Chronique film : La Vie des autres

(Das Leben der Anderen)  de Florian Henckel von Donnersmarck

Allemagne de l’Est, 1984, un implacable officier de la Stasi est chargé de surveiller un écrivain trop lisse pour être honnête et sa compagne, actrice. Alors que l’écrivain, vraiment dévoué au système, se subversifie à la suite du suicide d’un de ses amis metteur en scène, interdit de travailler par la Stasi, l’officier commence à couvrir les agissements de l’artiste.

Le film débute très bien, par une glaciale démonstration des méthodes de la Stasi. L’officier, le regard glacé, entre dans la vie du couple, en fantôme, espionnant le moindre de leurs mots et de leurs soupirs amoureux. La pourriture et la perversion du système de la RDA sont très bien et très vite décrites. L’image est pour le moins germanique, on reste en permanence dans des couleurs derrickiennes, qui ne sont pas fantastiques, mais collent assez bien au propos.

Le vrai problème de ce film est sa longueur. L’introduction est formidable, la fin est jolie, astucieuse et assez émouvante. Mais le développement est long, beaucoup trop long, alors qu’on comprend assez vite la progression psychologique des personnages, et les motivations de leurs actes (la prise de conscience de l’écrivain, la faiblesse psychologique de l’actrice accroc aux pilules, l’humanisation à risques de l’officier). Il en résulte en moyenne un film très honnête et pédagogique, aux acteurs compétents, mais j’avoue avoir du mal à comprendre le dithyrambique des critiques et l’essaim de prix récoltés au gré des festivals.

Chronique livre : Loin d’Eux


 de Laurent Mauvignier

« … peut-être il était mort de tout ça, Luc, des mots enfouis. Peut-être pour ça, à cause de leur poids, que je n’aurais jamais de petit-fils. »

Luc, fils unique de Jean et Marthe, neveu de Gilbert et Geneviève, cousin de Céline, est parti de ce tout petit bout de province. D’abord spatialement pour rejoindre Paris et essayer de rencontrer ses rêves de 7ème art, puis, rattrapé par la banalité de sa vie et par cette ombre qui plane sur lui depuis toujours, définitivement. Il s’est donné la mort. Les voix familiales et intérieures se bousculent alors pour exprimer ce qui n’aurait jamais pu l’être autrement. Incompréhension, solitude, impossibilité de dire, de ressentir, de se projeter en l’autre. Barrières générationnelles qui ne tomberont jamais, qui finalement n’auraient sans doute jamais pu tomber.

Bouleversée de ces mots qui résonnent très fort à l’intérieur de soi, par la beauté fracassante de ces paroles inestimables. Et les larmes qui coulent sans qu’on s’en rende compte. Loin d’eux fait partie de ces rares livres qui pénètrent dans la tête, dans le cœur, qui s’insinue jusqu’à ce qu’on s’approprie ses pensées, ses sentiments, cette manière de le dire aussi si particulière, difficile au début, heurtée, bousculée. Ces phrases longues, ces phrases écrites comme on les pense mais qu’on ne les exprime jamais. Le style Mauvignier s’apprivoise pour petit à petit faire partie de soi, et rester quelque chose que l’on porte longtemps dans sa tête, son cœur et ses tripes.

Responsabilité, culpabilité, douleur, absence, l’intime le plus profond, parfois totalement indicible devient personnel, émotionnel, universel. On n’est pas ici dans les prises de tête franco-psychologico-masturbatoires, ni dans l’évocation de souvenirs liées à la première gorgée de cacao. Non. Ici, ce sont les plaies béantes ouvertes, l’urgence de dire tout ce qui a été tu pendant tellement de temps. Ici, il est question de survie. Et Luc, lui a voulu croire qu’on pouvait vivre, impossible de se résigner à ces gens qui survivent petitement, et qui voudraient qu’on fasse pareil. Luc est mort de ces silences, de ces choses impossibles à exprimer, de ce trop plein de mots qui ne sont jamais sortis.

Mais dans ces abîmes de douleur, il y a Céline, Céline et son envie de vivre, malgré tout.

