Chronique livre : L’Amant de Lady Chatterley


de D. H. Lawrence

Quel beau livre que cet amant ! Du souffle, de la tendresse, des idées, du sexe, de l’amour aussi. Constance, une jeune écossaise plein d’éducation est mariée à un Lord anglais rendu paraplégique (et impuissant) par la guerre. Dévouée mais quelque peu titillée par ses hormones, elle tombe sous le charme mystérieux de Mellors, le garde-chasse de la propriété.

Le livre raconte l’apprentissage sensuel et sexuel, la naissance de l’amour entre ces deux êtres en apparence très opposés dans le contexte lourd de la décadence de l’Angleterre minière. Alors que le pays, rongé par l’industrialisation et la mécanisation des tâches et des êtres, Constance et Mellors apprennent à se découvrir à travers le sexe et la nature. C’est une éclosion, une naissance à la vie, à la sensualité.

Jamais livre n’aura établi un si juste parallèle entre un contexte historique et une histoire si intime. Hautement militant, farouchement anti-capitaliste, anti-industriel, conspuant le règne et l’argent et l’abrutissement qu’il induit chez les humains, L’Amant de Lady Chatterley prône un retour aux choses vraies, à l’adéquation avec la nature, avec notre nature animale d’êtres sensuels et sexuels. Tout cet éveil à la vie se déroule au fil des saisons, de la dépression hivernale, des premiers émois printaniers, du jaillissement estival, à la découverte finale de la grossesse. Dans un style unique, le livre distille remarques lapidaires et prophétiques sur l’humanité et sur l’Homme. Un classique, indispensable.

PS : le titre de se message revient à M. Onfray, il s’agit du sous-titre de sa Théorie du Corps Amoureux.

Chronique livre : De sang-froid

de Truman Capote

 

Un peu d’appréhension à me frotter à un tel classique, je vous avoue. La première fois que j’ai entendu parler de Capote (ou plutôt de Capoté !), c’est dans « Todo sobre mi madre » d’Almodovar, puis l’année dernière la sortie du film (que je n’ai pas encore vu). Résistant aux sirènes de la promotion et de l’actualité, je n’ai pas voulu lire de Sang-Froid… et puis au détour d’un changement de train un peu long, d’une gare un peu froide, d’un Relais H. accueillant, j’ai fini par succomber.

Agréable surprise de voir que le livre était dédicacé à Harper Lee, dont l’unique et délicieux roman « To kill a Mockingbird » (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur en VF… no comment), m’a fait verser un tombereau de larmes dans un train bondé (décidément, la majorité de mes lectures ont quelque chose à voir avec les gares et les chevaux de fer).

De Sang-froid est une roman, mais non une fiction. Basé sur un fait divers réel (deux petites frappes tuent gratuitement quatre membres d’une famille méthodiste respectée d’un bled du Kansas), et sur une enquête minutieuse, le bouquin frappe d’abord par son style. Détaché, infiniment ironique sans forcément en avoir l’air, très circonstancié, on est exposé aux faits, rien que les faits, détaillés, aux histoires de chacun, chacun à sa voix, sa liberté d’expression, son point de vue exprimé. On navigue constamment entre parcours de Perry et de Dick (les meurtriers), investigation du flic Dewey, avis divers et variés des différents habitants de Holcomb (le bled). C’est tout un univers qui est recréé par ce bouquet de voix.

Sans aucun mobile apparent (la famille est un « modèle », qui ne gardait jamais d’argent liquide at home), le quadruple meurtre est résolu par le cafardage d’un ex-codétenu de Dick. Perry et Dick sont arrêtés, après un périple parsemé de délits variés, jugés coupables et, après de longues années passées en prison, pendus.

L’apparente neutralité journalistique du ton n’est qu’un leurre. Mine de rien, à force de brosse à reluire, la famille massacrée en devient agaçante de perfection. Finalement peu intéressé par ces personnages, Capote a visiblement passé beaucoup plus de temps sur la personnalité des deux criminels, et surtout sur celle de Perry Smith. Né dans une famille de saltimbanques, malmené toute sa vie, difforme à la suite d’un accident, d’une intelligence assez vive, malgré le peu d’instruction », et surtout dénué de tout sens moral, Capote réussit à faire de lui un personnage totalement attachant, ambigu et mystérieux. On sent une réelle proximité entre l’écrivain et son sujet, assez troublante.

En conclusion, que dire ? un classique, à dévorer, évidemment.

