de Julien d’Abrigeon.
Et qu’il n’y a que moi, ce soir, comme tous les soirs, pour prendre la radée.
C’est la loi du travail, la vie qui travaille.
C’est la France des sous-préfectures, des départementales, des périphéries et des zones commerciales, la France des mobylettes et des garagistes, celle où lorsque tu es ado, le BTS tourisme ou comptabilité constitue l’horizon de la réussite suprême, où tu traînes tes guêtres dans le bar pourri en face du lycée, où ta plus grande ambition est de rouler ta première pelle. Ce sont les habitants de cette France dont on ne parle pas en littérature que Julien d’Abrigeon choisit de nous raconter au travers de dix textes rythmiques et percutants, organisés comme des chansons sur les deux faces d’un vinyle.
-Tu vis ici ?
-Non, j’y habite.
On est un monde de transition entre la ville et la campagne, entre les banlieues industrielles et les lotissements sécurisées, peuplé d’êtres en transition, entre l’adolescence et la vie adulte, entre l’honnêteté et la délinquance, entre la vie et la mort, au moment où tout bascule, où la route dévie, où la décision est prise que c’en est assez de toute cette merde, et que, peut-être on a droit à autre chose.
Texte d’impressions et de musique, long poème en prose éclatée, Sombre aux abords se lit à voix haute, pour faire se percuter les mots, s’entrechoquer les consonnes. Il n’y a pas de confort dans cette langue de la collision, pas de rédemption possible, pas de lumière en vue, juste l’aveuglement du désespoir. Si, dans les thèmes qu’il brasse, Julien d’Abrigeon creuse la rupture, l’équilibre brisé, la faille qui s’ouvre, il réussit à tracer des passerelles étonnantes entre ses différentes influences (citées à la fin du livre et auxquelles j’ajouterais le maître Claro dans ses textes les plus fous), des influences superbement hétéroclites, souterraines et surtout jamais envahissantes. Pas de doute, c’est un très très beau texte.
Ed. Quidam Editeur
Lorsque les temps sont durs, la fantaisie est un refuge. Le lecteur a pu profiter ces dernières années d’univers farfelus, poétiques, gentiment barrés, le plus souvent placés sous les figures tutélaires de
Certains éditeurs sont là pour nous rappeler que la littérature, ce n’est pas seulement un grog au coin du feu, mais ça peut-être également un caillou pointu dans la chaussure. Quidam éditeur fait partie de ces rares précieux.
Entrelacés dans ce monologue déroutant, quelques parcours de vie d’habitants de Victoria sont racontés, des destins brisés, violents, misérables.
Etonnant et paradoxal ce Charøgnards qu’on n’imagine guère mieux logé ou logé ailleurs que chez le précieux Quidam.
Mais passons ce préambule peu convaincant pour atteindre le coeur du texte. Là c’est tout de suite plus intéressant. Alors évidemment cette histoire d’un village progressivement envahi de volatiles, c’est également ultra-référencé (Alfred H. sors de ce corps), voire faire écho à des publications plus récentes (l’étrange
Pourquoi cet homme s’obstine t’il à rester dans ce village progressivement envahi ? Il reste oui, et se raccroche à tout ce qui lui reste, les mots et la langue. Et son journal se fait alors le témoin moins des événements que de sa recherche méthodique de sens dans le texte. Comprendre, témoigner, fouiller, extirper du sens aux mots pour extirper du sens tout court. A coup d’inventaires minutieux des objets de sa maison, l’auscultation scrupuleuse d’étiquettes de cosmétiques, l’homme écrit et divague.
Il y a parfois des longueurs, des afféteries de quelqu’un qui écrit un peu trop bien, mais il y a aussi souvent des trouvailles magnifiques, des incursions poétiques renversantes, des inventions typographiques malignes comme tout (ahhh le disparition progressive du j et donc du je !!). Bref, il y a des milliers d’idées, et sans doute même un peu trop pour ne pas frôler parfois la démonstration. Mais on oublie assez vite tant cette richesse force le respect. Richesse aussi dans les interprétations possibles de ce texte : une infinité. Je ne m’amuserai pas à vous exposer la mienne, de peur de ne pas vous aider à trouver la vôtre.
Il ne faudrait tout de même pas prendre des vessies pour des lanternes. Liev n’aimerait pas ça s’il s’en apercevait. Le problème c’est qu’on ne peut pas vraiment être certain qu’il s’en aperçoive. Et ce serait sans doute beaucoup mieux comme ça.