A lire aussi : « Dans la foule » de Laurent Mauvignier, 2006. Critique golienne et inestimable ici.
A noter : très belle collection de poche des Editions de Minuit, Collection « Double ». Chapeau.

Chronique film : Fur : un portrait imaginaire de Diane Arbus

de Steven Shainberg

On comprend aisément le fascinant de l’histoire de Diane Arbus, grande photographe du XXème siècle. Née dans les années 20, Diane Arbus, issue d’une « bonne famille », se marie avec un photographe et devient son assistante dévouée. Peu à peu le vernis craque et Diane s’émancipe pour devenir photographe à part entière.

Portraitiste de l’étrange, des géants, aux nains, en passant par les siamoises, bref, toutes sortes de « freaks » (elle avait même le chic pour freakiser les non-freaks), son oeuvre dresse un tableau surprenant et vaguement inquiétant des Etats-Unis dans les années 60. Dépressive, elle se suicide en 1971.


Fur n’est pas un film biographique au sens propre du terme, mais le pari (osé), de reconstituer, à partir de l’univers artistique de Diane Arbus, le passage de la femme au foyer parfaite, à l’artiste émancipée assumant pleinement son attirance pour le hors-norme.

Là où le bât blesse, c’est dans l’interprétation chichiteuse et fadasse de Nicole Kidman : les yeux mentholés en permanence, le souffle bruyant d’émotion dans 95% des scènes, elle est en totale roue libre, et rend peu crédibles les pulsions, exhibitionnistes, sexuelles, masochistes, macabres de cette femme. C’est dommage, le scénario, assez malin, nous donne beaucoup d’éléments pour rentrer dans cet univers, malgré une surenchère d’étrangetés loin d’être nécessaire.

La photo, assez jolie parvient à créer une ambiance agréable à l’oeil, ce qui n’est pas déplaisant. Mais bon, il faut le dire, le film est quand même assez raté, pas assez sombre, un peu superficiel, un peu long… Reste qu’on ne s’ennuie pas, et qu’on en sort avec l’envie d’en connaître un peu plus sur cette étrange artiste. Un bon film du dimanche soir.. tiens, ça tombe bien, on est dimanche soir !

(A voir aussi par tous les compléxés de la pilosité)
(Et oui, messieurs, on la voit à poil)

Chronique film : The Last Show ( A Prairie Home Companion )

de Robert Altman

C’est avec un pincement au cœur que je me suis dirigée vers le cinéma ce soir. Ben oui, voir le dernier Altman, c’est quelque part réalisé qu’il n’y en aura plus d’autre (vu le retard altmannien que j’ai, y’a de la marge, ok, mais quand même…). C’est donc toute attendrie que je me suis installée dans la salle, je n’ai même pas gueulé contre le géant qui s’est assis devant moi alors qu’il n’y avait encore personne, et me suis contentée de changer de siège.

Bref. Commençons par le commencement : le titre. Je faisais remarquer la semaine dernière la futilité de la traduction de « The departed » en « Les infiltrés ». Cette semaine, je m’insurge ! Le distributeur (?) a réussi à traduire le titre américain « A Prairie Home Companion » en… un autre titre américain, plus bateau tu meurs « The Last Show »… bon j’avoue que là, la logique m’échappe totalement.

 

« A Prairie Home Companion » (APHC pour les intimes) est le nom d’une émission culte et kitsch de la radio américaine. Se déroulant en public, elle présente en direct, et devant des millions d’auditeurs chansons country, et pubs pour du ruban adhésif. Altman et Garrison Keillor (le vrai présentateur de l’émission) ont scénarisé une fausse dernière émission. APHC mêle vrais protagonistes de l’émission et acteurs chevronnés et brillants.

On connaît depuis longtemps le goût d’Altman pour les films choral, géniaux (Short Cuts, Gosford Park) ou assez ratés (Company). Dès le début de APHC, on est plongé dans l’effervescence des coulisses avant le début de l’émission. La caméra passe de l’un à l’autre, souvenirs épars, papotages, arrivée des artistes, et sur tout ça, l’ombre d’une rumeur « ce serait la dernière émission »… Puis l’émission commence, et les choses se calment, les chanteurs attendent, aiment, bavardent.