Chronique livre : Loin d’Eux


 de Laurent Mauvignier

« … peut-être il était mort de tout ça, Luc, des mots enfouis. Peut-être pour ça, à cause de leur poids, que je n’aurais jamais de petit-fils. »

Luc, fils unique de Jean et Marthe, neveu de Gilbert et Geneviève, cousin de Céline, est parti de ce tout petit bout de province. D’abord spatialement pour rejoindre Paris et essayer de rencontrer ses rêves de 7ème art, puis, rattrapé par la banalité de sa vie et par cette ombre qui plane sur lui depuis toujours, définitivement. Il s’est donné la mort. Les voix familiales et intérieures se bousculent alors pour exprimer ce qui n’aurait jamais pu l’être autrement. Incompréhension, solitude, impossibilité de dire, de ressentir, de se projeter en l’autre. Barrières générationnelles qui ne tomberont jamais, qui finalement n’auraient sans doute jamais pu tomber.

Bouleversée de ces mots qui résonnent très fort à l’intérieur de soi, par la beauté fracassante de ces paroles inestimables. Et les larmes qui coulent sans qu’on s’en rende compte. Loin d’eux fait partie de ces rares livres qui pénètrent dans la tête, dans le cœur, qui s’insinue jusqu’à ce qu’on s’approprie ses pensées, ses sentiments, cette manière de le dire aussi si particulière, difficile au début, heurtée, bousculée. Ces phrases longues, ces phrases écrites comme on les pense mais qu’on ne les exprime jamais. Le style Mauvignier s’apprivoise pour petit à petit faire partie de soi, et rester quelque chose que l’on porte longtemps dans sa tête, son cœur et ses tripes.

Responsabilité, culpabilité, douleur, absence, l’intime le plus profond, parfois totalement indicible devient personnel, émotionnel, universel. On n’est pas ici dans les prises de tête franco-psychologico-masturbatoires, ni dans l’évocation de souvenirs liées à la première gorgée de cacao. Non. Ici, ce sont les plaies béantes ouvertes, l’urgence de dire tout ce qui a été tu pendant tellement de temps. Ici, il est question de survie. Et Luc, lui a voulu croire qu’on pouvait vivre, impossible de se résigner à ces gens qui survivent petitement, et qui voudraient qu’on fasse pareil. Luc est mort de ces silences, de ces choses impossibles à exprimer, de ce trop plein de mots qui ne sont jamais sortis.

Mais dans ces abîmes de douleur, il y a Céline, Céline et son envie de vivre, malgré tout.

A lire aussi : « Dans la foule » de Laurent Mauvignier, 2006. Critique golienne et inestimable ici.
A noter : très belle collection de poche des Editions de Minuit, Collection « Double ». Chapeau.

Chronique livre : Alamut

de Vladimir Bartol (1938)

Ce soir, j’ai envie de vous parler d’un livre que j’ai lu il y a plus d’un an : Alamut, de Valdimir Bartol. Ce roman aventuro-historico-philosophique est LE chef d’œuvre de la littérature slovène (ahhhh on fait moins les malins là hein). Et ce matin, en regardant les infos, la guerre au Liban et tout et tout, ce bouquin m’est revenu en pleine face, une évidence.

Vladimir Bartol est un obscure écrivain slovène né en 1903 à Trieste, et mort en 1967 à Ljubljana (oui oui ça existe). « Après avoir étudié à l’université de Ljubljana et à la Sorbonne, il servit dans l’armée et vécut en 1933-34 à Belgrade où il édita un hebdomadaire. Introducteur des théories de Freud dans la Yougoslavie d’avant la Seconde Guerre mondiale, féru de philosophie (il fut traducteur de Nietzsche) et de biologie (ses travaux sur les lépidoptères côtoient aujourd’hui ceux de Nabokov dans les bibliothèques universitaires), il se veut d’abord essayiste. » (je cite Wikipédia, mais en même temps, le Bartol, on n’en connaît pas grand-chose). Bon certes, il se veut essayiste mais Alamut reste une pavasse qui s’avale sans respirer.

