement touristique de l’occidental moyen, qui a toujours l’impression de vivre intensément un pays, alors que, quoi qu’il fasse il ne fera qu’en frôler la surface. Pas par mauvaise intention. Oreille Rouge fait des efforts, mais, que voulez-vous, il n’est pas du Mali, il n’est pas d’Afrique, il n’est finalement que de chez lui, chez lui étant les 4 murs de son appartement.

L’écriture d’une incroyable concision, précision, humour fait merveille. C’est très drôle, mais on ne peut s’empêcher de tortiller sur sa chaise, un peu mal à l’aise, tellement, finalement on s’y retrouve dans ce type médiocre. On est tous comme ça, l’impression d’avoir vécu un pays du moment qu’on y a passé 3 jours. On se moque de lui quand il se fait balader par un gamin qui lui promet de l’emmener voir des hippopotames, ou quand il a l’impression de voir un lion bouffer une gazelle, alors que c’est un chien qui garde sa chèvre. Ses envolées lyriques pour son ode à l’Afrique s’arrêtent nettes dès le premier vers (« Affrique ! Afrique ! ») de manière grotesque. On rit. Jaune. Mais on rit franchement.

N’hésitez pas à vous plonger dans ce tout petit bouquin, dont chaque phrase signifie plus que tout ce qu’on pourrait écrire dessus.

A lire aussi, la parfaite critique du non moins parfait Gols ici.

Chronique livre : Madame, Monsieur, bonsoir…

de Patrick Le Bel (?).

Un peu curieux cet objet. Que la citadelle de la première chaîne francophone soit pourrie jusqu’à la moëlle, vendue à l’audimat, à Sarkozy et au fric, ça, on savait déjà, du moins on s’en doutait fortement. On en apprend par contre un peu plus sur les méthodes-maison, qui permettent de mettre de l’huile dans les rouages, et scotcher l’ensemble en un tout proche de l’explosion, mais qui n’explosera jamais. C’est sûr que quand on paye à prix d’or les secrétaires à ne rien branler, et les journalistes mis au placard à fermer leur gueule, ça incite à la boucler. L’argent, comme facteur de cohésion sociale. Je vous assure que parfois on regrette d’avoir fait des études.

Le livre est un patchwork d’anecdotes éparses, pas toujours bien agencées, bien articulées. J’avoue n’avoir pas tout suivi, ne connaissant pas les gens dont il s’agit, et n’ayant pas regarder le journal de TF1 depuis environ 20 ans. Du coup certaines scènes ont fait ploc dans ma tête. C’est mal fichu, et c’est en ça que c’est intéressant, car il y a une forme d’urgence derrière tout ça, d’exutoire maladroit. On aurait pu prendre ça pour un pétard mouillé, un canular, mais heureusement les réactions incroyables de la maison Bouygues nous prouvent fondamentalement le contraire (je vous conseille la lecture de l’article de Rue 89 sur le sujet). Leur indifférence aurait été un beau démenti, leur agitation ne fait qu’accroître les charges. Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’audimat.

Chronique livre : Dans le café de la jeunesse perdue

de Patrick Modiano.

Un peu bizarre de plonger dans ce court ouvrage après 5 énormes pavasses, mais on ne peut pas résister à l’appel du livre quand il est doté d’un titre si beau. Dans le café… passe comme un rêve, porté par une langue si simple et si belle, qu’elle flotte dans le crâne comme une douce mélodie.

Louki fréquente un café, peuplé d’une jeunesse perdue avant même d’avoir commencé à vivre. Plusieurs personnages se succèdent, dont elle-même, pour faire le portrait en creux de cette femme, ou plutôt les impressions qu’elle a laissé dans les mémoires des gens qui l’ont croisée. C’est très beau, d’autant plus que finalement, on n’apprend pas grand chose sur Louki, elle reste un mystère entier, fantôme de passage dans ce monde, pas vraiment dans la vie, en dehors.

Le livre offre alors le portrait d’une époque révolue, d’un temps passé. Pas de nostalgie ici, l’écriture de Modiano est finalement plus attachée aux êtres qu’aux saisons, et les saisons n’existent que par la présence des êtres. A savourer avec délicatesse.