C’est beau et c’est tendre, intime comme pas possible. La mise en scène est classe et discrète, avec un sens du cadre qui ravit l’œil, et une photo dans les tons bruns qui est magnifique. Les décors sont vraiment réussis, impressions de vécu, photos jaunies aux murs, un voile qui vole devant un ventilo…mille petits détails inutiles donc indispensables.

APHC est un film qui déborde de tendresse, regard tendre sur ces personnages et sur des acteurs en état de grâce. Kevin Kline est inimitable en détective grotesque et gaffeur, mais au sens du rattrapage certain, Meryl Streep a l’œil humide en permanence et tchache sans arrêt sans que ça n’intéresse personne, et son duo avec Lily Tomlin restera dans les annales. Citons également le duo Woody Harrelson et John C. Reilly (transfuge de Paul Thomas Anderson) en cow-boys branques (lefty et dusty qu’ils s’appellent), qui balancent des blagues ras les pâquerettes, au grand dam du réalisateur, et à la grande joie du bruiteur qui accompagne tout ça de manière suggestive.

A noter que Paul Thomas Anderson, autre maître du film choral (ahhh Magnolia) a assuré le suivi du tournage en cas de défaillance d’Altman…il s’en est fallu de peu. Alors oui, le film est peut-être un tout petit peu trop long, oui il ne faut pas être allergique à la country (au bout d’une heure quarante Altman lui-même a du en avoir ras le bol, il a mis du jazz au générique de fin), mais il reste un film vivant, très joli, très doux. Beau testament pour ce grand monsieur du cinéma.

Chronique film : Les infiltrés (The Departed)

de Martin Scorsese

Après une matinée pour le moins sanguinolente (Uma Thurman voulait dézinguer un certain Bill), direction The Departed. Remarquez en passant l’incroyable à propos de la traduction française du titre original, « The Departed » signifiant « Les Défunts » et non « Les Infiltrés »… Ok, « Les défunts » c’est un peu moins fun et explicite, cependant il faut avouer que « The Departed » ça a un tantinet plus de souffle.

Scorsese nous revient donc très très en forme. Deux gars sortent de l’école de police, et, en gros, le gentil infiltre les méchants, et le méchant infiltre les gentils. Entre les deux, une seule et unique femme… La tragédie est là, avec tous ses ressorts dramatiques, manipulations, dilemnes, trahisons, et fin inéluctable.

La distribution est de haute volée. Nicholson, en patron de la pègre beauf et vieillissant cabotine à mort, et fout les jetons comme pas permis. Di Caprio est vraiment bon en flic torturé, sacrifié par avance au bien public (il a pourtant un lourd passif Di Caprio, y compris avec Scrosese). Et on peut aussi noter la jolie Vera Farmiga, qui a la lourde tâche d’être « La » femme, et réussit à faire exister son personnage assez trouble de psy indécise et menteuse.

Les dialogues sont enlevés (traduire : au moins un « fuck » ou « prick » ou « sucker » tous les deux mots… les sous-titreurs ont dû avoir la tâche ardue, et n’ont réussi qu’à en faire apparaître un sur mille). La mise en scène et le montage sont scorsesiens jusqu’au bout de la pellicule, noir, violent, tranchant, efficace. Certaines scènes m’ont fait me recroqueviller sur mon siège (p… le coup du plâtre…). Le tout est servi par une musique somptueuse (que ne pardonnerait-on pas à quelqu’un qui tourne une scène d’amour sur du Floyd, hein, dites-moi ?).

Brouillant les pistes d’une intrigue qui n’est un prétexte, Scorsese accentue la ressemblance entre ses deux acteurs jusque dans cette grandiose scène de poursuite entre les deux taupes, où on finit par ne plus savoir qui et qui. Même boulot, même femme, mêmes patrons, même destin, au final, quelles différences ? Bon, pour compléter cette critique indigente, et vu que j’ai une flemme du diable, je vous conseille d’aller jeter un coup d’oeil ici, tout y est dit !