En gros, ça se passe dans l’Iran de l’an Mil. Un jeune homme est envoyé dans une forteresse perdue dans la montagne (Alamut donc) pour devenir le soldat dévoué de Hassan Ibn Saba, le « Vieux de la Montagne », fanatique religieux chiite, voulant mener croisade (comment ça le terme est mal choisi ?) contre les turcs, musulmans eux aussi, mais à tendance sunnite (ah ben ouais hein, on n’est pas loin loin de la guerre de Clochers tout de même). Afin d’asservir ses ennemis, Hassan est relativement mal barré : pas d’armée, pas d’alliés, mais des idées ! Hassan a bien compris que pour mener une guerre impossible, il faut s’assurer de la fidélité absolue de ses soldats (fedayins). Alors pour les booster un chouille, il leur promet que, s’ils réussissent leur formation, ils auront droit à un bref séjour au Paradis (rien que ça !) avec nourriture céleste, vin et surtout jeunes vierges (mais habiles de leurs mains, et pas que des mains). Bref, à grand renfort de Haschich et de mise en scène digne de Chéreau, Hassan réussit son pari et crée une petite troupe d’Assassins (Haschichins en fait, petit minute culturelle), prête à mourir pour la cause (les précurseurs des attentats suicide, en gros). Il est malin Hassan quand même.

Alamut est un roman absolument fabuleux car il mêle aventures et réflexions profondes et prophétiques. Pas de démonstration magistrale ici, mais une façon de nous faire réfléchir sur la notion de foi, de religion, de pouvoir. Alamut est d’un cynisme crasse, désabusé, et traite avant tout de la religion en tant qu’instrument de pouvoir et de domination. La révélation de l’absence totale de foi d’Hassan, le soit-disant fanatique, est un moment ravageur et met en lumière toutes les illusions et manipulations entreprises afin d’asservir les peuples. C’est d’une modernité bluffante, et après l’avoir lu, on branche les infos, on écoute les horreurs du monde et on se dit « je comprends mieux maintenant… ». Des progrès dans l’humanité depuis 1000ans ? ouais, bof.

Photo issue d’ici

Chronique livre : Divers polars

Vous allez croire que je ne lis que ça, mais tant pis, je prends le risque ! Je n’ai pas envie de vous faire de très longues critiques de mes dernières lectures, mais juste un petit message pour vous parler en vitesse de mes quatre derniers coups de coeur en polar. Quatre polars, quatre styles totalement différents.

Tout d’abord, Droit de Traque d’Hubert Corbin (Livre de Poche). Un jeune délinquant noir se retrouve perdu au milieu de beaufs blancs et chasseurs de l’Ouest américain. Un crime est commis, il est un bouc émissaire idéal. Il réussit à s’échapper, et la traque commence. C’est trash, cruel, et haletant. Ca sent la sueur, la poussière et les instincts primitifs. Âmes sensibles s’abstenir !

Soul Circus, de George P. Pelecanos (Points) est une histoire très sombre dans le milieu des dealers des quartiers noirs de Washington. C’est un peu rugueux, pas forcément très facile d’accés. Mais passées les 30 premières pages, on se retrouve happé par ces multiples histoires, bousculé aussi, 95% des personnages sont noirs, et on n’a pas l’habitude, ça fait du bien !

Lincoln Lawyer (La Défense Lincoln) de Michael Connelly (Seuil)…Ahhhh Michael Connelly, un des rares auteurs dont j’ai lu tous les livres, dont j’attends avec impatience les nouveaux opus, bref, dont je suis accro ! Avec cette histoire, Connelly surprend et change de cap. A la place de ses héros récurrents habituels, on rencontre ici Mickey Haller, avocat frimeur, et à la moralité légère, qui se trouve pris dans une tourmente dont il se serait bien passé. C’est brillant, jouissif, bien écrit (en V.O. en tous cas). Bref, du grand Connelly. Si vous ne connaissez pas cet auteur, n’hésitez surtout pas à vous plonger dans son univers, de préférence dans l’ordre chronologique.

Last but not Least, Shutter Island de Dennis Lehane (Rivages/Noir). Alors là, j’en suis encore sans voix. Ca démarre comme un polar classique, qui lorgne vers l’ambiance d’un film d’horreur. Dans les années 50, deux marshals doivent enquêter dans une île-prison-hôpital-psychiatrique, sur la disparition mystérieuse d’une pensionnaire de l’établissement. Je n’en dirai pas plus, juste que le dénouement est un des plus incroyables et inattendus que j’ai jamais lus. D’habitude, j’ai pas mal d’intuition, mais là je me suis fait avoir comme une bleue ! Et pourtant, en y repensant… mais chuuuuut, je préfère que vous le lisiez !

A noter également que Michael Connelly et Dennis Lehane, ont tous les deux vu un de leurs ouvrages (Créance de Sang, et Mystic River) portés à l’écran… par Clint Eastwood ! Si ce n’est pas un gage de qualité ça !